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Le chercheur Sebastian Roché a présenté les grandes lignes de son ouvrage De la police en démocratie, paru fin 2016 aux éditions Grasset, au cours d'une conférence donnée à Grenoble dans le cadre du cycle de conférences "Avenue centrale, le 10 janvier 2017.

Sebastian Roché : “Si on ne veille pas à ren­for­cer la cohé­sion, ça risque d’éclater”

Sebastian Roché : “Si on ne veille pas à ren­for­cer la cohé­sion, ça risque d’éclater”

ENTRETIEN – Le poli­to­logue fran­çais spé­cia­lisé en cri­mi­no­lo­gie Sebastian Roché pré­sen­tait, mardi 10 jan­vier sur le cam­pus de Saint-Martin-d’Hères, les grandes lignes de son ouvrage De la police en démo­cra­tie, paru fin 2016 (édi­tions Grasset). Une confé­rence orga­ni­sée par la Maison des Sciences de l’Homme Alpes, dans le cadre du cycle de confé­rences « Avenue cen­trale. Rendez-vous en sciences humaines ». Et l’oc­ca­sion pour Place Gre’net de lui poser quelques questions.

Le chercheur Sebastian Roché a présenté les grandes lignes de son ouvrage De la police en démocratie, paru fin 2016 aux éditions Grasset, au cours d'une conférence donnée à Grenoble dans le cadre du cycle de conférences "Avenue centrale, le 10 janvier 2017.

Le cher­cheur Sebastian Roché pré­sent dans le cadre du cycle de confé­rences « Avenue cen­trale, le 10 jan­vier 2017 à Grenoble.

« Police et démo­cra­tie : les défis de l’é­ga­lité et de la diver­sité ». Tel était le thème cen­tral de la confé­rence don­née par Sébastian Roché, ce mardi 10 jan­vier devant une assem­blée d’une petite cin­quan­taine de per­sonnes, com­po­sée prin­ci­pa­le­ment d’u­ni­ver­si­taires et d’é­tu­diants. Interrogé par Luc Gwiazdzinski, ensei­gnant à l’Institut de géo­gra­phie alpine et cher­cheur au labo­ra­toire Pacte, le cher­cheur a tour à tour évo­qué ses domaines d’étude.

Police, délin­quance, reli­gion, dis­cri­mi­na­tions… Des sujets sen­sibles qui expliquent que le cher­cheur ait fait face à quelques réac­tions hos­tiles au cours du débat. Il lui a notam­ment été repro­ché de prendre parti pour le sys­tème de valeurs domi­nants, c’est-à-dire L’État, et de consi­dé­rer que sa pré­sence en tant qu’ob­ser­va­teur lors d’in­ter­pel­la­tions n’in­fluen­çait pas l’at­ti­tude des forces de l’ordre.

De la police en démocratie, de Sebastian Roché, paru fin 2016 aux éditions Grasset.

De la police en démo­cra­tie (Grasset).

Directeur de recherche au CNRS (PacteSciences-Po Grenoble, Université Grenoble-Alpes), Sebastian Roché enseigne à l’École natio­nale supé­rieure de la police (Lyon), à l’Université de Grenoble et à l’Université de Bahcesehir (Istanbul).

Spécialiste de la sécu­rité, il tra­vaille sur les effets de la reli­gion sur la confiance dans la police et sur les com­por­te­ments délin­quants. Coauteur du rap­port Polis-auto­rité (2013), il a publié récem­ment De la police en démo­cra­tie (Grasset, 2016).

La confiance de la popu­la­tion envers la police n’a cessé de se dété­rio­rer ces der­nières années. La police fran­çaise ne se situe ainsi que dans le tiers cen­tral du clas­se­ment euro­péen, au niveau de l’Estonie, de la Turquie et du Portugal. Et plu­tôt dans le tiers infé­rieur pour ce qui est de la satis­fac­tion accor­dée quant au tra­vail accom­pli ou suite à un dépôt de plainte. Que disent ces résultats ?

