ENTRETIEN – Albert Asseraf, directeur général, stratégie, études, marketing France de l’afficheur mondial JCDecaux, réagit à l’annonce du maire de Grenoble, dimanche 23 novembre, de mettre fin à la publicité dans l’espace public géré par la ville. Un coup dur pour la multinationale qui détenait jusqu’ici le marché de la communication extérieure grenoblois.
Douche froide pour JCDecaux. Avec la fin annoncée de la publicité dans l’espace public géré par la ville, le groupe au chiffre d’affaires de 2,6 milliards d’euros en 2013 perd un contrat de longue date avec la ville de Grenoble.
L’empire de la multinationale s’est construit sur un modèle économique qu’elle qualifie de “vertueux”. Modèle qui permet aux villes de bénéficier de services urbains gratuits (abribus, vélos en libre service et mobiliers d’information) avec un versement de redevance, le tout, financé par l’affichage de publicités. Certains pays, comme le Japon et la Russie, ont même fait changer leur loi pour que ce modèle puisse s’appliquer.
A Grenoble, l’afficheur, patient, se cantonne pour l’instant à simplement commenter la décision de la municipalité verte.
Dimanche 23 novembre, Éric Piolle, le maire de Grenoble, a officialisé la fin de la publicité dans l’espace public. Que vous inspire cette décision ?
Ce que nous regrettons avant toute chose, c’est la décision du maire de Grenoble de ne pas remettre en concurrence ce marché. Nous passons d’une situation où il y avait un ensemble de mobiliers qui bénéficiaient autant à la ville qu’à la publicité, à une situation où il n’y aura plus rien.
Combien auriez-vous été prêt à mettre sur la table pour conserver ce marché ?
Nous avons versé à la Ville de Grenoble sur 10 ans plus de 6 millions d’euros, dont 653 000 euros pour l’année 2014. On ne peut définir une redevance qu’en connaissant les conditions du marché. Il faut pour cela que la ville écrive un cahier des charges en fonction de ses attentes : nombre de mobilier, design, etc. On est alors capable de savoir tout ce que cela coûte, ce que l’on va produire comme chiffre d’affaires et, donc, d’estimer la redevance que l’on pourrait verser.
La Ville estime que, s’il y avait eu reconduction du contrat, la redevance serait désormais de 150 000 euros par an. Est-ce crédible ?
Cette redevance hypothétique imaginée par la ville à 150 000 euros par an repose sur des bases que nous ne connaissons pas, puisqu’il n’y a pas de remise en concurrence. Pour autant, ce chiffre avancé n’est pas crédible. Une redevance ne peut pas être ainsi divisée par quatre.
D’autant que, même si le marché des médias est difficile, on observe que celui du mobilier urbain au fil des années – en France en particulier – est plutôt stable, voire en légère progression sur un certain nombre d’années.
On ne peut donc pas parler, comme je l’ai lu, d’effondrement du marché publicitaire pour ce qui concerne le mobilier urbain. C’est un média qui se défend très bien. Si l’on regarde les chiffres d’investissements publicitaires dans le monde, certains médias progressent plus vite que d’autres. C’est d’abord Internet et le web mobile. Ensuite, vient la communication extérieure. Nous sommes donc le deuxième média en plus forte progression.
Avez-vous un avis quant aux conséquences économiques qui pourraient découler de cette disparition de la communication extérieure à Grenoble ?
A Grenoble, nous travaillions avec 200 annonceurs locaux et régionaux : opticiens, centres commerciaux, salles de sport etc. Tout cela procède de l’économie locale, des emplois et de la croissance. Ce que nous observons, c’est que des dizaines et des dizaines d’annonceurs locaux à Grenoble ne pourront plus communiquer pour faire valoir leurs innovations, leurs lancements et leurs promotions, faute de mobiliers.
La Ville prend en charge la mise en place d’un dispositif d’affichage libre. Que pensez-vous de ce projet ?
La Ville va devoir financer cet affichage par l’argent public et donc par les impôts, alors que nous, nous apportions un modèle à un très haut niveau de qualité, sans que cela ne coûte rien au contribuable. Cela rapportait même à la ville une redevance non négligeable. Elle devra désormais installer, entretenir et maintenir ces équipements, tout au long des années, ce qui coûte cher.
A titre d’exemple, on remplace tous les ans à Grenoble 1 000 glaces d’abribus brisées. Tout est à la charge de JCDecaux. Comment les collectivités vont-elles supporter de telles charges ? La publicité est indispensable, dès lors que l’on veut apporter ce type de services à ses concitoyens.
Nous avons bon espoir que, le moment venu, la municipalité se dise qu’après tout on pourrait relancer un marché de telle ou telle manière parce que c’est un modèle vertueux.
Pour ce qui est des panneaux Decaux éclairés de nuit, ils ne sont pas très écologiques, ni économes en énergie… N’est-il pas logique de les supprimer ?
Nos ingénieurs ont développé des technologies d’éclairage de faible consommation et ils travaillent en permanence à leur optimisation.
Par ailleurs, il faut garder en tête que les abribus éclairés sont source de sécurité. Cela peut paraître parfois contradictoire avec un certain nombre de déclarations. Pour autant, je peux vous dire que lorsque vous circulez en ville à pied la nuit, avoir des points d’éclairage est aussi une forme de sécurité et ils sont perçus comme tels par les citoyens.
Propos recueillis par Véronique Magnin
JCDecaux en chiffres
- N°1 mondial du mobilier urbain (480 400 faces publicitaires)
– Présent dans 63 pays, dans 3700 villes de plus de 10 000 habitants dans le monde et dans 3700 communes en France
– Le groupe réalise 23 % de son chiffre d’affaires en France
– Chiffre d’affaires 2013 : 2 676 millions d’euros
– Chiffre d’affaires des 9 premiers mois 2014 : 1 974 millions d’euros
– 70 % du mobilier est fabriqué dans l’hexagone
– JCDecaux fait travailler 1700 entreprises françaises de toute nature.
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