ENTRETIEN – « Yoga santé et prison ». Trois mots qui résument la thématique de la conférence qui se tient ce vendredi 19 juin à la Maison du tourisme de Grenoble : parler de la santé en milieu carcéral au travers du prisme de la pratique du yoga et en s’appuyant sur l’exemple de la maison d’arrêt de Varces. Organisée par l’Union des enseignants de yoga de l’Isère (UEYI), elle invite à prendre part à la discussion professeurs de yoga, médecins, infirmiers, psychologues, kinésithérapeutes et visiteurs de prison. A cette occasion, André Weill, professeur de yoga intervenant depuis sept ans à Varces, témoigne de son expérience de terrain.
Pourquoi organiser une conférence sur le thème « yoga santé et prison » pour le grand public ?
La première motivation est de « faire savoir ». Or la prison est un milieu très peu connu du grand public. Pour des raisons sociales et sécuritaires, mais aussi parce que les gens qui ont vécu une détention ont des sentiments mélangés de culpabilité ou une réticence à parler de quelque chose qui a été dur et violent. Deuxièmement, la conférence est ciblée sur les spécificités des problèmes de santé en milieu carcéral et les réponses que peut apporter la pratique du yoga.
A la maison d’arrêt de Varces, nous avons un retour d’expérience de sept ans. C’est le docteur Olivier Jenny qui, à l’automne 2008, m’a demandé de mettre en place un module d’enseignement du yoga. Il était alors responsable de l’antenne santé détachée sur place et directement dépendante du CHU de Grenoble.
Quelles sont les principales spécificités des problèmes de santé liés à la détention ?
Au niveau physique, il s’agit essentiellement de problèmes de dos qui découlent de l’enfermement et du manque de confort des cellules. Ils sont à deux dans des cellules de trois mètres sur trois et se plaignent des matelas. Certains y restent 22 heures sur 24, entrecoupées par deux sorties d’une heure chacune dans une cour. D’autres suivent des ateliers ou des formations et sortent un peu plus. Le kinésithérapeute qui intervient et qui sera là vendredi soir anime des modules dos axés sur ces problèmes.
Mais, au-delà de l’aspect purement physique, la prison est une concentration de misère absolue, de malheur, de souffrance et de violence. C’est un constat. Il ne s’agit pas ici d’entrer dans un débat sans fin sur la nécessité de tels lieux. La plupart des détenus sont en souffrance depuis longtemps. S’ils ont commis les crimes dont ils sont accusés, c’est qu’ils n’étaient pas bien. Ils ont des stress incroyables. Tous pensent un jour ou l’autre à retourner la violence contre eux par le suicide ou bien sur les autres et leur « casser la gueule ». La culpabilité et la haine sont tellement fortes que c’est insupportable. On touche ici à la dimension psychosomatique.
Tout intervenant, quel qu’il soit, ne sort d’ailleurs pas indemne d’un tel lieu.
Qui peut participer à vos séances et quelles sont vos conditions de travail ?
C’est le CHU qui décide à qui il propose de participer aux séances. Il y a une partie de la population que je ne vois pas. Ce sont, par exemple, les personnes sous traitement médical qui restent allongées dans leurs cellules ou pour lesquelles le psychiatre estime que c’est trop dangereux. Je ne vois pas non plus les mineurs, qui sont à part.
J’anime une séance hebdomadaire pour un groupe de dix personnes, or ils sont 300 ou 320 incarcérés sur Varces. Il y a donc une liste d’attente et, une fois dans le groupe, si les participants ne viennent pas deux fois de suite, ils sont exclus.
Les conditions matérielles sont minimalistes, mais surtout ce n’est pas du tout le contexte d’une salle de yoga ordinaire. Le bruit est quasi omniprésent. Nous sommes juste au-dessus du quartier disciplinaire, donc on entend parfois taper sur les murs et les portes. D’une manière générale, les couloirs sont bruyants et les échanges avec le personnel peuvent être brutaux.
Quel est le comportement des détenus à votre égard ? Vous sentez-vous en insécurité ?
