DÉCRYPTAGE – Dans les quartiers populaires de Grenoble, la liste socialiste accuse un net recul par rapport à 2008 qui profite à la liste citoyenne de la gauche et des écologistes. Simon Labouret, politologue et enseignant à Sciences Po Grenoble avait émis dès janvier dernier, dans Libération politique, l’hypothèse d’une « victoire historique » de la liste “Grenoble, une ville pour tous”. Il nous explique pourquoi.
Les résultats du premier tour des municipales à Grenoble n’ont pas manqué de créer l’effet de surprise, avec l’arrivée en tête des suffrages de la liste “Grenoble, une ville pour tous” du candidat écologiste Éric Piolle.
Dans les quartiers sud de Grenoble, où le vote socialiste est historiquement majoritaire, la liste “Aimer Grenoble pour vous” conduite par le candidat PS Jérôme Safar accuse un recul de plus de vingt points par rapport aux scores enregistrés par celle du maire sortant Michel Destot, au premier tour des municipales de 2008.
C’est le cas par exemple à Teisseire, au Village olympique, aux Eaux Claires, à Malherbe ou encore aux Baladins. Anatole France, l’Abbaye ou la Capuche n’en sont pas loin non plus, avec un recul entre 17 et 20 points.
La grande gagnante de cette déconfiture socialiste dans les quartiers sud de la capitale des Alpes est la liste de gauche écologiste menée par Éric Piolle. Bien que le PS reste en tête des résultats dans ces quartiers, « Grenoble, une ville pour tous » a enregistré une moyenne de 15 points d’augmentation par rapport à 2008 (en comparaison avec les résultats obtenus par la liste EELV de l’époque emmenée par Maryvonne Boileau).
Aux Eaux Claires, à la Capuche et à l’Abbaye ou encore dans le quartier des Baladins, la liste d’Éric Piolle a même devancé celle de Jérôme Safar de deux à près de cinq points.
Parallèlement à cela, ces quartiers se caractérisent par une chute de la participation d’environ dix points, soit cinq fois plus que pour l’ensemble de la ville de Grenoble.
Chute de participation
« On observe une chute de la participation dans tous les bureaux des quartiers sud de Grenoble ainsi qu’un fort recul du PS » explique Simon Labouret. A ce constat, le politologue avance deux explications : une première, d’ordre sociologique, qui veut que ce sont dans les quartiers populaires que l’on enregistre habituellement les taux de participation les plus faibles. Une seconde, plus conjoncturelle, qui est celle d’un électorat de gauche démobilisé, déçu de la politique du gouvernement socialiste. « En 2008, sous la présidence Sarkozy, nous observions l’inverse : une démobilisation de l’électorat de droite. En 2014, on note a contrario, un accroissement de la participation des électeurs de droite » explique le chercheur grenoblois.
Porte à porte
Pour autant, la gauche reste bien majoritaire dans ces quartiers et l’on assiste même à une montée en flèche de « l’autre gauche », celle incarnée par le rassemblement EELV, le Front de Gauche et l’Association démocratie écologie solidarité (Ades) de la liste d’Éric Piolle, pourtant historiquement faible dans ces quartiers.
« La politique, ce sont des débats d’idées mais aussi des personnalités et un vrai travail d’implantation » rappelle Simon Labouret. « Or la liste d’Eric Piolle s’est bien implantée dans les quartiers sud de Grenoble ». Dans les quartiers populaires, les électeurs ont tendance à voter pour des gens qu’ils connaissent, pour des personnalités plus que pour un parti.
« La liste d’Eric Piolle a mené un vrai travail de terrain dans ces quartiers. Ils ont fait du porte à porte, ils ont rencontré les habitants, se sont fait connaître. La liste elle-même bénéficiait de noms de personnes connues dans la vie de ces quartiers. C’est le cas de Sadok Bouzaiene, ancien libraire à Villeneuve qui a joué un rôle considérable dans les résultats des bureaux de vote des Baladins ». Les socialistes sont aussi bien implantés dans ces quartiers, « mais ils ont été concurrencés », selon le politologue.
De son côté, Jérôme Safar a souffert d’un certain manque de notoriété. « Michel Destot était connu. C’était une notoriété, or les électeurs de ces quartiers votent pour une personnalité avant tout. J’ai pu entendre un habitant de la Villeneuve me dire quelque chose d’assez révélateur », raconte Simon Labouret : « Je ne savais même pas que c’était les municipales. Il n’y avait pas Michel Destot parmi les candidats ».
