André Weill, enseignant de yoga à Grenoble et marcheur. DR

André Weill : “Pendant le yoga, ils ne se sentent plus en prison”

André Weill : “Pendant le yoga, ils ne se sentent plus en prison”

ENTRETIEN – « Yoga santé et pri­son ». Trois mots qui résument la thé­ma­tique de la confé­rence qui se tient ce ven­dredi 19 juin à la Maison du tou­risme de Grenoble : par­ler de la santé en milieu car­cé­ral au tra­vers du prisme de la pra­tique du yoga et en s’ap­puyant sur l’exemple de la mai­son d’ar­rêt de Varces. Organisée par l’Union des ensei­gnants de yoga de l’Isère (UEYI), elle invite à prendre part à la dis­cus­sion pro­fes­seurs de yoga, méde­cins, infir­miers, psy­cho­logues, kiné­si­thé­ra­peutes et visi­teurs de pri­son. A cette occa­sion, André Weill, pro­fes­seur de yoga inter­ve­nant depuis sept ans à Varces, témoigne de son expé­rience de terrain.

André Weill, enseignant de yoga à Grenoble et marcheur. DR

André Weill, ensei­gnant de yoga à Grenoble. DR

Pourquoi orga­ni­ser une confé­rence sur le thème « yoga santé et pri­son » pour le grand public ?

La pre­mière moti­va­tion est de « faire savoir ». Or la pri­son est un milieu très peu connu du grand public. Pour des rai­sons sociales et sécu­ri­taires, mais aussi parce que les gens qui ont vécu une déten­tion ont des sen­ti­ments mélan­gés de culpa­bi­lité ou une réti­cence à par­ler de quelque chose qui a été dur et violent. Deuxièmement, la confé­rence est ciblée sur les spé­ci­fi­ci­tés des pro­blèmes de santé en milieu car­cé­ral et les réponses que peut appor­ter la pra­tique du yoga.

A la mai­son d’ar­rêt de Varces, nous avons un retour d’ex­pé­rience de sept ans. C’est le doc­teur Olivier Jenny qui, à l’au­tomne 2008, m’a demandé de mettre en place un module d’en­sei­gne­ment du yoga. Il était alors res­pon­sable de l’an­tenne santé déta­chée sur place et direc­te­ment dépen­dante du CHU de Grenoble.

Quelles sont les prin­ci­pales spé­ci­fi­ci­tés des pro­blèmes de santé liés à la détention ?

Au niveau phy­sique, il s’a­git essen­tiel­le­ment de pro­blèmes de dos qui découlent de l’en­fer­me­ment et du manque de confort des cel­lules. Ils sont à deux dans des cel­lules de trois mètres sur trois et se plaignent des mate­las. Certains y res­tent 22 heures sur 24, entre­cou­pées par deux sor­ties d’une heure cha­cune dans une cour. D’autres suivent des ate­liers ou des for­ma­tions et sortent un peu plus. Le kiné­si­thé­ra­peute qui inter­vient et qui sera là ven­dredi soir anime des modules dos axés sur ces problèmes.

Mais, au-delà de l’as­pect pure­ment phy­sique, la pri­son est une concen­tra­tion de misère abso­lue, de mal­heur, de souf­france et de vio­lence. C’est un constat. Il ne s’a­git pas ici d’en­trer dans un débat sans fin sur la néces­sité de tels lieux. La plu­part des déte­nus sont en souf­france depuis long­temps. S’ils ont com­mis les crimes dont ils sont accu­sés, c’est qu’ils n’é­taient pas bien. Ils ont des stress incroyables. Tous pensent un jour ou l’autre à retour­ner la vio­lence contre eux par le sui­cide ou bien sur les autres et leur « cas­ser la gueule ». La culpa­bi­lité et la haine sont tel­le­ment fortes que c’est insup­por­table. On touche ici à la dimen­sion psychosomatique.

Tout inter­ve­nant, quel qu’il soit, ne sort d’ailleurs pas indemne d’un tel lieu.

Les barbelés et les miradors de la maison d'arrêt de Varces, près de Grenoble en Isère, prison où André Weill donne des cours de yoga aux détenus. © Paul Turenne - placegrenet.fr

Les bar­be­lés et les mira­dors autour de la mai­son d’ar­rêt de Varces. © Paul Turenne – pla​ce​gre​net​.fr

Qui peut par­ti­ci­per à vos séances et quelles sont vos condi­tions de travail ?

C’est le CHU qui décide à qui il pro­pose de par­ti­ci­per aux séances. Il y a une par­tie de la popu­la­tion que je ne vois pas. Ce sont, par exemple, les per­sonnes sous trai­te­ment médi­cal qui res­tent allon­gées dans leurs cel­lules ou pour les­quelles le psy­chiatre estime que c’est trop dan­ge­reux. Je ne vois pas non plus les mineurs, qui sont à part.
J’anime une séance heb­do­ma­daire pour un groupe de dix per­sonnes, or ils sont 300 ou 320 incar­cé­rés sur Varces. Il y a donc une liste d’at­tente et, une fois dans le groupe, si les par­ti­ci­pants ne viennent pas deux fois de suite, ils sont exclus.

Les condi­tions maté­rielles sont mini­ma­listes, mais sur­tout ce n’est pas du tout le contexte d’une salle de yoga ordi­naire. Le bruit est quasi omni­pré­sent. Nous sommes juste au-des­sus du quar­tier dis­ci­pli­naire, donc on entend par­fois taper sur les murs et les portes. D’une manière géné­rale, les cou­loirs sont bruyants et les échanges avec le per­son­nel peuvent être brutaux.

