Grenoble « pourrie et gangrenée par le trafic de drogue » ? C’est le procureur de la République Jean-Yves Coquillat en personne qui l’affirme dans Le Dauphiné libéré. Une prise de position qui a fait durement réagir l’opposition, sur fond de débats sur la sécurité, la vidéosurveillance, l’armement de la police municipale… et la légalisation du cannabis.
C’est une prise de parole qui n’est pas passée inaperçue. Mercredi 26 juillet, paraissait dans les colonnes du Dauphiné libéré un entretien avec Jean-Yves Coquillat, procureur de la République de Grenoble, qui n’est pas du genre à pratiquer la langue de bois en matière de sécurité publique. Le magistrat le confirme, une fois encore, en dressant un état des lieux du trafic de stupéfiants à Grenoble pour le moins édifiant.
« De toute ma carrière, déclare Jean-Yves Coquillat, je n’ai jamais vu une ville qui était aussi pourrie et gangrenée par le trafic de drogue que Grenoble ». Avec des « points de revente quasiment partout », dans les quartiers sud comme en plein centre-ville. « Pour traiter l’intégralité des trafics, il faudrait 300 policiers à la Brigade des stups, mais même dans cette configuration, c’est mon Parquet qui ne serait pas à même de suivre », assène encore le procureur.
Aspect moins remarqué de cet entretien, le magistrat note toutefois que Grenoble n’est pas le Chicago d’Al Capone. « On n’a pas eu de morts dans des règlements de compte depuis plus d’un an », se réjouit-il. Avant de convenir que l’on « ne peut pas mettre des policiers partout », et de saluer des initiatives de médiation de terrain comme celle de la Société dauphinoise pour l’habitat (SDH).
Le Front national montre au créneau
L’entretien, forcément polémique, n’a pas manqué de faire réagir la classe politique. Le Front national est monté au créneau, à travers un communiqué signé de la main de Mireille d’Ornano. « Il est urgent d’engager tous les moyens nécessaires pour lutter contre ce phénomène qui […] enclave durablement nos quartiers », écrit ainsi la conseillère municipale FN de Grenoble.
Une position qui n’a rien de nouveau. Au mois de mai, Mireille d’Ornano indiquait déjà à Place Gre’net que « Grenoble [était] devenue une petite Marseille ».
« On voit bien que les dealers qui habitent, il faut le dire, dans les cités comme Mistral ou la Villeneuve, font vraiment un supermarché de la drogue à Grenoble ! », nous confiait-elle. Et la conseillère municipale d’opposition de pointer du doigt l’attitude de la Ville vis-à-vis de la vidéosurveillance, mais aussi la nécessité selon elle d’armer la police municipale.
« Ne pas vouloir l’armement aussi de la police municipale, ce n’est pas concevable à l’heure actuelle », affirme-t-elle, dénonçant une « immaturité » du maire Éric Piolle sur ces questions.
Les partisans d’Alain Carignon ressortent leur propositions sécuritaires
Sans surprise, Mireille d’Ornano n’est pas la seule à tirer à boulets rouges sur la majorité municipale. L’ancien maire de Grenoble Alain Carignon n’a pas manqué, « au nom des Républicains grenoblois », de commenter à son tour la parole de Jean-Yves Coquillat. Estimant que le procureur « confirme ce que vivent les Grenoblois », Alain Carignon décrit une « forte émotion » tout en fustigeant « l’indifférence du maire ».
« Les propos convenus et larmoyants des élus sur leur ville cache leur immobilisme actuel et futur et ne sont pas à la hauteur des enjeux d’une cité qui est maintenant dans une situation mafieuse dangereuse pour son économie, son attractivité et même pour sa démocratie », écrit-il encore. Avant de rappeler les 10 propositions sur la sécurité rédigées par ses proches soutiens.
Au menu de ces propositions ? Des policiers municipaux armés et plus nombreux, et la création d’un réseau de vidéo-surveillance, si possible à l’échelle de la Métro. Les partisans d’Alain Carignon proposent également de capter les « numéros minéralogiques entrant sur notre territoire de façon à détecter les véhicules volés ». Et réclament « un meilleur équilibre du nombre de logements sociaux », sans donner plus de précisions quant aux modalités ou à la dimension sécuritaire de ce dernier élément.
Matthieu Chamussy décrit des policiers privés du soutien de leur hiérarchie
Charme de la droite grenobloise, un autre Républicain de Grenoble a pris la parole pour réagir à l’article du Dauphiné libéré, en l’occurrence le conseiller municipal Matthieu Chamussy. Le candidat malheureux aux dernières élections municipales de Grenoble demande, lui aussi, l’armement et le renforcement de la police municipale pour « lutter efficacement contre tous les trafics ».