Précisons tout d’a­bord que ces résul­tats issus de don­nées objec­tives pro­viennent de deux pro­jets de recherche à l’é­chelle euro­péenne avec un très large échan­tillon et de nom­breuses enquêtes sur le ter­rain. Toutes ces sources convergent pour dire “Attention, il y a une cou­pure entre la popu­la­tion et les poli­ciers, et cela est mau­vais pour tout le monde”. Au vu des résul­tats de la pre­mière étude [Eurojustis, ndlr], j’ai voulu tirer une sorte de son­nette d’a­larme, atti­rer l’at­ten­tion des pou­voirs publics sur la très faible satis­fac­tion et la légi­ti­mité médiocre de la police dans la popu­la­tion. Même pour les poli­ciers, c’est un han­di­cap, comme on peut le voir dans les cas extrêmes d’at­taques comme à Viry-Châtillon.

Pourquoi autant d’hos­ti­lité ? Il existe des opi­nions très miti­gées voire hos­tiles à la police, un cli­mat géné­ral plus favo­rable à des formes radi­cales d’agressions. En Allemagne, il y aussi des dea­lers et des délin­quants mais ils ne vont pas atta­quer ainsi les poli­ciers car les opi­nions géné­rales de la popu­la­tion sont beau­coup plus favo­rables. Avoir la confiance de la popu­la­tion est aussi un bou­clier pour les policiers.

Pourquoi les pou­voirs publics ne s’en sou­cient-ils pas plus ?

Les res­pon­sables poli­tiques connaissent mal la police et ont une faible exper­tise sur le sujet. Comme la police et la gen­dar­me­rie sont faites pour ser­vir le gou­ver­ne­ment cen­tral plus que les citoyens eux-mêmes, le gou­ver­ne­ment ne se rend pas compte de cette faiblesse.

Dans plu­sieurs pays euro­péens, des indi­ca­teurs de pilo­tage de la qua­lité de la police ont été mis en place. Une des rai­sons pour les­quelles il n’y a pas d’a­mé­lio­ra­tions en France, c’est qu’il n’y a pas d’ou­til pour mesu­rer la qua­lité de la rela­tion police-population.

Manifestation de policiers grenoblois. 26 Octobre 2016. © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'Net

Manifestation de poli­ciers gre­no­blois le 26 Octobre 2016. Un évé­ne­ment rare. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net

Même s’il y a aujourd’­hui une absence de volonté poli­tique de déve­lop­per ces outils, le pou­voir poli­tique est plu­tôt bien servi par la police. Il est d’ailleurs rare qu’elle se rebelle. Les mani­fes­ta­tions de poli­ciers comme celles qu’on a vues der­niè­re­ment sont très excep­tion­nelles et c’est pour cette rai­son qu’elles consti­tuent un moyen de pres­sion effi­cace pour obte­nir des avantages.

Finalement, il y a un dés­in­té­rêt du pou­voir cen­tral pour le ser­vice des citoyens. Le gou­ver­ne­ment est plus inté­ressé par la police du ren­sei­gne­ment inté­rieur, du ter­ro­risme (DGSI et DCRI) plu­tôt que par la police du quo­ti­dien, qu’il ne connaît pas.

Il y a une vision infan­tile du public. On pense que le public ne sait pas bien juger, donc qu’il n’est pas utile de l’écouter. C’est très dif­fé­rent de la vision des pays du Nord de l’Europe, où ces avis sont pris en compte.

En France, la pro­por­tion de contrôles dis­cré­tion­naires atteint 31,5 % pour la “mino­rité” d’Afrique du Nord et sub­sa­ha­rienne, contre 14,1 % pour la “majo­rité”. A contra­rio, en Allemagne, les chiffres sont très proches entre la “mino­rité”, prin­ci­pa­le­ment turque, (13,1 %) et la “majo­rité” (12,2 %). Comment expli­quer de telles différences ?

Ces résul­tats ont été mesu­rées de manière très méti­cu­leuse, en pre­nant en compte tous les fac­teurs qui peuvent expli­quer le sur­con­trôle. Dans le livre, j’ai bien expli­qué la dif­fé­rence entre sur­con­trôle et dis­cri­mi­na­tion. Ainsi, il peut très bien y avoir davan­tage de gens d’o­ri­gine Nord afri­caine contrô­lés sans qu’il y ait for­cé­ment discrimination.

