FOCUS – De récents travaux de chercheurs grenoblois en psychologie sociale contredisent la théorie de l’historien et anthropologue Emmanuel Todd, selon laquelle les manifestations en l’honneur de Charlie Hebdo étaient en majorité composées de « catholiques zombies » islamophobes.
Les participants à la manifestation en réaction à l’attentat contre Charlie Hebdo étaient-ils tous des islamophobes s’ignorant ? La théorie polémique développée par l’historien et anthropologue Emmanuel Todd dans son ouvrage Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse semble aujourd’hui plus que jamais remise en cause.
Une étude du Laboratoire inter-universitaire de psychologie de l’Université Grenoble-Alpes paru dans The Conversation vient en effet de prouver la non-pertinence de cette conclusion.
Des mouvements de « catholiques zombies », selon Todd
Cet attentat du 7 janvier 2015 avait suscité une forte réaction des Français. Beaucoup étaient descendus dans la rue pour participer aux nombreuses manifestations à travers la France. C’est suite à cet événement qu’Emmanuel Todd avait publié un ouvrage sur les “véritables” motivations de ces manifestants.
Son hypothèse ? Les participants à ces marches républicaines, aux revendications apparemment antiracistes, méprisaient inconsciemment la communauté musulmane. L’auteur qualifiait ces mouvements de « catholiques zombies ». Selon lui, les villes qui ont connu les plus importantes manifestations étaient celles qui demeuraient sous une influence catholique forte. Elles seraient alors caractérisées par un anti-islamisme inconscient.
Les « préjugés implicites » sous la loupe des chercheurs
Dominique Muller et Marine Rougier, de l’Université Grenoble-Alpes, ainsi que Oulmann Zerhouni, de l’Université Paris Nanterre, ont renversé l’analyse d’Emmanuel Todd en se basant sur les « préjugés implicites » des populations des villes françaises : « C’est l’un des apports de la psychologie sociale d’avoir défendu l’idée que, très souvent, les individus ne veulent pas ou ne peuvent pas (parce qu’ils n’en sont pas nécessairement conscients), reconnaître leurs préjugés spontanés à l’égard des groupes sociaux. C’est ce que les psychologues sociaux qualifient de préjugés implicites. »
Ils ont ainsi repris le caractère “inconscient” émis par l’historien et utilisé un test de l’Université d’Harvard ayant pour objectif de définir le niveau de préjugés implicites d’un individu : l’IAT ou « Implicit Association Test ».
Une conclusion « prématurée, voire inverse à la réalité »
« Nous avons calculé un score moyen à l’IAT Français/Magrébins par ville en utilisant les observations recueillies (auprès de 4 000 personnes) depuis la création de sa version française en 2007 jusqu’à la fin de l’année 2014, c’est-à-dire avant les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher », indiquent les chercheurs. Ces derniers ont ensuite corrélé ces informations à l’importance des mobilisations dans les différentes villes.
Nous sommes Charlie marche républicaine à Grenoble © Maïlys Medjadj – placegrenet.fr
« Nous avons calculé un taux de participation sur la base des estimations fournies par les autorités » expliquent-ils.
Les résultats sont sans appel : « Contrairement à l’hypothèse de Todd, les villes ayant les niveaux moyens de préjugés implicites les plus forts sont celles qui ont participé le moins aux manifestations Charlie Hebdo », concluent les chercheurs.
De plus, ceux-ci ont également découvert que les villes « à forte empreinte catholique » définies par Todd n’avaient pas les niveaux de préjugés implicites les plus importants. « Notre étude tend à démontrer que cette conclusion était prématurée, voire inverse à la réalité », soulignent-ils.
Corentin Libert