L'autorisation donnée aux chasseurs d'effectuer des tirs de loups lors de battues au gibier est illégale, a statué le tribunal administratif de Nice.

Un plan entre chien et loup

Un plan entre chien et loup

DÉCRYPTAGE - Alors que le Plan loup auto­rise l’a­bat­tage de 24 loups en France, soit le double de l’an der­nier, les éle­veurs du dépar­te­ment ne se montrent pas satis­faits. Beaucoup d’entre eux sou­haitent plus de tirs, tan­dis que les pro-loups réclament davan­tage de prévention.
©Gourdol-Max-ONCFS

©Gourdol-Max-ONCFS

C’était dans la nuit du 19 au 20 mai der­nier. Cette nuit-là, des loups ont atta­qué les bre­bis des frères Salvi à Ornon, dans l’Oisans. « Une ving­taine de bêtes ont été man­gées, égor­gées ou ont dis­paru. Le loup voit en l’a­gneau une proie facile. C’est comme un gosse devant un pot de confi­ture… » constate Marc Salvi, mi-fataliste.
Les rele­vés des agents de l’État ont confirmé : c’est bien le loup qui s’en est pris, il y a dix jours, au trou­peau des Salvi. Les bre­bis n’é­tant plus pro­té­gées par leur chien, un patou, le loup en a pro­fité. Depuis avril, cinq décla­ra­tions d’at­taque sont ainsi par­ve­nues sur le bureau de la direc­tion dépar­te­men­tale des ter­ri­toires de l’Isère (DDT).
Car le loup des­cend désor­mais dans les val­lées alpines. « Sa pré­sence s’é­tend dans les zones val­lon­nées, les coteaux », constate Éric Greffe-Fonteymond, pré­sident de l’as­so­cia­tion des éle­veurs ovins de l’Isère. « Jusque-là, il atta­quait des bêtes gar­dées sur les alpages. Là, il des­cend et va tom­ber sur des parcs, avec des bêtes non gar­dées. On ne peut pas mettre un patou par parc ! »
Une popu­la­tion en aug­men­ta­tion de 20 %
Patou sur un alpage. ©agirinfo
Patou sur un alpage. © agirinfo
Chez les éle­veurs, la colère ne retombe pas depuis que le loup a fait son retour dans les Alpes fran­çaises, au début des années quatre-vingt-dix. Sa popu­la­tion est aujourd’­hui esti­mée à 250 indi­vi­dus. Et son ter­ri­toire s’é­tend. Cette année, la Lozère et le Vaucluse rejoignent l’Isère et le groupe des 12 com­munes (1) où le loup a été offi­ciel­le­ment observé… et chassé. L’année der­nière, jus­qu’à 11 loups pou­vaient être abat­tus sur déci­sion minis­té­rielle. Cette année, le « nombre maxi­mum de déro­ga­tions au sta­tut de l’es­pèce pro­té­gée », selon la ter­mi­no­lo­gie offi­cielle, a été porté à 24. Soit plus du double, alors que l’on estime la pro­gres­sion des loups en France à 20 % par an.
Comment jus­ti­fier cette esca­lade ? Par le nombre d’at­taques ? Pas vrai­ment. Certes, plus de 6 000 mou­tons ont été vic­times du loup en France en 2012, contre 5 000 en 2011. Mais on estime entre 100 000 et 200 000 le nombre de mou­tons tués chaque année par les chiens. Par l’i­nef­fi­ca­cité des tirs ? Sans doute car l’an­née der­nière, sur les 125 auto­ri­sa­tions de tir déli­vrées, trois seule­ment ont atteint leur cible.
Patou dans une bergerie. ©La buvette des alpages
Patou dans une ber­ge­rie. © La buvette des alpages
Faire retom­ber la pression
« En terme d’ef­fi­ca­cité, on a connu mieux… » recon­naît un fonc­tion­naire qui avoue pas­ser beau­coup de temps sur « la pape­rasse » à étu­dier les demandes d’au­to­ri­sa­tions de tir, au détri­ment de la pré­ven­tion « qui serait plus effi­cace ». Cette année, des for­ma­tions seront d’ailleurs dis­pen­sées aux éle­veurs et aux agents de l’Office natio­nal de la chasse et de la faune sau­vage (ONCFS).
Dans une filière ovine secouée par les crises suc­ces­sives, éco­no­miques et sani­taires, le loup est la goutte de trop. En dou­blant le nombre d’a­ni­maux pou­vant être tirés et en faci­li­tant les tirs de défense à proxi­mité des trou­peaux, comme les tirs de pré­lè­ve­ment sur un ter­ri­toire plus large, les pou­voirs publics espèrent faire retom­ber la pres­sion. Pression de pré­da­tion de l’a­ni­mal comme pres­sion des éle­veurs et des chasseurs…
Des mesures qui font bon­dir Pierre Athanaze, pré­sident de l’as­so­cia­tion pour la pro­tec­tion des ani­maux sau­vages (ASPAS). « Ces 24 loups, on va les tirer un peu n’im­porte où, dénonce-t-il. Pour le gibier, on délivre des bra­ce­lets par mas­sif. Là, ce n’est pas le cas. Cela a été fait pour faire plai­sir aux chas­seurs et au monde de l’é­le­vage ! » Et celui-ci de dénon­cer l’ab­sence totale de gestion.

