REPORTAGE – Deux jours après une attaque nocturne de motards dans le camp Valmy à Grenoble, un incendie criminel a provoqué l’embrasement de poubelles et d’un véhicule stationné à proximité, ce lundi 22 mai en début de soirée. Sur le campement, où vivent désormais près de 200 migrants originaires pour la plupart d’Albanie, du Kosovo et de Macédoine, l’inquiétude grandit. Une situation d’autant plus intenable que les tensions montent avec certains riverains de la copropriété Gallieni, qui ont lancé un collectif et une pétition.
L’action, narrée par plusieurs témoins de la scène, a été très brève. Il était environ 19 heures, ce lundi, lorsqu’une voiture circulant sur l’avenue Valmy s’est approchée de l’extrémité du parc éponyme. Selon ces mêmes personnes, un occupant du véhicule aurait ensuite jeté un cocktail Molotov [version qui n’est pas encore confirmée par les pompiers] sur un tas de poubelles qui s’est immédiatement embrasé, détruisant totalement une voiture garée à côté. À l’arrivée de la police, le(s) mystérieux incendiaire(s) avai(en)t déjà déguerpi.
Le feu a vite été maîtrisé par les pompiers et les dégâts ne sont que matériels mais la vue des flammes et les bruits des sirènes ont encore renforcé l’inquiétude croissante des occupants du camp Valmy. À la même heure, ces derniers tenaient d’ailleurs une réunion à deux cents mètres de là, en compagnie de militants des diverses associations de soutien aux migrants et mal-logés. Au menu de cette discussion improvisée : les événements de ce week-end et la réaction à adopter.
Des accointances avec l’extrême droite
Les mines renfermées, les traits tirés et le timbre des voix le trahissent : deux jours après, tous sont encore sous le choc. Dans la nuit de samedi à dimanche en effet, plusieurs motards ont pénétré sur le camp, où vivent aujourd’hui sous des tentes près de 200 migrants venus essentiellement d’Albanie, du Kosovo et de Macédoine – un chiffre en constante augmentation depuis la mi-février –, dont beaucoup de familles avec enfants.
« Les motards avaient des bâtons et des battes de base-ball, ils ont tapé sur tous les objets qu’ils trouvaient, nous ont menacés de mort et ont dit qu’ils reviendraient jusqu’à ce que nous soyons partis », racontent des migrants. Selon eux, les agresseurs, qui « n’étaient pas reconnaissables avec leurs casques de moto », n’ont pas fait mystère de leurs accointances avec l’extrême droite, pour ne pas dire néo-nazies. Effrayées, une famille aurait dans la foulée pris le tram jusqu’au terminus de Seyssinet-Pariset, où elle se serait faite contrôler par la police. D’autres migrants ont depuis définitivement quitté le campement.
« On attend quoi ? Qu’il y ait des morts et des blessés ? »
Y a‑t-il un lien avec les meetings du Front national et de Civitas s’étant tenus samedi soir, respectivement à la Maison du tourisme de Grenoble et à Saint-Martin-d’Hères ? Impossible à prouver naturellement, même si le rapprochement est sur toutes les lèvres et dans toutes les têtes. Quoiqu’il en soit, les associations devraient rapidement déposer des plaintes pour les deux agressions de ces derniers jours. Et beaucoup redoutent de nouveaux actes hostiles.
« La police, la préfecture et les élus doivent réagir car ça pourrait être bien plus grave, s’insurge un militant. Imaginez qu’un cocktail Molotov vise une tente. Ensuite, le feu peut se propager partout ! On attend quoi ? Qu’il y ait des morts et des blessés ? » Pour parer à toute éventualité et protéger le camp, les membres de certains collectifs ont décidé de maintenir une présence permanente dans le parc Valmy.
Des riverains ont lancé une pétition en ligne
Pendant que les discussions tournaient autour de la conduite à adopter ces prochains jours, d’autres militants se rendaient à la rencontre des riverains. Car les occupants du camp doivent également faire face à la colère grandissante d’une partie des résidents de la copropriété Gallieni, qui jouxte le parc et l’avenue Valmy.
Certains d’entre eux, regroupés au sein du nouveau Collectif Valmy, ont ainsi élaboré un manifeste adressé aux élus et collectivités et lancé une pétition en ligne ayant recueilli près de 200 signatures.
Ils dénoncent en vrac une « situation intenable », des « incivilités », des « vols », des « intrusions », « la musique jusqu’à 1 heure du matin », et demandent, pêle-mêle, « que le camp illégal soit démantelé », « qu’une clôture autour de la copropriété soit installée », « qu’un projet de vidéo-surveillance soit étudié »… De leur côté, les militants associatifs présents « ne nient pas qu’il puisse y avoir des problèmes avec certaines personnes » mais mettent en garde contre toute conclusion hâtive : « Attention à ne pas généraliser à tous les habitants du camp. »
« Le vrai scandale, ce sont tous ces bâtiments vides qui devraient être réquisitionnés »
Selon un copropriétaire, « tout le monde se refile le bébé : la préfecture nous renvoie vers la Ville qui nous renvoie vers la préfecture ». Il dit aussi avoir « une dent contre les associations qui sont là depuis quatre mois mais qui viennent nous voir pour la première fois ce soir ». Et il assure : « Ce qu’on ne veut pas, c’est intervenir nous-mêmes. »
Pendant plus d’une heure, militants et riverains discutent à bâtons rompus. Le ton monte parfois. Si certains membres de collectifs de soutien aux migrants disent « comprendre en partie l’agacement des riverains », ils se disent « victimes d’un faux procès ». « La préfecture et la mairie ont, selon eux, laissé pourrir la situation et réussi à monter des pauvres contre des plus pauvres. Mais le vrai scandale, ce sont tous ces bâtiments vides qui devraient être réquisitionnés alors que ces gens [dont beaucoup sont en demande d’asile] ont le droit d’être logés. Si c’était le cas, on n’aurait pas tous ces problèmes. »
Manuel Pavard