ENTRETIEN – Caroline Guiela Nguyen fait partie de cette nouvelle génération de metteurs en scène adoubée par la critique comme par le public. Sa dernière pièce, Le Chagrin, est programmée à la MC2 du 1er au 5 décembre. On y observe le manège, délicieusement régressif, d’un frère et d’une sœur confrontés à l’absence du père.
On prête à cette dernière décennie théâtrale un parfum de renouveau. L’esprit de collectif, déjà à l’œuvre dans les années 1970, se réinvite sur les planches.
Un retour à la création collégiale qu’incarne, notamment, la compagnie Les Hommes approximatifs, basée à Valence.
Terminée l’hégémonie de l’auteur et du metteur en scène ?
Chez la plupart des collectifs et compagnies refusant la création hiérarchisée, les médias – nous compris – retiennent surtout la figure du metteur en scène… À tort ?Caroline Guiela Nguyen, jeune metteure en scène, explique la manière de créer de sa compagnie.
Pourquoi ce travail collectif ?
En groupe, on est plus fort. Sans l’affirmer de façon politique au début, j’ai simplement constaté que c’était réel. Nos spectacles sont plus forts que quand j’étais toute seule dans mon coin à rêver sans les membres de la compagnie.
Malgré tout, je reste à l’initiative des projets. Ne pas hiérarchiser les choses ne veut pas dire que tout le monde fait tout. Moi, je mets vraiment en scène et l’éclairagiste réalise la création lumière… On avance tous ensemble dans la création avec nos outils propres.
Autre notion importante qui va souvent de pair avec le travail en collectif : l’écriture au plateau. Pour Le Chagrin, n’y avait-il aucun texte préexistant ?
C’est la première fois qu’on ne part d’aucune matière textuelle. Sur Elle brûle (précédent spectacle de la compagnie, ndlr), on était parti de L’ Adversaire d’Emmanuel Carrère et de Madame Bovary de Flaubert. Pour Le Chagrin, on est parti davantage de la notion de chagrin et d’une situation : un frère et une sœur qui se retrouvent après la mort de leur père. Ensuite, les comédiens cherchent, improvisent. Je filme. On discute. Il y a tout un travail de montage, proche du cinéma, jusqu’à ce qu’on arrive à l’histoire.
Têtes de poupées agglomérées, jouets dégueulant du four, bric-à-brac impensable baignant dans une lumière bleutée… La scénographie du Chagrin est si marquante que critiques et spectateurs en parlent presque davantage que du récit ou du jeu. Comment le décor s’est-il inventé avec Alice Duchange, la scénographe ?
Je travaille avec la scénographe non pas pour qu’elle réponde à une demande de ma part mais pour qu’on invente ensemble un imaginaire commun. Alice m’a parlé d’art brut, moi de temples au Mexique… La scénographie est très importante pour nous car elle est là dès le premier jour des répétitions. Les acteurs vont improviser dans ce cadre.
Ce décor, d’abord imaginé pour la petite scène de La Fabrique de Valence, réclame de la proximité pour en percevoir les détails. Est-ce que la salle René Rizzardo de la MC2, plus vaste, permettra cela ?
Il y a eu des inquiétudes mais c’est fini parce qu’on l’a jouée de nombreuses fois dans des salles plus grandes que la salle René Rizzardo de la MC2. Ce n’est pas exactement le même rapport, c’est certain. Mais le spectacle n’est pas dénaturé par la salle.
Au moment de la création, ça avait été très important pour nous cette intimité et puis on est vite parti sur des plateaux plus grands. Et en fait, le spectacle s’est agrandi à la hauteur des plateaux…
À Valence, la pièce du décor a des dimensions réalistes. Elle pourrait s’apparenter à une chambre, un salon… Dans les autres salles, la scéno s’est élargie de deux mètres donc on n’est plus du tout dans des proportions réalistes. Du coup, les spectateurs ne peuvent plus avoir cette interprétation réaliste de l’espace. Ils ne sont plus dans une pièce… mais dans une fabrique à chagrin. C’est plus abstrait. Et finalement on avait pensé l’espace comme ça.
Il est question de deuil dans la pièce mais le rire affleure très souvent via le caractère parfois absurde du texte et des situations. Comment le public reçoit ces variations de registre ?
Ça dépend. Le spectacle est construit sur un terrain sismique dans le sens où, comme il est bâti sur des improvisations, il varie d’une représentation à l’autre. Certaines sont plus mélancoliques, d’autres plus lumineuses. Dans d’autres encore, le jeu de l’enfance va davantage percer, ou au contraire la mort va être plus présente. Ces variations-là, j’aime beaucoup qu’elles continuent à exister, que chaque soir, finalement, les acteurs entrent dans une nouvelle histoire à déplier.
Ça dépend du public aussi, le spectacle est très poreux. Les gens ne rient pas à la même chose.
Propos recueillis par Adèle Duminy
INFOS PRATIQUES
4 rue Paul Claudel
« Le Chagrin », de la cie Les Hommes approximatifs
Mardi 1er et vendredi 4 décembre, à 20 h 30
Mercredi 2, jeudi 3 et samedi 5 décembre, à 19 h 30
De 6 à 25 euros