Quel est le com­por­te­ment des déte­nus à votre égard ? Vous sen­tez-vous en insécurité ?

Grille avec un panneau Ministère de la Justice Administration pénitentiaire à l'extérieur de la maison d'arrêt de Varces, près de Grenoble en Isère, prison où André Weill donne des cours de yoga aux détenus. © Paul Turenne - placegrenet.fr

© Paul Turenne – pla​ce​gre​net​.fr

Les deux pre­miers mois, j’é­tais face à l’in­connu puis, un peu comme à tout, on s’ha­bi­tue. Une des dif­fi­cul­tés est que des gens qui ne se sup­portent pas peuvent se retrou­ver ensemble. Les riva­li­tés sont très fortes, notam­ment envers les délin­quants sexuels. Ça, c’est dan­ge­reux et je prends quelques pré­cau­tions par­ti­cu­lières comme ne jamais mettre la pièce dans le noir et ne pas pro­po­ser cer­taines pos­tures pour ne pas pro­vo­quer de gène.

Mais je res­sens très peu d’in­sé­cu­rité pour ma per­sonne. Si quelques déte­nus pètent les plombs, ce n’est jamais dirigé contre moi direc­te­ment. Par exemple, il y a quinze jours, quel­qu’un venait d’ap­prendre qu’il allait se faire extra­der du ter­ri­toire fran­çais vers le Magrheb, avec inter­dic­tion de reve­nir en France alors qu’il a sa famille ici. Il hur­lait qu’il allait faire le dji­had et reve­nir avec des kalach­ni­kovs. C’était violent et impres­sion­nant mais, encore une fois, pas dirigé contre moi. Un autre exemple date de ce matin. Une per­sonne a agressé pen­dant plu­sieurs minutes un sur­veillant juste der­rière la porte.

Pour répondre tota­le­ment à la ques­tion, je suis à peu près sûr que si j’é­tais agressé par un détenu les neuf autres pren­draient ma défense. Ils adorent ce cours. Je fais par­tie de la mai­son et, pour eux, c’est un tel sou­la­ge­ment de par­ti­ci­per aux séances que je crois que je suis intou­chable, même si tout peut arriver.

Quelles sont vos obser­va­tions sur les béné­fices et les chan­ge­ments appor­tés par la pra­tique du yoga aux détenus ?

D’abord une grosse moti­va­tion pour venir est de par­ler entre eux. Retrouver des copains, des core­li­gion­naires, des com­pa­triotes, par­ler leur langue ou sim­ple­ment sor­tir et par­ler. Les Roms aiment bien se retrou­ver, par exemple. Ce n’est pas spé­ci­fique au yoga. Ce serait un ate­lier de cou­ture, ils viendraient.

Mais en tant que pro­fes­seur de yoga, j’ai une for­ma­tion péda­go­gique et psy­cho­lo­gique. Ils savent qu’ils peuvent venir me deman­der des conseils pour toute sorte de bobo­lo­gie ou par rap­port à leur stress.

Un cours de yoga en prison (illustration). DR

Un cours de yoga en pri­son (illus­tra­tion). DR

Concernant la pra­tique directe du yoga, elle inter­vient sur la dimen­sion psy­cho­so­ma­tique, au tra­vers des pos­tures et de la res­pi­ra­tion. Lors des retours de fin de cours, ils me disent que pen­dant 1 heure 30 ils ne se sentent plus en pri­son. Ils découvrent un bien-être qu’ils ne connais­saient pas, pour cer­tains, depuis leur nais­sance. Les visages, les com­por­te­ments, les sou­rires, la manière d’être avec les autres, la gra­ti­tude qu’ils expriment changent avec le temps.

Restons modestes, c’est quand cela fonc­tionne que je l’ob­serve. Cela repré­sente envi­ron un tiers des cas. Certains semblent très inté­res­sés et par­ti­cipent for­te­ment au début, puis il appa­raît une cer­taine usure. Ils n’y croient plus et ils décrochent. D’autres arrêtent parce qu’ils n’aiment pas, tout simplement.

Quelques-uns me demandent des petites fiches pour conti­nuer à pra­ti­quer en cel­lule. C’est évident qu’ils pra­tiquent car je les vois pro­gres­ser en trois, quatre ou cinq mois. À peu près la moi­tié se ren­seigne pour trou­ver des cours après leur sor­tie. Je ne sais pas quelle suite ils donnent mais, en tout cas, ils posent la ques­tion. C’est un peu excep­tion­nel mais deux per­sonnes ont même demandé à suivre la for­ma­tion pour ensei­gner le yoga. Il arrive que cer­tains m’é­crivent après leur sor­tie et c’est une preuve très forte que j’ai quant à l’in­té­rêt de ce qu’on leur pro­pose. Le per­son­nel du CHU – notam­ment les psy­cho­logues – a éga­le­ment repéré les béné­fices appor­tés par le yoga. Les visi­teurs de pri­son ont, eux aussi, des retours indi­rects. Les déte­nus leur parlent des séances.

Propos recueillis par Delphine Chappaz

INFOS PRATIQUES

Pour assis­ter à cette soi­rée d’échanges, ren­dez-vous le ven­dredi 19 juin, à 20 heures, à la Maison du tou­risme, 14 rue de la République, à Grenoble.

Entrée libre.

Pour plus d’informations, contac­ter par mail André Weill, coor­di­na­teur de la soi­rée, à l’adresse sui­vante : yoga-sante-pri­son [at] orange​.fr ou sur le site de l’Union des ensei­gnants de yoga de l’Isère.

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