Assemblée générale à la Bobine. © Yuliya Ruzhechka - placegrenet.fr

Mobilisation citoyenne : la “conver­gence des luttes” s’or­ga­nise à Grenoble

Mobilisation citoyenne : la “conver­gence des luttes” s’or­ga­nise à Grenoble

REPORTAGE – Les mani­fes­ta­tions contre la loi El Khomri se sont pro­gres­si­ve­ment trans­for­mées en une forte mobi­li­sa­tion citoyenne de « conver­gence des luttes ». Comment et dans quelle ambiance s’or­ga­nise ce mou­ve­ment sans lea­der, en marge des par­tis poli­tiques et des asso­cia­tions exis­tantes ? Plongée au cœur d’une assem­blée géné­rale citoyenne en amont de la mani­fes­ta­tion de ce mardi 5 avril.

Depuis quelques semaines, chaque lundi soir, la Bobine accueille une assem­blée géné­rale (AG) de citoyens gre­no­blois qui ont décidé de se mobi­li­ser ensemble. Pas d’or­ga­ni­sa­tion offi­cielle. Ce groupe infor­mel se défi­nit par la phrase « On vaut mieux que ça », deve­nue emblé­ma­tique dans cette « conver­gence des luttes ».

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

© Yuliya Ruzhechka – www​.pla​ce​gre​net​.fr

Une AG pour tous ?

Ils sont envi­ron 200 à se réunir ce soir du 4 avril pour dis­cu­ter des actions à mener, des dif­fé­rents aspects des mobi­li­sa­tions et du sens même de leur mou­ve­ment. La salle de spec­tacle de la Bobine, plon­gée dans l’obs­cu­rité, suf­fit à peine à les accueillir.

Le pre­mier vote de l’AG me concerne direc­te­ment : les deux jour­na­listes pré­sents ont-ils le droit de res­ter dans la salle ? Ce sont les per­sonnes pré­sentes qui vont déci­der. La ques­tion sus­cite vite un débat.

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

Assemblée géné­rale à la Bobine. © Yuliya Ruzhechka

« Je ne vois pas l’in­té­rêt d’a­voir des médias qui ne sont pas les nôtres à l’in­té­rieur de cette assem­blée », lance un jeune homme qui sug­gère aux jour­na­listes de dis­cu­ter avec des per­sonnes pré­sentes en dehors de la salle.

Un autre demande si une relec­ture de l’ar­ticle avant paru­tion sera pos­sible. Une troi­sième rap­pelle que ce sont jus­te­ment des jour­na­listes (du jour­nal Fakir) qui sont à l’o­ri­gine des Nuits debout.

Peut-on accep­ter tout le monde dans l’AG ? Ou faut-il ban­nir les jour­na­listes et les per­sonnes qui tra­vaillent, par exemple, à la mai­rie ou dans d’autres struc­tures offi­cielles liées à l’État ? Faut-il faire confiance ou plu­tôt se méfier ? Ces ques­tions revien­dront plu­sieurs fois dans la soirée…

L’assemblée géné­rale tranche fina­le­ment concer­nant la pré­sence de jour­na­listes : près de la moi­tié des per­sonnes pré­sentes votent pour que la ses­sion plé­nière (à savoir la pre­mière heure) soit publique, contrai­re­ment aux dis­cus­sions des groupes de tra­vail et à la res­ti­tu­tion. Mais la majo­rité ne s’op­pose pas à notre pré­sence durant toute l’AG. Je reste donc, à condi­tion de res­pec­ter l’anonymat des par­ti­ci­pants, « pour que cha­cun puisse s’ex­pri­mer fran­che­ment et libre­ment ». Consigne : ne pas mon­trer les visages des per­sonnes pré­sentes ni com­mu­ni­quer leurs prénoms.

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

© Yuliya Ruzhechka – www​.pla​ce​gre​net​.fr

« Les huit de Grenoble »

L’AG com­mence par la ses­sion plé­nière : bilan de la jour­née du 31 mars et point sur les inter­pel­la­tions, les lignes direc­trices pour chaque groupe de tra­vail et les ques­tions courantes.

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

Assemblée géné­rale la veille de la mani­fes­ta­tion du 5 avril 2016 à Grenoble. © Yuliya Ruzhechka – www​.pla​ce​gre​net​.fr

En ce qui concerne les douze inter­pel­la­tions du 31 mars au parc Paul Mistral, quatre per­sonnes ont été libé­rées avant la fin de la semaine, dont un mineur et un syn­di­qué CGT.

« Huit per­sonnes sont res­tées tout le week-end à Varces. Elles ont entre 18 et 21 ans. Pour cer­taines d’entre elles, c’est leur pre­mière manif », raconte l’un des citoyens pré­sents. Selon lui, pour au moins quatre per­sonnes, le pro­cu­reur récla­mait quatre mois avec sur­sis et deux mois fermes avec man­dat de dépôt.

Suite aux com­pa­ru­tions immé­diates, ces « huit de Grenoble » ont écopé de peines com­prises entre quatre et huit mois avec sur­sis, 170 heures de tra­vaux d’in­té­rêt géné­ral ou encore de dom­mages et inté­rêts (entre 200 et 500 euros) à ver­ser aux forces de l’ordre « vic­times de vio­lences ».

