FOCUS – Six minutes de solidarité avant le dernier James Bond, c’est ce que le cinéma Le Club va proposer à ses spectateurs durant quinze jours. À compter du 2 décembre, toutes les séances des films à l’affiche du cinéma seront précédées d’un des trois courts-métrages écrits et coréalisés par le groupe Archimède. Des œuvres dédiées aux valeurs d’entraide et de dépassement des préjugés sociaux.
Faire du cinéma, raconter autrement leur parcours, leur expérience ou leur ressenti. Telle est l’idée de départ autour de laquelle s’est monté le groupe de “précaires” nommé Archimède. Comme le “clochard” incarné par Gabin en 1959, sous la direction de Gilles Grangier, ou la figure de l’homme qui trouve et peut s’exclamer « Eurêka ! » Un projet né, parmi d’autres initiatives, sous l’égide du Service local de solidarité (SLS), une structure située Caserne de Bonne gérée par le Département de l’Isère.
Mais l’écriture, la réalisation, le jeu ou la direction d’acteurs ne s’improvisent pas. C’est avec le soutien financier du Conseil départemental et grâce à l’accompagnement de deux professionnels de la société Cinedia, Thomas Groc et Denis Ramos, que le projet a pu se faire.
C’est ainsi que sont nés Les Toiles d’Archimède, trois courts-métrages de six à sept minutes chacun, qui seront diffusés par le cinéma Le Club du 2 au 15 décembre, en début de chaque séance. Y compris avant le dernier James Bond.
Trois ambiances bien différentes
Trois courts-métrages et trois ambiances bien différentes. Le premier, Le Théorème d’Archimède, est un film sans dialogues, où les regards – et les silences – suffisent à évoquer la transmission de la solidarité, d’une génération à une autre. Le second, Un autre regard, s’articule autour de dialogues vifs, parfois improvisés, pour raconter comment chacun peut dépasser ses a priori négatifs sur la précarité ou “l’assistanat”, en poussant par exemple la porte… du Service local de solidarité de la Caserne de Bonne.
Le troisième court-métrage, L’Étoile du berger, adopte lui les codes d’un road-movie à la française, en contant la rencontre entre un ex-berger venu « de l’autre côté de la montagne » et un SDF arrivé « de l’autre côté de la mer ». Se rejoignant dans leur solitude, les deux amis, plongés dans le ciel et rêvant d’étoiles, devisent avec poésie des différences qui les rapprochent plus qu’elles ne les éloignent.
« Ce qui est important dans un film, c’est la pertinence et la force d’un vécu. Il faut avoir des choses à dire, il faut savoir comment les dire », estime Denis Ramos à la sortie de la projection en avant-première des trois films. Avant de confier sa vision de la solidarité : « Aider l’autre, ce n’est pas aider un groupe. L’autre n’est pas pluriel. Le travail que nous avons effectué essaye de cerner ce qu’est l’individuel, tous ces parcours compliqués et difficiles à exprimer. »
Une initiative qui ne restera pas sans lendemain
Les acteurs seront moins bavards, timides et surtout forcément émus après s’être vus sur la toile d’un écran de cinéma. « Je ne me suis pas reconnu ! », confie Gilles, sans se départir d’un demi-sourire. Lui qui ne voulait pas s’afficher devant la caméra campe finalement le berger des étoiles. « J’ai voulu rendre hommage à un ami qui était berger et que je connaissais bien. C’est pour lui. Sinon, je ne l’aurais pas fait. »
Sur le site des Toiles d’Archimède, Gilles invite actuellement les visiteurs à rejoindre son atelier d’écriture. Aux côtés de Sasha, qui voudrait trouver de l’aide dans l’édition, ou encore de Charly qui a le projet de créer une artothèque sur Grenoble.
Deux exemples parmi d’autres de l’ensemble des messages vidéos proposés par les membres du groupe Archimède. Pour eux, c’est une évidence : pas question de laisser cette aventure cinématographique – et tout ce qu’elle a pu leur apporter – sans lendemain.
Car le dépassement naturel de l’initiative – au-delà de sa volonté artistique et solidaire – est aussi un travail de reprise de confiance en soi et une action vouée à la réalisation de projets ou l’insertion sociale et professionnelle. Sans renier ses rêves, et tout ce qui fait la spécificité et la valeur de chaque individu.
Quant aux trois courts-métrages, ceux qui n’auront pas la chance de les voir sur grand écran pourront les visionner sur TéléGrenoble, la chaîne s’étant proposée de les “faire tourner” sur son canal durant les vacances de fin d’année. En attendant, espèrent les réalisateurs, une mise en ligne sur YouTube l’année prochaine.
Florent Mathieu
JEAN-PIERRE BARBIER : « DES COURTS-MÉTRAGES REMARQUABLES D’HUMANITÉ ET DE SINCÉRITÉ »
« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger. » Présent à l’avant-première des Toiles d’Archimède, le président du Conseil départemental a ainsi repris Montaigne dans son propos d’introduction. Avant d’ajouter : « Quand on est élu, cela doit être notre fil conducteur, et particulièrement quand on parle d’insertion. »
Si les grandes lignes théoriques de la politique sociale de la nouvelle majorité départementale sont fixées, les modalités d’action ou d’application demeurent encore imprécises. Une chose semble certaine toutefois : Jean-Pierre Barbier est séduit par une initiative comme celle du groupe Archimède et ne tarit pas d’éloges au sortir de la projection. Des courts-métrages « remarquables d’humanité et de sincérité » pour un « résultat fantastique ». Qu’il interprète à l’aune de la notion de « réciprocité » qui lui est chère.
« Il faut changer le regard sur la solidarité. On sait que la collectivité ne peut pas tout apporter : en donnant la possibilité aux gens de donner à leur tour, on s’aperçoit qu’ils donnent, qu’ils donnent même énormément, et qu’ils donnent pour s’en sortir eux-mêmes. Parce que c’est cela, la solidarité. Ce n’est pas de tout apporter aux gens, mais de changer le regard qu’ils ont sur eux-mêmes pour leur donner envie de s’en sortir. »
Et quand des participants à cette soirée d’avant-première évoquent un « festival du court-métrage solidaire » sur Grenoble, Jean-Pierre Barbier n’évacue pas l’idée de le soutenir, même financièrement. « La culture est quelque chose d’essentiel à la cohésion de notre société. Avec toutes les difficultés que nous traversons aujourd’hui, la culture est la solution. Dans quelques semaines, vous verrez le budget du Conseil départemental, et vous verrez la manière dont nous traitons la culture ! » Rendez-vous est pris.