© Joël Kermabon - Place Gre'net

Un poli­cier avec son bras­sard. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Dans la métho­do­lo­gie, on a pris tous les argu­ments avan­cés par les poli­ciers et notam­ment celui-ci : « Les jeunes d’origines étran­gères com­mettent plus de délits, ce qui explique qu’ils soient plus contrô­lés. » Les délits com­mis par les ado­les­cents ont ainsi été inté­grés dans les cal­culs du contrôle. Autre argu­ment des poli­ciers : on les envoie contrô­ler dans des zones où il y a plus de délits, sans qu’ils cherchent à cibler une caté­go­rie. On donc a bien pris en compte l’en­semble de ces élé­ments sur la géo­gra­phie poli­cière en codant les lieux.

Malgré cela, même en contrô­lant tous ces para­mètres, on constate qu’il y a en France un sur­con­trôle des mino­ri­tés. On voit bien dans les ana­lyses sta­tis­tiques un peu plus pous­sées que le pre­mier fac­teur de contrôle est d’être un ado­les­cent répé­tant des délits. Appartenir à la mino­rité eth­nique n’est pas le pre­mier fac­teur, mais c’est un fac­teur signi­fi­ca­tif de contrôle.

Proportion de contrôle d'identité discrétionnaire dans quatre villes suivant l'appartenance apparente au groupe minoritaire ou majoritaire. (Polis, volet observations, France-Allemagne)

Proportion de contrôle d’i­den­tité dis­cré­tion­naire dans quatre villes sui­vant l’ap­par­te­nance appa­rente au groupe mino­ri­taire ou majo­ri­taire. (Polis, volet obser­va­tions, France-Allemagne)

Par ailleurs, en France, s’il y a un contrôle avec un ado­les­cent étran­ger, le contrôle se passe géné­ra­le­ment assez mal : les mots, voire les coups échan­gés sont beau­coup plus fré­quents. En Allemagne, les poli­ciers se font fort de faire de la com­mu­ni­ca­tion. L’argument de la force vient tout en der­nier. Alors qu’en France, il y a plus vite une stra­té­gie de confron­ta­tion, ce qui entraîne une spi­rale négative.

Vous écri­vez qu’en France « les agents qui se servent fré­quem­ment du contrôle l’u­ti­lisent plus comme un outil de sou­mis­sion que pour ver­ba­li­ser ». Contrairement à l’Allemagne, où les « agents cherchent consciem­ment à évi­ter d’a­voir recours à un sté­réo­type lors­qu’ils abordent des per­sonnes appar­te­nant aux mino­ri­tés ». Avec de meilleurs résul­tats, au final, puis que l’Allemagne n’a pas connu d’é­meutes jus­qu’à pré­sent et que la délin­quance de rue n’y est pas plus forte. Comment amé­lio­rer la situa­tion en France ?

Une par­tie de la solu­tion tient à la façon dont les auto­ri­tés décident de faire la police. Une autre dépend de la poli­tique locale. Il y a donc une réflexion à avoir au niveau de la poli­tique poli­cière. Quelles sont les zones qu’on contrôle, etc. ? La deuxième par­tie de la solu­tion se trouve dans la for­ma­tion. En France, la phrase clé est : “Force doit res­ter à la loi”. La for­ma­tion met l’ac­cent sur le fait qu’il va y avoir confron­ta­tion et que le poli­cier doit en sor­tir vainqueur.

En Allemagne, c’est très dif­fé­rent. La réflexi­vité est mise en avant : les poli­ciers sont invi­tés à ana­ly­ser les effets de leurs propres pra­tiques. Ils vont donc contrô­ler uni­que­ment si cela apporte vrai­ment un béné­fice et vont lut­ter contre les biais. Autre exemple : le Danemark, où la confiance est pla­cée au cœur de la for­ma­tion du poli­cier. On ne place pas la loi au cœur mais la cohé­sion. Le poli­cier doit faire en sorte que la société tienne bien ensemble.

