DÉCRYPTAGE – Du béton et de la violence diront ses détracteurs. Des associations, du vivre-ensemble et de la culture pour les admirateurs de la Villeneuve. Derrière l’utopie de l’année 1968, demeure le rêve d’une ville en culture(s), d’une cité d’art.
La Maison de la Culture (MC2) trône à quelques encablures de la Villeneuve, avec une programmation chaque année attendue et louée par la presse. Elle semble tourner le dos au quartier. “Les habitants n’y vont pas” déplore Alain Manac’h, membre du collectif Villeneuve debout. Il ajoute : “la culture, c’est ce qui donne sens. C’est une manière de se rencontrer soi-même, de s’affirmer, de se construire. Par la création, les gens se découvrent, se construisent ; ils développent leur identité”. Un moyen aussi de s’en sortir.
Aujourd’hui, “les politiques culturelles héritées de Malraux glorifient une culture réservée à 16% de la population, un entre-soi” explique Alain Manac’h sous sa crinière blanche. Pour lui, l’offre culturelle n’est pas adaptée à la Villeneuve. Les mots mêmes sont problématiques : l’offre ? “Cette idée d’« accès à » (la culture) devient de plus en plus insupportable car elle suppose que les gens n’en ont pas… de culture. Quel mépris !”
Le constat est le même chez les jeunes. Zarzeu et K.A.R, les deux chanteurs du groupe “Héritier du Crime”, estiment que leur “culture n’est pas reconnue ; elle l’est dans le quartier mais, de manière générale, le hip-hop n’est pas respecté en tant que musique. On n’en parle que quand ça « clashe ». La conception de Zemmour (ndlr : “Le rap est une sous-culture d’analphabètes”) est finalement assez partagée. Beaucoup pensent que c’est un délire d’ados”. Cette phrase du célèbre chroniqueur et critique avait d’ailleurs provoqué l’ire de rappeurs comme Youssoupha et Oxmo Puccino.
A en croire K.A.R, les studios présents dans le secteur sont trop chers. « Les jeunes sont à l’école. Ils n’ont pas les moyens et leurs parents ne comprennent pas le rap. Peu sont connus. Il y a beaucoup de rappeurs à Grenoble, mais ils rappent dans leur chambre”.
Sans studio mais avec des idées, Diana Tanhchaleun est l’une des gestionnaire du Barathym, un “lieu de convivialité” au cœur du Patio de la Villeneuve. Ce café d’un genre un peu particulier permet aux adultes comme aux enfants de s’initier à la pratique artistique, tout en étant accompagnés par une artiste plasticienne spécialisée dans la “récup”.
Ces ateliers culturels permettent, selon Diana, de “répondre à l’attente des habitants. Aucun public ne s’est approprié le lieu. Il reste un espace de mixité qui favorise la rencontre et l’échange durable”. Les habitants s’impliquent puisque trois d’entre eux sont maintenant membres du conseil d’administration de l’association. Ils participent ainsi à la programmation et proposent eux-même des soirées pour le vendredi. Souriante, Diana explique : “A terme, on aimerait être inutile et se retirer. Que ce café s’autogère, qu’il soit un café pour les habitants, par les habitants”.
Quelques pas plus loin, dans les locaux de l’Espace 600, Sibylle Sorrel “essaie de questionner, par le théâtre, ce qu’est la vie, la société et ce qu’elles nous renvoient”. Les représentations théâtrales données par l’Espace 600 tentent d’“éveiller à la citoyenneté, au vivre ensemble. Le but est d’apprivoiser et de mettre en mots ses émotions et de vivre avec. Avec les autres aussi”.
Spécialisée dans le théâtre “jeune public”, l’institution travaille avec les jeunes des écoles et collèges du quartier. “Il y a une première facette je m’en-foutiste de l’ado mais, derrière ça, il y a une véritable envie, une attente. S’ils rient et chahutent, c’est que ça les dérange, qu’il se passe quelque chose. Dans ce quartier, l’Espace 600 est une respiration. Il permet aussi d’aborder des sujets qui gênent, l’amour notamment. La culture est ainsi une façon d’atteindre l’intime, avec distance”.
Les cultures de la Villeneuve s’entrechoquent pour former un patchwork de couleurs semblables à l’Arlequin. Les idées foisonnent pour remettre en cultures ce quartier bâti sur une utopie de vivre-ensemble. D’une série sur le quartier aux planches de l’Espace 600, du futur album d’Héritier du Crime au succès du Barathym, la culture est comme une fenêtre sur un autre monde possible. Comme l’avait écrit Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince, “c’est véritablement utile puisque c’est joli”.
Lucas Piessat