Les chefs d’in­cul­pa­tion ? Jets de pro­jec­tiles, vio­lences à agents, ras­sem­ble­ment illé­gal, visage mas­qué, rébel­lion… Un mani­fes­tant accusé de rébel­lion va faire l’ob­jet d’une demande de relaxe. « Il a été frappé à coups de matraque par der­rière et a passé de nom­breuses heures au CHU avec une frac­ture crâ­nienne. Évidemment, on ne sait pas si la demande de relaxe mar­chera ou pas… »

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

Une caisse de soli­da­rité a été mise en place durant la mani­fes­ta­tion du 5 avril. © Yuliya Ruzhechka

Autre sujet d’in­quié­tude : « On ne sait pas s’il y aura des pour­suites judi­ciaires pour des per­sonnes qui sont allées à l’hô­pi­tal après la mani­fes­ta­tion. »

L’assemblée com­mence à réflé­chir à des actions soli­daires pos­sibles en faveur de ces huit per­sonnes et de leur entou­rage. Parmi les pistes évo­quées : une confé­rence de presse avec les familles (si elles le sou­haitent), ou bien encore l’or­ga­ni­sa­tion d’une cagnotte afin de payer les sommes à verser…

« Les per­sonnes inter­pel­lées se sont vu refu­ser l’ap­pel à un avo­cat et en ont donc eu un com­mis d’of­fice », raconte un des citoyens qui dénonce des pra­tiques « illé­gales » : « Elles n’ont pas eu le droit non plus d’ap­pe­ler leurs parents. C’est de la vio­lence gra­tuite éta­tique, judi­ciaire et poli­cière. »

Quelle suite ?

Une des ques­tions clés ce soir-là est bien l’or­ga­ni­sa­tion de « Nuit debout ». Et sur­tout son suc­cès. « Depuis jeudi der­nier, à Paris, on orga­nise l’oc­cu­pa­tion de la place de la République. » Les clés de la réus­site pari­sienne selon des per­sonnes pré­sentes ? Une grande cou­ver­ture média­tique et la pré­sence de personnalités.

D’après un autre inter­ve­nant, la réti­cence de la mai­rie de Grenoble est due au fait que les par­ti­ci­pants à « Nuit debout – Grenoble » n’ont pas voulu com­mu­ni­quer leurs noms et pré­noms, lors de la ren­contre d’une délé­ga­tion des mani­fes­tants avec les repré­sen­tants de la Ville, le 31 mars. Finalement, pas tous : une des per­sonnes qui fai­sait par­tie de cette délé­ga­tion confirme avoir donné ses coor­don­nées et – encore mieux ! – avoir reçu dans l’a­près-midi un texto d’Élisa Martin – « Nous sommes à votre dis­po­si­tion pour le film » –, signé tout sim­ple­ment « Élisa ».

Assemblée générale. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

© Yuliya Ruzhechka – www​.pla​ce​gre​net​.fr

Après une heure de ses­sion plé­nière, le tra­vail des groupes com­mence. Il s’a­git de défi­nir le plan de com­mu­ni­ca­tion interne et externe, de poser les bases pour les actions des 5 et 9 avril, d’or­ga­ni­ser les actions de soli­da­rité avec « les huit » et une « soli­da­rité anti-répres­sion ».

En paral­lèle, un groupe de « pré­ven­tion » s’or­ga­nise autour des ques­tions de la sécu­rité et de l’aide médi­cale durant les mobilisations.

L’organisation est bien rodée. Les deux cents per­sonnes de l’as­sem­blée s’é­coutent avec res­pect, débattent sans se cou­per la parole, com­mu­niquent avec des signes non ver­baux bien défi­nis pour expri­mer leur accord ou désac­cord. Elles ont déjà créé un site, avec une page dédiée aux témoi­gnages du 31 mars, tout en réflé­chis­sant au déve­lop­pe­ment d’un « auto-média ». Entendez par là leur propre média.

Ce qu’il veulent mettre en avant ? Les aspects fes­tifs et artis­tiques de leurs mani­fes­ta­tions. Sans pour autant s’ar­rê­ter au côté diver­tis­se­ment. Un des groupes se met alors à tra­vailler sur les ques­tions de fond de « conver­gence des luttes ». Il ne s’a­git plus seule­ment de lut­ter contre la loi El Khomri, mais contre tout ce qui pro­voque ce « ras-le-bol géné­ral ».

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

« On vaut mieux que ça. » © Yuliya Ruzhechka – www​.pla​ce​gre​net​.fr

Cette dyna­mique de groupe ras­semble une diver­sité de géné­ra­tions même si les jeunes sont davan­tage repré­sen­tés. « Depuis vingt ans que je fais des mani­fes­ta­tions, je n’ai jamais vu de mobi­li­sa­tion aussi forte », assure l’un des par­ti­ci­pants en regret­tant juste que « la géné­ra­tion X » ne soit pas assez présente.

