DÉCRYPTAGE – La rentrée 2014 est marquée par la généralisation de la réforme des rythmes scolaires à toutes les écoles de France. Sous l’impulsion de l’ancienne municipalité socialiste, cette réforme a été appliquée dès 2013 dans les 77 écoles de Grenoble. Les 12 700 écoliers grenoblois l’ont déjà expérimentée pendant un an, comme 22 % des Français. Qu’en pensent les parents, les acteurs du champ périscolaire et les élus de la nouvelle majorité municipale ?
Une avancée pour certains, un retour en arrière stérile pour d’autres… A l’entrée de l’école Saint Laurent, la réforme des rythmes scolaires ne laisse personne indifférent. Et sa mise en place divise les parents d’élèves. Les mesures les plus spectaculaires ont été le rétablissement de l’école le mercredi matin, les cours fondamentaux durant les matinées, une sortie des classes avancée à 16 heures et la mise en place des activités périscolaires jusqu’à 17 h 30 – 18 heures, pour tous les enfants qui s’y inscrivent.
Ouverture à la culture
A Saint Laurent, les parents d’élève sont satisfaits. Les enfants peuvent être pris en charge jusqu’à 18 heures, ce qui s’accorde bien avec leurs contraintes professionnelles. « En plus, nous avons beaucoup de chance ici car nos enfants ne sont pas mis dehors après 18 heures, quand des impératifs professionnels nous retardent » précise Marianne, la mère de Jeanne. Une autre maman constate « les effets bénéfiques de cette réforme ». « Ma fille travaille bien à l’école et le centre de loisir lui permet de pratiquer une activité piscine qu’elle adore ». En périscolaire, des activités sportives sont, bien sûr, proposées à la Maison pour tous Saint Laurent, comme du futsal, du roller, ou bien encore du tennis de table. L’association permet aussi de pratiquer des activités culturelles, en concertation avec d’autres acteurs et institutions : couture avec la résidence de personnes âgées LFPA Saint Laurent, atelier sciences avec le Fablab du CCSTI – La Casemate, ateliers patrimoine en partenariat avec le musée archéologique, dont la taille de pierre et la reconstitution de poterie etc. Marianne est enthousiaste. « C’est bien parce que cela permet d’ouvrir à la culture des enfants qui, peut-être, ne le seraient pas. Par exemple, il y a aussi un atelier journal de correspondance avec des enfants de Sfax en Tunisie ».Une demie journée d’école en plus
Pour d’autres parents qui ont plus de temps à consacrer à leurs enfants qui profitent moins des activités périscolaires, le constat est un peu différent. Ce qui les gêne le plus ? L’école le mercredi matin. « Les enfants ont besoin de la coupure du mercredi pour évacuer un peu et pour se reposer […] On doit maintenant les réveiller tôt aussi ce jour-là. Nous avons l’impression qu’ils sont plus fatigués » ajoute Nadia, mère d’un petit garçon de 9 ans qui entre en CM1. Et puis, « les plus grands pouvaient pratiquer des activités sportives le mercredi matin, reportées maintenant le soir dans la semaine. Cela fait des grosses journées, qui sont plus fatigantes » selon Frédéric, un père de famille. « De toute façon, il y aura toujours une demi-journée scolaire en plus ! […] Personnellement, j’aurais préféré que ce soit le samedi matin pour garder la coupure du mercredi » . Le point de vue de Nicolas Marzocca est un peu différent : « le problème du retour à l’école le mercredi matin, je pense que c’est une fausse polémique. Qu’ils soient à l’école ou en centre de loisir, ils ne sont pas plus fatigués. Peu d’enfants sont privilégiés et peuvent dormir le matin parce qu’il y a quelqu’un pour les garder à la maison » Par contre, avec cette réforme, « on a perdu beaucoup d’enfants en maternelle le mercredi, les familles préférant les garder à la maison l’après-midi. Il est vrai aussi qu’on ne peut plus organiser des sorties à la journée. » Fini donc, la journée complète au ski le mercredi ! Reste les vacances.Réalisation Véronique Magnin, JK Production
Transition en douceur… à Saint Laurent