Là-bas, les gar­diens de la paix sont for­més en deux ans, contre huit mois ici. En France, on forme beau­coup les cadres, donc les com­mis­saires, qui ont tous un mas­ter et deux ans d’école. On forme fina­le­ment ceux qui en ont le moins besoin, puisque c’est l’agent qui va être au contact de la popu­la­tion. Leurs temps de for­ma­tion semblent trop courts par rap­port à la com­plexité du métier. La for­ma­tion des poli­ciers fran­çais n’est pas nulle mais ce n’est pas la meilleure d’Europe…

Manifestation contre la loi travail El Khomri à Grenoble, 31 mars 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

Des poli­ciers à moto à Grenoble. © Yuliya Ruzhechka – pla​ce​gre​net​.fr

Si la for­ma­tion compte, le mana­ge­ment aussi. En France, il y a très peu d’analyse des pra­tiques des agents en matière de contrôles. Dans les patrouilles que nous avons faites avec des agents, on a observé qu’il n’y avait jamais eu de débrie­fing des contrôles d’i­den­tité. La hié­rar­chie inter­mé­diaire, les res­pon­sables locaux ne s’y inté­ressent pas suffisamment.

On se sou­vient que les récé­pis­sés de contrôle avaient été enter­rés par Manuel Valls. Le mana­ge­ment ne s’in­té­resse pas aux ques­tions de dis­cri­mi­na­tions. Contrairement au Québec par exemple, qui a mis en place un plan d’ac­tion plu­ri­an­nuel d’a­na­lyse de lutte contre les dis­cri­mi­na­tions. Un tel plan implique une recon­nais­sance du pro­blème. En France, il est nié. Difficile pour le local de s’en saisir.

Critiquer la police n’est pas chose aisée dans le contexte actuel…

La période est effec­ti­ve­ment très mau­vaise pour répondre à la réforme de la sécu­rité publique. Les poli­ciers sont très sol­li­ci­tés pour des tâches ingrates : gardes, patrouilles… La base est très mécon­tente. Le pou­voir poli­tique est, lui, avant tout foca­lisé sur l’é­vi­te­ment des atten­tats avec, par exemple, le déploie­ment des mili­taires qui lui sert avant tout à se protéger.

Manifestation de policiers grenoblois. 26 Octobre 2016. © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'Net

Des poli­ciers gre­no­blois mani­fes­tants croisent une patrouille de mili­taires le 26 octobre 2016. © Yuliya Ruzhechka – pla​ce​gre​net​.fr

C’est donc une période très com­pli­quée pour une réforme. Dès qu’on touche au sys­tème, on est immé­dia­te­ment pris à par­tie. Le quan­ti­ta­tif a pris tota­le­ment le des­sus, c’est à qui créera le plus de postes. Le débat ignore l’a­na­lyse des besoins. Autre élé­ment dif­fi­cile : il n’y a pas de réflexion stra­té­gique sur l’é­vo­lu­tion de la police.

Les socié­tés pri­vées font de la recherche et déve­lop­pe­ment. Une entre­prise qui n’in­ves­tit pas et ne pro­pose pas de nou­veaux pro­duits va perdre des parts de mar­ché. Il y a donc une contrainte de l’innovation. Or, il n’y a aucun endroit au minis­tère de l’Intérieur où on réflé­chit à l’avenir de la police et à l’innovation. Il y a une fai­blesse admi­nis­tra­tive et poli­tique. Disposer d’un endroit où l’on réflé­chit et où l’on fait de la pros­pec­tive est pour­tant une néces­sité, afin que le gou­ver­ne­ment ne réagisse plus au coup par coup, sous la pres­sion, mais en fonc­tion de l’a­na­lyse de l’é­vo­lu­tion des besoins de la société. Il manque, en France, une capa­cité à se pro­je­ter dans l’avenir et à avoir des idées.

Vous met­tez en évi­dence que les juge­ments sur la police en géné­ral sont net­te­ment cli­vés selon la confes­sion des « poli­çables », par­ti­cu­liè­re­ment pour ce qui concerne le noyau dur formé de ceux qui n’ont « pas du tout confiance » (5,5 % des catho­liques contre 28 % des musul­mans, soit cinq fois plus). Pour ce qui est de la défiance molle » (plu­tôt pas ou pas du tout confiant), elle atteint res­pec­ti­ve­ment 29 % et 40 %. Par ailleurs, parmi les per­sonnes qui se recon­naissent de l’Islam, le fait d’être pra­ti­quant tend à ren­for­cer la cri­tique à l’en­contre de la police. Comment expli­quer ces résul­tats très mar­qués ? S’agit-il d’un pro­blème de valeurs liées à la reli­gion ? D’identification ?

