FOCUS – Ce dimanche 10 mai, un bouquetin mâle âgé de 18 ans a été capturé, puis abattu dans les gorges de la Bourne, dans la Drôme. Un abattage qui a été autorisé par arrêté préfectoral bien que le bouquetin des Alpes soit une espèce protégée depuis la loi du 10 juillet 1976. Les réactions ne se sont pas fait attendre.
Il s’appelait Bleu-Bleu, était âgé de 18 ans et vivait depuis 2002 dans le Parc naturel régional du Vercors. Dimanche 10 mai, ce bouquetin mâle suivi depuis près de treize années par le Parc a été volontairement abattu par un agent de l’Office national de la chasse et de la faune Sauvage.
L’animal, repéré, le jour-même par la gendarmerie de la Chapelle-en-Vercors sur la route départementale 531, dans les gorges de la Bourne, a été capturé dans un premier temps par les gendarmes, avant d’être tué sur décision préfectorale. Dans cet arrêté dont nous nous sommes procuré une copie, le directeur de cabinet du Préfet de la Drôme, Yves Hocdé, évoque une atteinte « à la sécurité publique, sur la voirie publique ».
Ce dernier a estimé que le bouquetin présentait un danger de collision avec les véhicules circulant dans ces mêmes gorges. Outre cet argument, la préfecture a jugé qu’il s’agissait « d’un spécimen âgé, blessé à la patte arrière gauche, agressif et signalé en divagation dans le secteur depuis plusieurs semaines » et qu’il était impossible « de le capturer et de le relâcher dans un lieu plus adapté à son habitat naturel ».
« Il suffisait de le relâcher »
Des arguments que réfutent les défenseurs de la cause animale, dont Jean-Pierre Choisy, biologiste et ancien chargé de mission au Parc naturel régional du Vercors. Dans un document récapitulatif rédigé dans la foulée, il démonte un à un les arguments tentant de justifier l’abattage du bouquetin.
Bleu-Bleu « était dans un état de santé tout à fait remarquable pour un individu âgé de 18 ans », explique-t-il ainsi, en s’appuyant sur l’autopsie réalisée au laboratoire d’analyse départemental de Gap par Dominique Gauthier, docteur vétérinaire et spécialiste de l’éco-éthologie du bouquetin.
Quant au caractère « agressif », il s’agit d’une question d’appréciation selon Jean-Pierre Choisy qui rappelle qu’une fois capturé l’animal aurait pu être relâché dans la nature, comme cela été le cas en 2000, dans les falaises du Royan.
Un point de vue que partage Pierre Athanase. Pour le président du groupe Action nature, cet événement est un « gâchis ». « Le bouquetin avait été capturé. Il suffisait de le relâcher. Je ne sais pas ce qui a pu motiver cette décision, alors que le plus gros du travail avait déjà été fait. Par ailleurs, l’argument selon lequel le bouquetin était malade ne tient pas. L’animal ne présentait aucun signe de brucellose ou de toute autre maladie ».
Une « cascade d’incompétences »
La préfecture de la Drôme, que nous avons contactée, pour avoir davantage d’explications, n’a pas donné suite à nos demandes. Mais pour Jean-Pierre Choisy, cet événement « donne l’impression d’une cascade d’incompétences », d’autant plus qu’un cas semblable, survenu quelques années plus tôt, avait pu être résolu sans problème.
Pierre Athanase estime, de son côté, que le Parc naturel régional du Vercors aurait dû être mis au courant de la situation. « La gendarmerie et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ont été informés. Or, l’Office de la chasse sait que le Parc naturel régional du Vercors est en charge du suivi de cette espèce protégée », explique-t-il.
Depuis la loi du 10 juillet 1976, le bouquetin ne peut ainsi être abattu qu’après avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et autorisation du ministère de l’Écologie et de l’Environnement. « On revient de loin avec cette population. Le bouquetin est une espèce qui a failli disparaître et que nous avons pu réintégrer car elle avait survécu dans le parc du Grand Paradis, en Italie », conclut-il. Une plainte pourrait être déposée dans les jours qui viennent.
Maïlys Medjadj