REPORTAGE – Associations, collectifs et “simples” citoyens se sont donné rendez-vous, ce vendredi 25 mars, devant les locaux du Conseil départemental de l’Isère. Objectif : exprimer leur colère et leur inquiétude vis-à-vis des nouvelles orientations sociales de la majorité, en particulier celles concernant l’Aide sociale à l’enfance.
« C’est l’ensemble des pauvres qu’on attaque ! » Au micro, devant l’Hôtel du Département, opinions et témoignages se succèdent, dans toutes les langues et sur tous les tons. Pendant ce temps, à l’intérieur du bâtiment, l’assemblée départementale est en train de délibérer, notamment sur les orientations budgétaires en matière de politique sociale. Ce n’est donc pas un hasard si de nombreuses associations et collectifs militants s’y sont donné rendez-vous, ce vendredi 25 mars au matin.
Parmi les sujets d’inquiétudes, le sort des missions locales ou des allocataires du RSA, désormais lié, pour ces derniers, au « principe de réciprocité ». Mais ce sont les décisions concernant l’Aide sociale à l’enfance (Ase) qui échauffent le plus les esprits des personnes présentes ce matin-là.
En cause, un nouvel avenant au règlement de l’Ase de l’Isère qui crée une distinction entre familles. Depuis le 26 février 2016, celles ne disposant pas d’un droit au séjour en France ne peuvent en effet plus prétendre aux aides mensuelles auxquelles elles avaient droit jusqu’alors.
Les associations dénoncent également « la réduction à quatre versements par an pour toutes les autres familles précaires de droit commun ».
« Une vraie régression »
« C’est une vraie régression. Quand on dit que les familles les plus pauvres n’auront plus droit du tout à l’aide d’urgence mais pourront aller dans les associations caritatives pour avoir des repas, on les déshumanise, on leur fait perdre toute dignité… La charité n’a jamais remplacé un modèle de protection sociale ! », s’indigne Jeanne du collectif Hébergement logement.
« Les publics en précarité ne doivent pas subir les choix budgétaires et les problèmes de financement des collectivités », dénonce par ailleurs un communiqué diffusé à l’occasion de la manifestation, signé par un grand nombre d’acteurs sociaux – parmi lesquels la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), Un toit pour tous, le Réseau éducation sans frontières (RESF), La Patate chaude ou le Droit au logement (Dal) – et quelques partis politiques – le Parti communiste Français ou Europe-Écologie les Verts.
Mais les « problèmes de financement » ne sont pas seuls en cause. Les manifestants ne manquent ainsi pas de décrier les investissements annoncés, et cela dès la prise de fonction du président Jean-Pierre Barbier, voilà un an. Jeanne tempête : « On se lance dans de grands projets pour faire travailler de grandes boîtes, selon une idéologie libérale qui considère qu’en donnant de l’argent aux riches, cela retombera sur les pauvres. Mais ces grands projets ne servent en réalité à rien, et la ville du futur ne se fera pas sans les milliers de personnes que l’on met à la rue pour réaliser ces investissements ! »
440 familles seraient concernées
Sur place, également, des mères de familles qui disent déjà ressentir les effets de ces nouvelles orientations. Comme Naima et Reiha, originaires d’Algérie et déboutées du droit d’asile. Elles racontent leurs problèmes de logement, l’impossibilité de travailler sans titre de séjour. Mais aussi la pauvreté et ses effets sur les enfants qu’elles jugent désastreux et traumatisants.
« Le Conseil départemental nous dit qu’il ne nous aide plus parce que nous sommes étrangers. Le 115 nous dit qu’ils n’ont plus de place. Il n’y a pas de solution… »
Contrairement à Naima et Reiha, Sophie, Tunisienne, dispose d’un titre de séjour. « Je vis dans un foyer, avec trois enfants. Quand je demande un logement, on me répond qu’il y a des Français qui dorment dans leur voiture… Quel est le rapport ? C’est juste une manière de nous dire de dégager ! »
Au moins 440 familles devraient être concernées par cette suppression d’aides financières, à en croire les associations qui s’indignent que les travailleurs sociaux n’aient pas été consultés au sujet de ces nouvelles orientations.
Les associations inquiètes… pour leur avenir
« Contrairement au principe de collaboration annoncé notamment dans Isère Mag, cette réforme a été votée en commission permanente, une assemblée à huis clos, fermée au public et aux médias », dénoncent les associations manifestantes.
Et ces dernières de redouter les conséquences pour elles-mêmes de cette décision, craignant de « voir exploser la demande des familles précarisées, sans augmentation de leurs moyens pour y répondre convenablement. Leur fonctionnement interne sera nécessairement impacté : la convivialité qu’elles essaient de maintenir dans leur prise en charge ne fera pas le poids face à l’urgence. »
Ainsi, si certaines affiches déployées sur les murs de l’Hôtel du Département affirment que le « Conseil départemental affame les pauvres », les structures qui viennent en aide aux plus précaires semblent bien avoir peur, elles aussi, de finir par mourir de faim…
Florent Mathieu
Prochainement sur Place Gre’net, l’interview de Jean-Pierre Barbier, président du conseil départemental de l’Isère. Celui-ci s’exprimera notamment sur les nouvelles orientations sociales du Département.