Pour Marianne, « à Saint Laurent, la transition s’est faite tout en douceur grâce à la Maison pour tous. J’ai même trouvé ça mieux qu’avant, parce qu’il y avait plus d’activités proposées, avec davantage de moyens ». Et celle-ci de souhaiter que la Maison pour tous (MPT) soit un modèle pour le reste de la ville. « Les équipes sont stables. Les référents connaissent nos enfants depuis qu’ils sont scolarisés. Dans beaucoup de structures, il y a beaucoup trop de turn-over. » Nicolas Marzocca précise que la MPT, du fait d’un conventionnement, « avait déjà en charge les activités périscolaires. On était donc prêt quand il a fallu mettre en place la réforme. Dans d’autres maisons, ça a été plus compliqué ».La municipalité verte emboîte le pas en 2014
Un peu plus d’un an après l’élection présidentielle, la loi pour la Refondation de l’école (cf. encadré) était votée et la réforme passait. Avec deux années accordées aux municipalités pour mettre en place les nouveaux rythmes scolaires. La ville de Grenoble, alors aux couleurs du poing et de la rose, a joué les bons élèves, faisant partie des 30 % des communes qui ont immédiatement mis en œuvre la réforme. Dès la rentrée de septembre 2013, les écoliers grenoblois ont donc pu expérimenter l’école le mercredi matin et le réaménagement des rythmes d’apprentissage. « Cette mise en place s’est déroulée dans une certaine précipitation, ce qui a fait que la rentrée a été très difficile l’an passé mais la situation s’est malgré tout vite stabilisée grâce aux efforts des personnels » précise Fabien Malbet, actuel adjoint École de la ville. La municipalité verte, fraîchement élue en avril 2014, emboîte le pas cette année. Dans une logique d’apaisement, les horaires appliqués l’an dernier dans les écoles grenobloises ont été conservés et les grands principes restent inchangés. Selon le choix des parents et des écoliers, les activités périscolaires prennent la forme soit d’une activité dite “récréactive” ou d’un accompagnement scolaire gratuits, soit d’ateliers éducatifs tarifés au quotient familial. Font aussi partie du temps périscolaire le repas de midi ainsi que le temps du goûter. De fait, 85 % des enfants mangent dans les cantines scolaires de Grenoble, soit environ 8 000 enfants tous les jours.Plus de 600 animateurs recrutés
Pour les besoins des activités périscolaires, environ 600 animateurs sont recrutés par la Ville, dont plus de 300 ré-embauchés à la fin de l’année 2013 – 2014. Et tous les animateurs référents présents en 2013 – 2014, le sont également cette année. « Des formations sont aussi prévues par la ville pour tous ces personnels » précise Nicolas Marzocca qui en est satisfait. « Grenoble a consenti à un effort de 3 millions d’euros sur le périscolaire, soit environ 230 euros par élève. La ville a dû emprunter de l’argent supplémentaire pour tenir ces engagements » rapporte Fabien Malbet. Si la capitale des Alpes s’est endettée, elle n’est pas la seule commune dans ce cas. A l’échelle nationale, des levées d’impôts locaux supplémentaires dans les communes les plus riches sont envisagées, notamment à Paris pour aider d’autres communes moins bien dotées. Au risque de faire grincer des dents…Des activités périscolaires source d’inégalité
L’an passé, 7 200 enfants étaient accueillis en moyenne chaque soir après 16 heures, dans le cadre des activités périscolaires qui comprennent la pause goûter, la récréactive, l’accompagnement scolaire et les ateliers. « Le temps récréactif, gratuit, est entièrement pris en charge par la ville, mais ce n’est pas une garderie. A la MPT Saint Laurent, c’est un temps négocié avec l’enfant, souple mais de découverte. Il peut choisir de se reposer, de lire, de faire de la peinture, du chant… » précise Nicolas Marzocca. Quant aux ateliers spécialisés, le dispositif de Projet éducatif de territoire (PET) a permis l’élaboration d’une offre diversifiée dans l’intérêt de l’enfant. Pour citer d’autres secteurs, dans les écoles de la Villeneuve, 17 ateliers éducatifs différents sont proposés, parmi lesquels des ateliers d’ombre