Les deux premiers mois, j’étais face à l’inconnu puis, un peu comme à tout, on s’habitue. Une des difficultés est que des gens qui ne se supportent pas peuvent se retrouver ensemble. Les rivalités sont très fortes, notamment envers les délinquants sexuels. Ça, c’est dangereux et je prends quelques précautions particulières comme ne jamais mettre la pièce dans le noir et ne pas proposer certaines postures pour ne pas provoquer de gène.
Mais je ressens très peu d’insécurité pour ma personne. Si quelques détenus pètent les plombs, ce n’est jamais dirigé contre moi directement. Par exemple, il y a quinze jours, quelqu’un venait d’apprendre qu’il allait se faire extrader du territoire français vers le Magrheb, avec interdiction de revenir en France alors qu’il a sa famille ici. Il hurlait qu’il allait faire le djihad et revenir avec des kalachnikovs. C’était violent et impressionnant mais, encore une fois, pas dirigé contre moi. Un autre exemple date de ce matin. Une personne a agressé pendant plusieurs minutes un surveillant juste derrière la porte.
Pour répondre totalement à la question, je suis à peu près sûr que si j’étais agressé par un détenu les neuf autres prendraient ma défense. Ils adorent ce cours. Je fais partie de la maison et, pour eux, c’est un tel soulagement de participer aux séances que je crois que je suis intouchable, même si tout peut arriver.
Quelles sont vos observations sur les bénéfices et les changements apportés par la pratique du yoga aux détenus ?
D’abord une grosse motivation pour venir est de parler entre eux. Retrouver des copains, des coreligionnaires, des compatriotes, parler leur langue ou simplement sortir et parler. Les Roms aiment bien se retrouver, par exemple. Ce n’est pas spécifique au yoga. Ce serait un atelier de couture, ils viendraient.
Mais en tant que professeur de yoga, j’ai une formation pédagogique et psychologique. Ils savent qu’ils peuvent venir me demander des conseils pour toute sorte de bobologie ou par rapport à leur stress.
Concernant la pratique directe du yoga, elle intervient sur la dimension psychosomatique, au travers des postures et de la respiration. Lors des retours de fin de cours, ils me disent que pendant 1 heure 30 ils ne se sentent plus en prison. Ils découvrent un bien-être qu’ils ne connaissaient pas, pour certains, depuis leur naissance. Les visages, les comportements, les sourires, la manière d’être avec les autres, la gratitude qu’ils expriment changent avec le temps.
Restons modestes, c’est quand cela fonctionne que je l’observe. Cela représente environ un tiers des cas. Certains semblent très intéressés et participent fortement au début, puis il apparaît une certaine usure. Ils n’y croient plus et ils décrochent. D’autres arrêtent parce qu’ils n’aiment pas, tout simplement.
Quelques-uns me demandent des petites fiches pour continuer à pratiquer en cellule. C’est évident qu’ils pratiquent car je les vois progresser en trois, quatre ou cinq mois. À peu près la moitié se renseigne pour trouver des cours après leur sortie. Je ne sais pas quelle suite ils donnent mais, en tout cas, ils posent la question. C’est un peu exceptionnel mais deux personnes ont même demandé à suivre la formation pour enseigner le yoga. Il arrive que certains m’écrivent après leur sortie et c’est une preuve très forte que j’ai quant à l’intérêt de ce qu’on leur propose. Le personnel du CHU – notamment les psychologues – a également repéré les bénéfices apportés par le yoga. Les visiteurs de prison ont, eux aussi, des retours indirects. Les détenus leur parlent des séances.
Propos recueillis par Delphine Chappaz
INFOS PRATIQUES
Pour assister à cette soirée d’échanges, rendez-vous le vendredi 19 juin, à 20 heures, à la Maison du tourisme, 14 rue de la République, à Grenoble.
Entrée libre.
Pour plus d’informations, contacter par mail André Weill, coordinateur de la soirée, à l’adresse suivante : yoga-sante-prison [at] orange.fr ou sur le site de l’Union des enseignants de yoga de l’Isère.