DÉCRYPTAGE - La fresque "L’État matraquant la liberté" de l'artiste Goin bientôt ne sera plus. Réalisée sur les locaux de Métrovélo Gare dans le cadre de l'édition 2016 du Grenoble Street Art Fest, l’œuvre qui a tant fait polémique sera détruite d'ici le 10 juillet. Au-delà du débat relatif à la liberté d'expression, cette fresque a réveillé de nombreuses critiques concernant la politique culturelle de la Ville.
Difficile d'échapper à la polémique. Le Figaro, L'Express, Le Huffington Post, Le Parisien, Les Inrocks, Le Monde… Toute la presse nationale s'en est donnée à cœur joie.
Les détracteurs de la fresque également. Parmi eux, notamment, Debout la France, pour qui cette fresque est une "honte », en plus d'être "abjecte ». Pour d'autres, il s'agit d'une œuvre "anti-police », "anti-démocratique », certains ayant fait le choix volontairement ou non d'y voir une attaque contre les forces de l'ordre.
De la "mauvaise foi" de la part de tous ceux ayant "une lecture frontale », estime Jérôme Catz, commissaire d'exposition et fondateur des centres d'art Spacejunk. L'intéressé se défend : "Cette fresque est composée d’une partie contemporaine actuelle, les flics avec leurs habits de flics, et d'une Marianne tirée de Delacroix, un tableau qui a deux cents ans."
Et d'ajouter : "C’est l’État en train de taper sur la liberté. L’article 49.3 est bien là. […] On a rajouté le titre “l’État matraquant la liberté”. On ne peut pas aller plus loin."
D'autant que Marianne est accoudée sur les livres 1984 de George Orwell et Brave New World d’Aldous Huxley, deux contre-utopies dénonçant chacune à leur manière des sociétés devenues cauchemardesques. Plusieurs voix se sont pourtant élevées, dont celle de Lionel Beffre, nouveau préfet de l'Isère, pour demander le retrait de la fresque.
Duel de tags
A contrario, une pétition citoyenne a été lancée pour "empêcher la censure ». "Ce dessin aurait pu figurer en une de Charlie Hebdo. La France s’est levée contre l’extrémisme [...] pour la liberté d’expression. […] Il y a plein de ministres qui se portent aujourd'hui en censeurs de cette liberté d’expression », fulmine Jérôme Catz.
S'en est suivi un duel de tags. Suite à la médiatisation de l’œuvre, des "anti-fresque" y ont apposé l'inscription "Stand up for the French police" (Levez-vous pour la police française", ont barré le titre de l’œuvre ainsi que l'inscription "49.3". Comme réponse, des "pro-fresque" ont réécrit le titre et apposé des "Je suis Charlie" avec des pochoirs.
Mais à y regarder de plus près, ce n'est pas seulement le débat sur la liberté d'expression qui est en jeu dans cette affaire. Beaucoup de critiques fusent contre la politique culturelle de la municipalité grenobloise.
"Cet épisode de la fresque est un révélateur"
Le metteur en scène Joël Pommerat signait, le 2 juin 2016, dans Libération la tribune "Grenoble, la déception de l'écologie culturelle" fustigeant la "politique libérale et populiste" menée par la municipalité. En cause, la suppression de la subvention municipale accordée à l'orchestre des Musiciens du Louvre en 2014, la reprise en main de la gestion du Théâtre 145 et du Théâtre de Poche en 2015, tous deux intégrés dans le giron du théâtre municipal où les compagnies sont invitées à jouer au chapeau.
Sans oublier la baisse des subventions municipales accordées à la Maison de la culture (MC2) et la liquidation de la salle de concert le Ciel, consacrée aux musiques actuelles.
Le 10 juin 2016, Élise Colin-Madan, une Grenobloise auto-proclamée "chauvine", faisait publier dans Les Antennes une lettre ouverte suite à la fermeture de plusieurs lieux culturels, dont des bibliothèques.
Pour certains, l'affaire "fresque" est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. A l'image de Matthieu Chamussy, conseiller municipal d'opposition Les Républicains : "Cet épisode de la fresque est un révélateur" de l'action municipale au niveau culturel "dans le sens où toute décision en matière culturelle est d'abord politique. [...] La culture est instrumentalisée."
Et d'ajouter : "Ça a commencé dès le début du mandat avec l'attribution d'une subvention à un collectif d'artistes" engagés "contre l'achèvement de l'autoroute A51." Sans compter "l'arrêt brutal et non négocié de la totalité de la subvention aux Musiciens du Louvre. La dernière fois qu'un tel événement s'était produit en France, c'était une mairie Front national, à Orange."
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