Historiquement, il y a à l’inverse une faiblesse de « l’Autre Gauche » dans ces quartiers. La liste d’Eric Piolle a su rattraper cet écart en profitant aussi d’une certaine désaffection du pouvoir. Et le politologue de préciser : « C’est un vote à gauche, contestataire contre les partis de droite que ces populations voient comme des partis racistes, ou en tout cas qu’elles perçoivent comme menaçants pour leurs intérêts ». Le désaveu pour le parti socialiste a donc également profité à la liste d’Eric Piolle. « Un désaveu qui peut aussi s’expliquer par le rejet de certains projets locaux dont les habitants se sont sentis exclus sous le mandat municipal précédent » avance Simon Labouret.
« Mais la force des écologistes à Grenoble ne doit pas être analysée uniquement par l’affaiblissement du PS. La montée des Verts est due à leur force intrinsèque sur le plan local qui n’a jamais cessé d’augmenter depuis vingt ans » tient à rappeler l’enseignant. Il est vrai que les scores du premier tour des municipales ne sont pas bien différents de ceux des cantonales de 2011. « Or en 2011, nous ne pouvions pas encore parler de vote sanction contre le gouvernement Hollande » souligne-t-il. La nouveauté de 2014, c’est que cette « autre gauche » s’est réunie autour d’un seul homme. Le rassemblement semble avoir payé. Les électeurs confirmeront (ou non) ce dimanche cette tendance.
Sidonie Hadoux
Affiches de propagande électorale pour les municipales déchirées, rue Anatole France dans le quartier Mistral à Grenoble.
© Sidonie Hadoux – placegrenet.fr
Résultats du premier tour au Village olympique.
© Ville de Grenoble
Résultats du premier tour des municipales à Teisseire.
© Ville de Grenoble
Résultat du premier tour des municipales dans le quartier des Baladins. © Ville de Grenoble
Chute de participation
Simon Labouret, chercheur en sciences politiques à l’IEP de Grenoble. DR
Porte à porte
Pour autant, la gauche reste bien majoritaire dans ces quartiers et l’on assiste même à une montée en flèche de « l’autre gauche », celle incarnée par le rassemblement EELV, le Front de Gauche et l’Association démocratie écologie solidarité (Ades) de la liste d’Éric Piolle, pourtant historiquement faible dans ces quartiers.
« La politique, ce sont des débats d’idées mais aussi des personnalités et un vrai travail d’implantation » rappelle Simon Labouret. « Or la liste d’Eric Piolle s’est bien implantée dans les quartiers sud de Grenoble ». Dans les quartiers populaires, les électeurs ont tendance à voter pour des gens qu’ils connaissent, pour des personnalités plus que pour un parti.
Quartier de la Villeneuve. DR
Une désaffection du pouvoir ?
Pour Simon Labouret, ces quartiers sud de Grenoble votent traditionnellement à gauche pour des raisons sociologiques plus que politiques : « Ce sont des quartiers avec une forte propension de populations immigrées qui revendiquent souvent des valeurs conservatrices et une économie tournée vers l’entrepreneuriat, ce qui, à première vue, ne sont pas des valeurs propres à la gauche. Mais ces populations voient dans la gauche le pilier qui les protège ».Quartier de la Villeneuve. DR
« La droite à Grenoble est structurellement faible » « A Grenoble, la droite n’est traditionnellement pas forte dans les zones urbaines sensibles (ZUS) mais dans celles autour de ces quartiers » poursuit Simon Tabouret. Ce qui explique les scores du Front national dans certaines zones, comme le sud des Eaux Claires, une partie de Malherbe et de Teisseire, autour du Village olympique, au sud de la Villeneuve ou bien encore aux alentours du stade Lesdiguières. « C’est un électorat qui n’habite pas dans ces quartiers dits « sensibles » mais en périurbain et qui estime subir les nuisances venues de ces quartiers. Ce sont essentiellement des populations de petits propriétaires. » L’électorat UMP reste dans sa zone géographique traditionnelle, à savoir les quartiers du centre ou « ce qui reste du cœur bourgeois de Grenoble » mais une bonne part de la population la plus aisée qui a tendance à voter à droite vit désormais en dehors de Grenoble.