FOCUS – En sept ans, le parc naturel régional du Vercors a lâché onze gypaètes barbus. Grâce au programme européen Life Gypconnect, d’autres réintroductions devraient suivre jusqu’en 2021. Mais l’espèce, qui avait disparu depuis un siècle, n’a pas encore fait son retour définitif dans le massif. Et l’équilibre reste fragile.
Il y a d’abord eu la marmotte. Puis le bouquetin à la fin des années quatre-vingt, suivi du vautour fauve en 1996*. Place désormais au gypaète barbu ! Depuis 2010, le parc naturel régional du Vercors, poursuivant sa politique de réintroduction d’espèces animales sur son territoire, a lâché onze oiseaux** grâce en partie au programme européen Life Gypconnect.
Les deux derniers, Freddy et Escampette, des oisillons âgés de quatre mois, beaux bébés de 5 kg, campent depuis début juin à flanc de montagne, sous la surveillance d’une webcam. Et sont prêts à prendre leur envol, dûment équipés d’une balise GPS.
L’objectif est non seulement de renforcer les populations des Alpes mais aussi de créer un corridor entre les Alpes et les Pyrénées. Et le chemin est long. Il faudra attendre encore quelques années pour être sûr que le gypaète a vraiment élu domicile dans le Vercors. Car l’oiseau est volage. S’il vit longtemps, il se reproduit peu avec, dans le meilleur des cas, un seul poussin par couple. Et tardivement. Ce n’est qu’une fois adulte, à l’âge de sept ans, qu’il se « sédentarise ».
« Nous avons espoir de constater bientôt des naissances »
« Lâcher davantage d’oiseaux augmentera les chances de voir un couple s’installer sur notre massif et de renforcer la population alpine encore très fragile », souligne Jacques Adenot, le président du parc naturel régional du Vercors.
« Le Life Gypconnect nous permet aujourd’hui d’organiser des lâchers en alternance dans le Vercors et dans les Baronnies en lien avec l’association Vautours en Baronnies jusqu’en 2021. Nous avons espoir de constater bientôt des naissances dans nos falaises mais en tout état de cause, qu’ils se reproduisent ici ou ailleurs, nous aurons contribué à la sauvegarde de cette espèce toujours très menacée. »
De fait, l’oiseau avait totalement disparu de la plupart des massifs montagneux du pourtour méditerranéen depuis le début du XXe siècle. Aujourd’hui, les spécialistes ont bon espoir de voir l’espèce s’y réinstaller.
« Grâce aux connaissances naturalistes, nous savons maintenant que la vie du gypaète barbu est très liée à la présence des bouquetins qui constituent une ressource alimentaire accessible tout au long de l’année », souligne le parc. Le gypaète vient en fin de chaîne alimentaire, se contentant de restes de viande, de ligaments et d’os des cadavres d’animaux. Mais encore doit-il passer entre les mailles du filet…
Le gypaète est aussi victime de son succès
Intempéries, prédations, avalanches, manque de ressources alimentaires, chasse ou empoisonnement sont autant d’obstacles sur sa route pour devenir adulte. Mais pas seulement. Car le gypaète est aussi victime de son succès. Chasseurs d’images, collectionneurs d’œufs et de dépouilles fragilisent aussi les populations. Sans parler des câbles des remontées mécaniques et autres lignes électriques. Enfin, le simple passage répété de randonneurs ou des travaux forestiers peuvent le pousser à partir en quête d’un autre territoire…
Résultat, l’oiseau est classé dans la catégorie des espèces en danger par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). “Seulement” vulnérable dans les Pyrénées, il est gravement menacé d’extinction dans les Alpes et en Corse. L’enjeu va toutefois au-delà de la pérennité du gypaète.
Depuis 2015, et jusqu’en 2021, l’Europe s’est engagée à sauvegarder l’espèce en engageant 4,1 millions sur les 5,6 millions du programme***. « La sauvegarde du gypaète barbu est emblématique de la course contre l’érosion de la biodiversité, soulignent les initiateurs du programme. Le gypaète barbu est caractéristique de la valeur intrinsèque de chaque espèce, de chaque entité de cette biodiversité dont les spécificités et la diversité des caractères sont résolument irréductibles. Son retour participe à la fonctionnalité des écosystèmes, notamment en participant au recyclage des animaux morts en nature. »
Patricia Cerinsek
- * Une soixantaine de couples de vautour fauve sont aujourd’hui comptabilisés sur le territoire du Vercors.
** Les oiseaux réintroduits sont nés en centre d’élevage du réseau de la Vulture Conservation Foundation (VCF).
*** Les financements européens ne suffisent pas à couvrir tous les frais. Le parc fait donc appel aux donateurs pour pouvoir poursuivre la réintroduction de l’espèce. Pour tous renseignements, contacter le 04 76 94 38 22.
La couleur des plumes du gypaète ? Des bains dans des eaux ferrugineuses
Le plumage du gypaète barbu est blanc à l’origine. La coloration du ventre et de la tête, bien visible chez l’adulte, est liée à la prise de bains dans des sources d’eau ou de boues ferrugineuses qui vont charger peu à peu le plumage en oxyde de fer et donner cette coloration caractéristique.
L’intensité de cette coloration serait à mettre en relation avec le niveau hiérarchique des individus dans les relations intra-spécifiques, les oiseaux les plus colorés étant dominants.