FOCUS – Invité à Sciences Po Grenoble par son directeur Jean-Charles Froment, Jacques Toubon, le Défenseur des droits de la République, donnait une conférence sur la prolongation de l’état d’urgence en France, le 29 mars dernier. Un « d’état d’exception permanent » dont il s’inquiète.
« L’état d’urgence n’est pas adapté à une crise durable », a expliqué le Défenseur des droits de la République Jacques Toubon, le 29 mars dernier à l’IEP de Grenoble devant une petite cinquantaine de personnes.
Accompagné du procureur général de la cour d’appel de Grenoble Jacques Dallest, l’ancien ministre s’exprimait sur la protection les droits des individus dans un contexte d’état d’urgence, dans le cadre du Printemps de la justice, cycle de conférences organisé par Sciences Po et la cour d’appel.
Selon lui, la prolongation de l’état d’urgence, en vigueur depuis le 14 novembre 2015, contrevient à son caractère exceptionnel, ce régime tant précisément justifié par l’existence d’une menace temporaire.
« Quand l’exception devient la règle, libertés et fondamentaux sont fragilisés »
L’état d’urgence prolongé menace-t-il les principes de l’État de droit ?, s’interroge Jacques Toubon. En vertu de la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence confère des pouvoirs d’exception à l’administration, en raison d’un « péril imminent résultant d’atteintes grave à l’ordre public […] ». Or, depuis les attentats du 13 novembre, ce régime a été prolongé pas moins de cinq fois.
Dix neuf mois plus tard, Jacques Toubon s’inquiète de cette situation qu’il qualifie « d’état d’exception permanent ». Un régime qui sera maintenu jusqu’au 15 juillet prochain. Et qui sait, peut-être au-delà, si le prochain gouvernement l’estime encore nécessaire.
« Le droit commun intègre de plus en plus des dispositions d’exception », constate-t-il. « Et quand l’exception devient la règle, les libertés et les fondamentaux sont fragilisés ». Un exemple ? Alors que seuls les actes pouvaient donner lieu à des poursuites pénales, la menace terroriste justifie de plus en plus l’incrimination des comportements et des personnalités. « Serait-on en train d’entrer dans l’ère des suspects ? », interroge-t-il.
Vers un encadrement plus strict de l’état d’urgence ?
Quelles seraient les solutions adéquates pour encadrer cette prérogative de la puissance publique ? Une réforme structurelle de l’état d’urgence ? Des conditions d’applications renforcées ? La création d’un autre régime particulier adapté à la menace durable du terrorisme ?
Actuellement, la prolongation de l’état d’urgence et son contenu sont régis par une loi ordinaire. Certains élus écologistes et socialistes souhaitent que ce régime soit fixé par une loi organique. Une réforme qui permettrait au Conseil constitutionnel de contrôler la conformité de l’état d’urgence à la constitution.
Des solutions envisageables, timidement approuvées par Jacques Toubon : « L’état d’urgence a effectivement des défauts. Mais la compétence de réforme n’appartient pas au défenseur des droits, mais au législateur. »
Lui, n’a en effet, qu’un pouvoir de recommandation, lorsqu’il considère que des mesures législatives ne protègent pas suffisamment les droits fondamentaux (cf. encadré).
Une difficile mission qui consiste à concilier les exigences légitimes de sécurité et le respect des droits fondamentaux, garanties sine qua non du pacte républicain…
Anaïs Mariotti
LE DÉFENSEUR DES DROITS ET SON POUVOIR DE RECOMMANDATION
Quel rôle joue le Défenseur des droits, autorité constitutionnelle indépendante ? Essentiellement un rôle d’observation et d’injonction devant les tribunaux.
« On s’efforce d’apporter une réponse de fond, face à une demande sociale réelle », a expliqué Jacques Toubon. Le Défenseur des droits recueille les réclamations citoyennes intervenues dans le cadre des perquisitions et des assignations à résidence. Toutefois, il n’a pas la compétence d’évaluer le bien-fondé de ces mesures, qui relève du ressort du juge administratif. Cette institution constate principalement « les erreurs de procédures, les défauts d’indemnisation, et le respect des droits et des personnes dans le déroulement de la perquisition », explique le Défenseur des droits.
Son pouvoir de contrôle vis-à-vis du pouvoir exécutif est limité au seul droit de recommandation. Parmi les victoires de cette institution, la recommandation de février 2016, finalement retenue par le Conseil d’État, qui protège les enfants lors des perquisitions.
Jacques Toubon appelle aussi à une plus juste compensation financière pour les familles et à une indemnisation des dégâts matériels lors de ces opérations.