Il y a un cli­vage reli­gieux très net en France. La force de celui-ci m’a d’ailleurs sur­pris. Les atti­tudes des ado­les­cents et de la popu­la­tion sont affec­tées par des convic­tions poli­tiques mais aussi par des convic­tions reli­gieuses. Une par­tie de cet effet reli­gieux va tenir aux condi­tions de vie, aux types de quar­tiers, pauvres ou riches. Les musul­mans sont plu­tôt rési­dents des quar­tiers défa­vo­ri­sés. Et la deuxième par­tie tient aux sur­con­trôles. Les jeunes Maghrébins se font plus contrô­ler et, pour la majo­rité, ils sont musulmans.

Il fal­lait donc contrô­ler les variables, c’est-à-dire tenir compte des dif­fé­rentes variables. L’étude a mon­tré que les jeunes musul­mans, même s’ils n’ont pas été contrô­lés par la police et même s’ils viennent d’un quar­tier pai­sible, vont avoir une opi­nion plus hos­tile par rap­port à la police. Cela laisse pen­ser que la reli­gion divise vrai­ment la société.

Femmes voilées. © Elodie Rummelhard - placegrenet.fr

Deux femmes voi­lées à Grenoble. © Elodie Rummelhard – pla​ce​gre​net​.fr

Comme il n’y a pas eu d’enquête avant, on ne sait pas si cet état de fait est récent ou pas. C’est tou­te­fois un résul­tat dont on peut se dou­ter. En effet, la police impose des règles et véhi­cule des valeurs, par exemple, l’interdiction du port du voile dans cer­tains lieux. Sans doute les plus reli­gieux voient-ils la légis­la­tion comme hos­tile à l’Islam et la police au ser­vice de cette légis­la­tion. Certains rejettent donc ces valeurs.

Les jeunes musul­mans qui adhèrent le plus aux valeurs de liberté et d’égalité sont d’ailleurs ceux qui acceptent le plus la police. On a l’impression que der­rière la reli­gion, il y a un cli­vage de valeurs. On constate une iden­ti­fi­ca­tion natio­nale faible pour les musul­mans et encore moindre pour les musul­mans très pratiquants.

La police peut être reje­tée pour les pra­tiques mais aussi parce qu’elle est la police d’un gou­ver­ne­ment, ou la police d’une col­lec­ti­vité natio­nale dans laquelle ils ne se recon­naissent pas. Ce qui est fort dans les résul­tats sta­tis­tiques, c’est qu’on voit bien la dif­fé­rence entre les musul­mans les plus pra­ti­quants et les moins pra­ti­quants. Ce n’est pas juste le fait d’être musul­mans qui rend hos­tile à la police mais il y a quelque chose dans l’attachement à la religion.

Autre constat : en ce qui concerne la police près de chez soi, « la défiance molle » se rétracte en France pour atteindre 12 % chez les catho­liques et 35 % chez les musul­mans. Cette « prime à la proxi­mité » est-elle une piste sérieuse pour amé­lio­rer l’i­mage de la police ?

Les doc­trines de police de proxi­mité sont impor­tantes. Si la police est capable de res­tau­rer le dia­logue avec une popu­la­tion a priori hos­tile, il y a de fortes chances que cela modi­fie la per­cep­tion des poli­ciers avec l’ex­pé­rience et la répé­ti­tion du contact.

Malgré tout, les plus convain­cus ne vont pas voir les poli­ciers tels qu’ils sont, car la reli­gion va modi­fier leur per­cep­tion. Ils vont les voir en fonc­tion de biais cultu­rels. On ne peut pas attendre de la police qu’elle résolve com­plè­te­ment ce conflit et la divi­sion reli­gieuse de la France. La police peut amé­lio­rer la situa­tion par sa pra­tique mais elle ne peut pas com­plè­te­ment la résoudre parce que c’est un conflit qui dépasse ces simples rela­tions. C’est un conflit qui ren­voie à un sen­ti­ment d’appartenance à une col­lec­ti­vité poli­tique. Les jeunes musul­mans se sentent peu appar­te­nir à cette col­lec­ti­vité politique.