Les maîtres-mots de ce mou­ve­ment infor­mel ? L’organisation, le dyna­misme et l’en­ga­ge­ment. Ses forces ? La diver­sité des par­cours et des com­pé­tences et la volonté com­mune de « redon­ner du sens ». « L’étymologie des mots « solide » et « soli­daire » est la même », rap­pelle une des per­sonnes présentes.

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

© Yuliya Ruzhechka – www​.pla​ce​gre​net​.fr

L’AG se ter­mine peu après. Cette idée de soli­da­rité s’est concré­ti­sée le mardi 5 mars, par une mani­fes­ta­tion place Robert Schuman à Grenoble.

Pour la pre­mière fois, le « col­lec­tif Nuit debout » a dis­cuté avec des repré­sen­tants syn­di­caux. Une ren­contre néces­saire avant de pou­voir déci­der, ensemble, des grandes actions de mobi­li­sa­tion com­mune… mais citoyennes avant tout.

Yuliya Ruzhechka

NUIT DEBOUT – GRENOBLE : BIENTÔT L’ACTE II ?

La mani­fes­ta­tion gre­no­bloise du 5 avril a ras­sem­blé, dans le calme, quelques cen­taines de par­ti­ci­pants durant deux heures envi­ron. Les mani­fes­tants ont semble-t-il décidé de pré­ser­ver leurs forces pour le samedi 9 avril, jour de la “grande” mani­fes­ta­tion et de l’or­ga­ni­sa­tion d’une « Nuit debout », dont le lieu reste à définir.

Toujours est-il que cet évè­ne­ment se veut sur­tout paci­fique, fes­tif et soli­daire. Les mani­fes­tants dénoncent d’ailleurs eux-mêmes les casses de la mani­fes­ta­tion du 31 mars et ne veulent pas être confon­dus avec des « casseurs ».

Manifestation contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka - www.placegrenet.fr

La mani­fes­ta­tion contre la loi El Khomri. Grenoble, 5 avril 2016. © Yuliya Ruzhechka – www​.pla​ce​gre​net​.fr

À ce jour, la mai­rie semble vou­loir tenir son enga­ge­ment et aider à orga­ni­ser la pro­jec­tion du film Merci Patron ! La deuxième ten­ta­tive d’or­ga­ni­ser la « Nuit debout – Grenoble », abou­tira-t-elle ? Et arri­vera-t-elle à fédé­rer aussi bien qu’à Paris, y com­pris parmi les forces de l’ordre, où des CRS ont enlevé leurs casques et sont res­tés à échan­ger et dis­cu­ter avec les manifestants ?

YR

Auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

A lire aussi sur Place Gre'net

Palais de justice de Grenoble. © Joël Kermabon - Place Gre'net
Meurtre d’une jeune Lyonnaise dans le Val d’Aoste : le sus­pect, jugé à Grenoble, accepte son extra­di­tion vers l’Italie

EN BREF - Le jeune Italien de 21 ans soupçonné d'avoir tué sa compagne, une jeune Lyonnaise de 22 ans retrouvée morte poignardée le 5 Lire plus

Le groupe Zoufris Maracas. © Nicolas Baghir
Festival Magic Bus 2024 : une édi­tion sous le signe de l’i­ti­né­rance dans huit lieux de l’ag­glo­mé­ra­tion grenobloise

ÉVÈNEMENT - La 23e édition du festival Magic Bus organisée par l'association Retour de scène aura lieu du 27 avril au 4 mai 2024 à Lire plus

Alouette des champs. © Christian Aussaguel
Auvergne-Rhône-Alpes : la LPO alerte sur la « dis­pa­ri­tion inquié­tante » des oiseaux des milieux agricoles

FLASH INFO - La LPO Auvergne-Rhône-Alpes s'alarme, dans un communiqué publié le 9 avril 2024, de la "disparition inquiétante" des oiseaux des milieux agricoles. Un Lire plus

Scission chez les ex-fron­deurs à Grenoble : le nou­veau groupe Place publique et GDES se ren­voient la responsabilité

FOCUS - Anouche Agobian, Maxence Alloto et Barbara Schuman ont présenté, lundi 22 avril 2024, leur nouveau groupe, Place publique social démocrate, à la Ville Lire plus

Alpes Insertion conteste vivement le reportage (et ses méthodes) de Cash Investigation à son endroit
Alpes Insertion conteste vive­ment les pro­pos tenus dans le repor­tage de Cash Investigation

DROIT DE SUITE - Après un reportage accablant de Cash Investigation sur Fontaine Insertion en janvier 2024 et un rassemblement syndical devant ses locaux en Lire plus

Mobilisation pour des aménagements sécurisés. Crédit Collectif pour l'aménagement cyclable de la Combe de Gières
Piste cyclable dans la combe de Gières : les élus éco­lo­gistes du Département sou­tiennent la péti­tion citoyenne métropolitaine

FLASH INFO - Le groupe Isère écologie et solidarités (IES) au Département a appelé, jeudi 18 avril 2024, à signer la pétition citoyenne métropolitaine pour Lire plus

Flash Info

Les plus lus

Agenda

Je partage !