chinoise, de dessin manga, de magie et illusion, de relookage d’habits… A Léon Jouhaux, place aux activités capoeira, robotique ou futsal. Alors que la pause récréactive est prise en charge à 100 % par la ville, l’inscription aux activités spécialisées n’est pas gratuite. Une participation de 2 à 5 euros par enfant et par mois est demandée aux parents lors de l” inscription. Marianne précise : « certains parents ne veulent pas inscrire leurs enfants aux ateliers parce qu’ils sont payants. Je trouve, pour ma part, que c’est normal de payer un peu, dans le sens où il faut que les citoyens comprennent que tout n’est pas gratuit. Des animateurs sont formés pour encadrer nos enfants et il faut les payer, soit avec nos impôts soit sous la forme d’une petite participation ». Pour Nicolas Marzocca, il y a cependant une vraie césure socio-économique. « Avec la réforme, on a vu des familles qui ne venaient pas à la MPT […] Quand on est à découvert à la fin du mois, on n’a même pas deux euros à donner pour les ateliers de ses enfants ; et ça, c’est le quotidien de certains parents ». Ce problème a été soumis à la Ville qui réfléchit actuellement à la possibilité de les rendre gratuits.Bientôt le temps de l’évaluation
« Au bout du bout, il faudra bien vérifier si les enfants écrivent mieux, savent mieux lire et compter à l’issue du cycle élémentaire parce que c’est ça, l’objectif de la réforme ! » s’exclame Nicolas Marzocca. Encore faut-il aussi que cette réforme soit bien appliquée avec raison pour donner de bons résultats. Nicolas Marzocca donne un exemple. « Si dans le cadre scolaire, les enfants font une sortie de ski de fond et qu’ils enchaînent ensuite par du judo dans la MJC de leur quartier, on peut imaginer que ce n’est peut-être pas le meilleur moment. » La coordination entre tous les acteurs est donc essentielle. Et Nicolas Marzocca de souligner l’importance des conseils d’école. « A ces occasions, l’école nous fait part de son projet. Nous essayons ensuite de caler les activités en fonction. » Avant de s’inquiéter : « il ne faudrait pas non plus tomber dans le travers de ce que j’appelle « l’activisme occupationnel ». Les enfants doivent devenir plus autonomes, plus critiques. Les enseignements ne doivent pas être seulement techniques. » La ville réfléchit actuellement à l’amélioration de l’offre périscolaire pour 2015. « Nous envisageons de passer à 3 heures d’activités au lieu de 6, avec une qualité meilleure » précise Fabien Malbet. Pour Nicolas Marzocca, il s’agit des débuts d’une restructuration plus globale. « Nous finirons par venir aux congés moins longs… Cette réforme constitue les prémisses d’une vraie refondation de l’école. » En attendant, les petits Grenoblois pourront débuter les activités périscolaires à compter de ce jeudi 4 septembre. Véronique MagninObjectif de la réforme : améliorer la réussite scolaire
Proposition de campagne de François Hollande, la réforme des rythmes scolaires s’inscrit dans le cadre de la loi du 8 juillet 2013 pour la Refondation de l’école, dont elle constitue l’un des premiers actes. Son objectif est avant tout pédagogique : faire en sorte que les enfants réussissent mieux à l’école. A l’origine de ce grand chantier : le résultat d’une étude internationale datant de 2011 qui mentionne le déclassement de la France au niveau de l’apprentissage de la lecture en CM1 (enquête PIRLS Progress in International Reading Literacy Study). Et un constat alarmant « A la fin du CM2, 150 000 petits Français ne savent ni lire ni écrire » précise Nicolas Marzocca. Les rythmes scolaires en France ne seraient pas suffisamment adaptés aux rythmes biologiques de l’enfant. D’où les expérimentations qui ont suivi. La semaine de 4,5 jours de cours a ainsi été testée dans plusieurs ville, à Brest, Angers et Nevers notamment ; avec des résultats globalement concluants. Des journées scolaires plus amples, moins denses, moins rapides et une semaine continue rendent les élèves moins fatigués, plus attentifs en classe. Ils apprennent mieux.