Outre les questions d’effectifs et de matériel, Matthieu Chamussy assure que la police municipale de Grenoble souffre d’un troisième « handicap » : « Les policiers municipaux vous expliquent qu’ils ne sentent pas de la part de leur hiérarchie un soutien qui les incite à être très actifs. On leur dit : “S’il y a quelque chose à gauche, regardez à droite.” Quand vous n’avez pas une hiérarchie pour vous soutenir, vous hésitez un peu dans certaines situations. »
Jérôme Safar ironise sur la sécurité… des conseils municipaux
A gauche, le conseiller municipal d’opposition de Grenoble (Rassemblement de la gauche et du progrès) Jérôme Safar nous livrait déjà, au mois de mai, un ressenti très mitigé sur l’action de la municipalité en matière de sécurité. À l’exception de celle… des conseils municipaux, ajoutait-il avec ironie.
« Au niveau de l’équipe municipale, ils ont vraiment démontré qu’ils savaient faire de la sécurité pour se protéger eux-mêmes… Il y a un paradoxe terrible de voir que, depuis maintenant un an, on est bunkerisés à outrance pour tous nos conseils municipaux. Mais que, derrière, on n’a aucun état d’âme, dès qu’il y a un problème sérieux de sécurité, à expliquer que c’est pas notre compétence mais celle de l’État », s’agaçait Jérôme Safar.
La CFDT réclame l’armement des policiers municipaux
Un agacement que partage Marc Brouillet, délégué CFDT de la police municipale de Grenoble. Les syndicats n’ont pas attendu le constat dressé par Jean-Yves Coquillat pour poser leurs revendications. Là encore, la vidéosurveillance et l’armement des agents en font partie. Et ceci d’autant plus que les armes seraient d’ores et déjà achetées et prêtes à l’emploi.
« L’ancienne municipalité avait décidé d’armer la police municipale, au moins pour l’équipe de nuit avant de l’étendre petit à petit à toute la police. En arrivant, la municipalité a stoppé tout ça alors que les armes étaient achetées et qu’il ne restait plus qu’à faire de la formation. Les armes sont toujours détenues au service de la police municipale et elles sont dans un coffre », nous explique Marc Brouillet.
Pour lui, aucun doute : les policiers sont devenus une cible et doivent pouvoir se défendre contre des agresseurs, tout en assurant la sécurité des citoyens. « À partir du moment où un policier est armé, il pourra d’autant mieux défendre la population », considère le syndicaliste. Qui évoque notamment les fusillades, sans pour autant les rattacher uniquement au trafic de stupéfiants. « Souvent, il y a du trafic de stupéfiants mais il peut y avoir d’autres choses comme du racket. »
Le poids économique du trafic de stupéfiants
Pour le procureur, les « sentiments d’insécurité » sont cependant bien liés à la présence du trafic de stupéfiants, et irradient au final toute la ville. Mais qui dit trafic dit également consommateurs, rappelle Jérôme Safar. « On oublie un peu trop souvent que lorsque l’on parle de trafic de stupéfiants, on parle d’économie. La demande est forte, et l’offre existe. Contrairement à ce que l’on pense, les acheteurs ne sont pas des gens d’immédiate proximité. »
Pour Mireille d’Ornano, la drogue « qui tue nos enfants » est autant un phénomène d’économie parallèle lié au chômage qu’une question d’argent facile. « Il y a des gens qui gagnent beaucoup plus d’argent à guetter qu’à travailler véritablement », assure-t-elle. Avant de s’interroger à haute-voix : « La dernière fois que j’étais à la mairie de Grenoble, j’ai senti une sorte de tabac que je ne connaissais pas. Si ça se trouve, c’était du cannabis, je n’en sais rien… » Un léger fumet résineux à l’Hôtel de Ville ?
« Le trafic de stupéfiants, c’est la loi de la concurrence libre et non faussée », estime pour sa part Élisa Martin dans le Dauphiné libéré. L’adjointe de Grenoble en charge de la Tranquillité publique met, elle aussi, en avant les enjeux économiques du trafic : « Si cela génère des comportements ultra-violents, c’est parce que ça brasse un fric incroyable. »
La légalisation du cannabis, une solution contre les trafics ?
La solution serait-elle de mettre fin au trafic en… légalisant le cannabis ? C’était déjà la position d’Éric Piolle au lendemain d’une fusillade meurtrière devant une école, en avril 2016. Alors que deux personnes étaient tombées sous les balles, le maire de Grenoble avait demandé l’ouverture d’un débat sur la question de la légalisation, qui permettrait en outre à l’État d’engranger des taxes non négligeables.
Élisa Martin ne dit pas autre chose. « Le cadre législatif ne fonctionne pas, l’interdiction suscite du désordre. Nous allons donc interpeller les députés pour une réponse législative et poser la question de la légalisation du cannabis », fait-elle savoir à nos confrères du Dauphiné. Et l’adjointe d’annoncer encore le lancement en octobre d’une campagne de sensibilisation auprès des consommateurs, qui « soutiennent un système de terreur ».
Une déclaration qui ne risque pas de satisfaire l’opposition. « Il est évident que quand vous avez des responsables publics qui tiennent un discours sur la légalisation du cannabis, là aussi, ce type de discours a un impact ! », jugeait Jérôme Safar avant même la nouvelle prise de position d’Élisa Martin.
Florent Mathieu