Louve abattue à Bouvante (Drôme) dans le massif du Vercors en 2004. DR

Louve abat­tue à Bouvante (Drôme) dans le mas­sif du Vercors en 2004. DR

4 loups abat­tus en Isère depuis 2004
En Isère, le tir de loups est auto­risé depuis 2004. Si aucun spé­ci­men n’a été abattu l’an der­nier, deux l’ont été en 2005, dans le mas­sif du Taillefer et dans la Valdaine, et deux autres en 2006 dans le mas­sif de Belledonne. De fait, le loup est insai­sis­sable. « C’est une bête qui fait une lec­ture de son envi­ron­ne­ment et va au plus facile en man­geant ce qui est simple à cap­tu­rer et abon­dant dans l’es­pace », explique Eric Marboutin, chef de pro­jet loup-lynx à l’ONCFS.
En 2012, en Isère, 222 bêtes ont fait l’ob­jet d’in­dem­ni­sa­tion « au titre du loup ». Bien loin des 2 161 vic­times des Alpes-Maritimes, où les bêtes passent en grande par­tie la nuit dehors. L’Isère, un dépar­te­ment rela­ti­ve­ment épar­gné, donc ? Pas pour les éle­veurs, pour qui chaque attaque fait office de caisse de réso­nance. Et pour qui chaque bête dis­pa­rue se réper­cute sur l’en­semble du chep­tel, avec son lot de stress, de désor­ga­ni­sa­tion du trou­peau, de peur dérai­son­née des chiens de bergers…
Difficile coha­bi­ta­tion
Aujourd’hui, une quin­zaine de loups s’est ins­tal­lée dans le dépar­te­ment. Ceux-ci sont répar­tis en trois meutes s’ap­pro­priant cha­cune un ter­ri­toire : les hauts pla­teaux du Vercors, le nord du mas­sif de Belledonne et la val­lée de l’Odolle dans le mas­sif de l’Oisans. Quelle solu­tion appor­ter à cette dif­fi­cile coha­bi­ta­tion entre l’homme et le grand pré­da­teur ? Autoriser plus de tirs ? C’est chose faite depuis cette année. Multiplier les mesures de pro­tec­tion ? Sûrement. « On sait qu’une attaque sur un trou­peau non pro­tégé fait entre dix et quinze vic­times et autant d’a­ni­maux dis­pa­rus, pré­cise un proche du dos­sier. Quand il existe des moyens de pro­tec­tion, on des­cend à deux ou trois victimes. »
Pour autant, la pré­ven­tion ne suf­fira jamais à éloi­gner tota­le­ment le risque d’at­taque. « Même avec le meilleur chien et le meilleur ber­ger du monde, le loup a une lon­gueur d’a­vance ». Il a appris à se méfier de l’homme et sait notam­ment pro­fi­ter du brouillard pour atta­quer. « Le loup contourne les mesures de pro­tec­tion, confirme Eric Greffe-Fonteymond, un des porte-parole des éle­veurs ovins du dépar­te­ment qui réclame plus que jamais l’au­to­ri­sa­tion de tirer.
En 2012, les aides à la pro­tec­tion des trou­peaux en France ont atteint 8 mil­lions d’eu­ros, finan­cés pour moi­tié par l’Europe et pour moi­tié par le contri­buable fran­çais. Dans le même temps, les indem­ni­sa­tions ont coûté 2 mil­lions d’eu­ros, pour 5 500 bêtes. Le prix à payer pour que le loup regagne, en France, une place qu’il avait quit­tée, chassé par son plus grand ennemi et seul pré­da­teur : l’homme.
Patricia Cerinsek

(1) Alpes de Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Drôme, Isère, Pyrénées-Orientales, Haut-Rhin, Haute-Saône, Savoie, Haute-Savoie, Var, Vosges

(2) Lorsque la res­pon­sa­bi­lité du loup n’est pas avé­rée, le doute pro­fite à l’éleveur.

Patricia Cerinsek

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