Sentiment d'appartenance à la nation française en fonction de la religion (base : totalité de l'échantillon). Polis 2012

Sentiment d’ap­par­te­nance à la nation fran­çaise en fonc­tion de la reli­gion (base : tota­lité de l’é­chan­tillon). Polis 2012

Les gens fré­quentent plu­tôt des gens qui pensent comme eux et cela ren­force la manière dont ils voient les choses. La reli­gion – pas que musul­mane d’ailleurs – orga­nise des per­cep­tions et donc la per­cep­tion de la police. Si la com­mu­nauté musul­mane se sent sépa­rée du reste de la société, elle ne va pas s’i­den­ti­fier à la police.

Constate-t-on une reli­gio­sité réac­tive en France ?

Je ne trouve pas de résul­tats dans les études que j’ai faites sur une reli­gio­sité par réac­tion, face à une situa­tion socio-éco­no­mique dégra­dée, par exemple. Les plus convain­cus ne sont pas ceux dans les situa­tions éco­no­miques les plus dif­fi­ciles. L’enquête Trajectoire et ori­gine (TeO) de l’Insee et l’Ined ne valide pas l’hypothèse de la reli­gio­sité réac­tive. Ni au Royaume-Uni d’ailleurs.

Il y a bien une affir­ma­tion de la foi reli­gieuse chez les musul­mans et, en par­ti­cu­lier, les jeunes, beau­coup plus impli­qués que les plus âgés. Cette impli­ca­tion n’est pas modu­lée par leur niveau socio-éco­no­mique. Pour résu­mer, ce ne sont donc pas les musul­mans les plus pauvres qui sont les plus croyants.

L’étude Polis por­tant sur les ado­les­cents sco­la­ri­sés de 13 à 18 ans en France et en Allemagne a mis en évi­dence que la reli­gio­sité chez les ado­les­cents musul­mans aug­men­tait l’an­ta­go­nisme avec la police, aussi bien dans les quar­tiers d’in­ci­vi­lité que dans les quar­tiers pai­sibles. Un anta­go­nisme qui aug­mente d’au­tant plus si ces der­niers ont déjà subi un contrôle. Quelles sont les causes qui peuvent expli­quer ces résul­tats ? Au final, quelles sont les pistes pour sor­tir de ce cercle vicieux et refaire société ?

Il faut que la police ait une stra­té­gie et que quelqu’un en soit char­gée. Cela implique la créa­tion d’un poste de res­pon­sable natio­nal de la stra­té­gie et d’une direc­tion de la qua­lité des rela­tions, en charge à la fois de la stra­té­gie et de la qua­lité. Il faut arrê­ter de rai­son­ner en quan­tité et en nombre de délits mais rai­son­ner par rap­port à la qua­lité, en déve­lop­pant une doc­trine de la police.

Deuxième chose : il doit y avoir une recon­nais­sance offi­cielle des pro­blèmes de la qua­lité de la rela­tion police-citoyen et de l’é­ga­lité devant la loi. La ques­tion de la dis­cri­mi­na­tion doit être posée sur la table pour essayer ensuite de pro­po­ser des solu­tions. Sans oublier, enfin, la formation.

Tout cela résou­dra une par­tie des pro­blèmes, mais pas les pro­blèmes poli­tiques, pas les pro­blèmes d’intégration. Si on ne veille pas à ren­for­cer la cohé­sion, ça risque d’é­cla­ter. Là se pose la ques­tion des valeurs. Les jeunes musul­mans qui rejettent les valeurs de liberté, par exemple. Lorsqu’une par­tie de la popu­la­tion rejette les valeurs qui fondent notre pays, cela pose des pro­blèmes com­plexes. Le pro­blème n’est pas tant la reli­gion que les valeurs qui y sont associées.

Aujourd’hui, il est très com­pli­qué pour les pro­fes­seurs de par­ler de ces ques­tions-là. Ce sont des sujets très polé­miques qui demandent d’avoir de grandes connais­sances sur la reli­gion. Or, la rela­tion avec la police et l’é­cole sont très impor­tantes pour les ado­les­cents, dans la for­ma­tion de leur opi­nion en tant que citoyen.

Propos recueillis par Paul Turenne avec Lucine Hugonnard

PT

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