ENQUÊTE – Dépôts de bilan, chutes de chiffres d’affaires, absence d’indemnisation… Alors que les essais de la ligne E de tramway viennent tout juste d’avoir lieu, la pilule a du mal à passer pour certains commerçants du cours Jean-Jaurès qui ont souffert des travaux. De son côté, le syndicat mixte de transport en commun (SMTC), responsable du chantier, explique ces difficultés par d’autres facteurs comme la crise économique. Tout en défendant la procédure d’indemnisation mise en place.
Certains sont énervés, disent qu’ils continueront à se battre coûte que coûte pour toucher réparation, qu’ils aient survécu à la période des travaux ou non. Le restaurant Le Petit Paris, qui a déposé le bilan dans l’intervalle, a ainsi décidé d’attaquer le SMTC devant la justice avec trois autres commerçants. D’autres sont résignés et estiment qu’ils n’ont ni le temps, ni l’énergie pour se lancer dans une bataille jugée perdue d’avance. Thi Rodet, qui tient le “Eden Pressing”, fait partie de la première catégorie. « Je vais prendre un avocat et mon mari va écrire au ministre » lance-t-elle dès l’évocation du problème. En 2012, son chiffre d’affaire a chuté de 20 %. Moins que d’autres qui estiment la baisse entre 30 et 40 %. 2012, pour elle, c’est l’année où « ils ont tout cassé pour les égouts ». Thi Rodet, qui travaille cours Jean-Jaurès depuis 29 ans, dit ainsi avoir l’impression de revenir à ses débuts, tant la situation économique devient compliquée. « Je suis obligée de casser les prix alors que je fais de la haute qualité », déplore-t-elle, exaspérée.Fournir cinq années de chiffre d’affaires
Il y a quelque temps, elle est venue apporter un dossier d’indemnisation du SMTC à un autre commerçant. Le dossier traîne sur son bureau, sous un tas d’autres papiers. « Je ne me sens pas le courage de le remplir pour sûrement n’avoir rien au bout » raconte le gérant, tout en regardant le dossier d’un air désespéré. « Il faut fournir cinq années de chiffre d’affaires : durant les travaux et sur les trois années antérieures pour voir si c’est lié ». Chez plusieurs commerçants, c’est le même son de cloche : tous décrivent une procédure lourde en termes de pièces à fournir et d’étapes à franchir. Car, après avoir prouvé que les travaux ont entamé leur chiffre d’affaire, il leur reste encore à passer en commission. « Ils font tout pour décourager les gens », lâche un commerçant. « On savait que c’était un coup d’épée dans l’eau » renchérit un autre. Quant aux nouveaux arrivés, ils n’ont pas les bilans des trois années précédant les travaux. Certains commerçants mettent en cause l’absence de dialogue du SMTC et disent n’avoir pris connaissance de la procédure d’indemnisation que tardivement. « Normalement, on discute d’abord avec les gens puis on entame les travaux. A Grenoble, on amène les bulldozers puis on fait des réunions. Et c’est toujours comme ça ! » s’énerve un commerçant. « Personne n’est venu nous voir pour nous demander de remplir le dossier. C’est la coiffeuse qui m’a dit “ils donnent de l’argent” » témoigne pour sa part Thi Rodet.Sept commerces indemnisés… sur 110
De son côté, Alizé Bachimon, directeur de cabinet du président du SMTC, affirme que le guide pour riverains professionnels du syndicat mixte a été remis en main propre aux commerçants, au début des travaux. Pour lui, les éléments à fournir et les étapes à franchir sont justifiés. « On est obligé d’étudier l’impact des travaux sur le chiffre d’affaires. C’est tout de même de l’argent public qu’on gère ! ». Et celui-ci de reconnaître que, sur les 110 commerces du périmètre d’indemnisation, vingt seulement ont déposé un dossier, dont sept ont obtenu une indemnisation. Sept commerces sur une allée de plus de onze kilomètres, c’est peu, en effet. A qui la faute ? « On reçoit beaucoup de dossiers incomplets », regrette Alizé Bachimon. Ce dernier souligne à cet égard que la commission qui indemnise les commerçants est « indépendante et se réunit à huis clos ». Conscient que certains gérants n’auraient ni le temps ni la capacité de remplir le dossier, le SMTC a par ailleurs mis en place un partenariat avec la Chambre de commerce et d’industrie pour les accompagner dans la procédure d’indemnisation. « Très peu de personnes réclament cet accompagnement », constate toutefois Alizé Bachimon. Si le nombre de commerçants indemnisés est si faible, c’est aussi parce que les commerces donnant sur une contre-allée ne sont pas intégrés au périmètre d’indemnisation. Et ne peuvent donc prétendre à quoi que ce soit. « Sont concernés les secteurs où les travaux sont entrepris de façade à façade. Il s’agit donc de la place Hubert Dubedout, de la portion du cours Jean-Jaurès comprise entre l’avenue Alsace Lorraine et le cours Berriat, des carrefours Libération/Jaurès/Foch/Vallier (sur Jean-Jaurès et le cours de la Libération entre la rue Janssen et la rue Sidi Brahim) » souligne la SMTC dans un document. « Ils disent qu’on n’est pas touché parce qu’on n’est pas directement à côté du tram, qu’on a la contre-allée », se plaint une commerçante. « Mais comment peut-on dire qu’un commerce est concerné et pas l’autre ? ». Située à proximité du croisement entre le cours Jean-Jaurès et le cours Berriat, celle-ci décrit le parcours du combattant que les clients devaient suivre pour accéder au magasin : « Il fallait traverser trois feux au carrefour. On mettait un quart d’heure ! ». Des situations très inégales« Les travaux sur les portions des contre-allées ont duré moins de trois mois. Il y a une jurisprudence administrative où l’on estime qu’en-deçà de trois mois les commerçants n’ont pas subi un préjudice trop fort » relativise Alizé Bachimon. « Ils auraient dû diviser une enveloppe entre les différents commerçants » regrette une riveraine. Mais « certains n’ont pas été touchés par les travaux » rétorque de son côté le directeur de cabinet. Or pour obtenir des indemnités, il faut prouver l’impact des travaux sur l’activité commerciale. A l’heure des travaux, certains s’en sont mieux sortis que d’autres. « Le timing m’allait bien. Je suis dans une activité saisonnière. Du moment qu’ils ne font pas de travaux en décembre, ça me va », raconte ainsi le chocolatier La Caraque. Lui aussi redoutait une chute de son chiffre d’affaires. Mais aujourd’hui, il se dit satisfait de la manière dont se sont déroulés les travaux : « Les équipes en place étaient soucieuses de l’acheminement des clients. C’était des gens patients et présents. Et on n’a jamais eu, pendant un an, des travaux sur tout le boulevard. Cela n’a jamais été tout bloqué. J’ai aimé cette alternance ». Un avis partagé par le responsable de la droguerie, juste en face. « J’ai trouvé qu’ils faisaient tout ce qu’il fallait pour l’accès ».