FOCUS – La nouvelle exposition temporaire du musée de Grenoble, visible du 29 octobre au 29 janvier 2017, est dédiée à une figure capitale de l’art moderne : le peintre russe Vassily Kandinsky. Soit l’inventeur de l’art abstrait. Les œuvres exposées, peintes pendant la dernière décennie de la vie de l’artiste, de 1933 à 1944, ne sont pas les plus plébiscitées par les historiens de l’art, mais n’en sont pas moins riches et enthousiasmantes pour le visiteur.
Après les artistes relativement confidentielles Georgia O’Keeffe et Cristina Iglesias, le musée de Grenoble mise sur un peintre célébrissime en la personne de Vassily Kandinsky (1866−1944). Les toiles de l’inventeur de l’art abstrait qu’expose le musée du 29 octobre au 29 janvier 2017 ne sont toutefois pas les plus connues, ce qui ajoute à l’intérêt de la monographie.
C’est en effet pendant sa période allemande à l’école du Bauhaus que Kandinsky réalise ses œuvres les plus illustres et bascule de manière consciente d’un art figuratif vers un art abstrait. Les toiles rassemblées à Grenoble sont peintes à Paris – d’où le sous-titre de l’exposition « Les années parisiennes », pendant la dernière décennie de la vie de l’artiste. Lequel réfléchissait à tel point sur sa création que ses ultimes toiles peuvent se lire comme une forme de manifeste, ou du moins une sorte de synthèse. Idéal, en somme, pour aborder l’esthétique du peintre, qui est loin de se résumer à quelques formes géométriques aux couleurs chamarrées.
Entre art abstrait géométrique et surréalisme
Lorsque Kandinsky débarque à Paris en 1933, il a déjà 67 ans. L’essentiel de son œuvre est derrière lui. À Munich, dans l’école du Bauhaus, où il enseigne depuis 1922, il a posé les bases de son esthétique géométrique aux côtés d’autres figures essentielles de l’avant-garde comme Paul Klee. Dans la capitale française, il ne jouit pas de la renommée qui était la sienne outre-Rhin. La scène artistique parisienne est clivée. D’un côté, l’art abstrait géométrique. De l’autre, le surréalisme.
Kandinsky juge le premier mouvement quelque peu rigoriste, accouchant trop souvent d’œuvres désincarnées. Le second impose des règles, notamment politiques, qui s’accommodent mal avec la liberté du peintre. Ce dernier est pourtant revendiqué par les deux cercles. Il s’en rapproche d’ailleurs successivement sans jamais s’y abandonner tout à fait. Cette tension entre les deux mouvements esthétiques transparaît clairement dans les œuvres exposées au musée ainsi que dans les quelques documents annexes, comme ce cliché où l’on voit Kandinsky posant aux côtés du pape du surréalisme André Breton.
Entre formalisme géométrique et biomorphisme
En dépit de son âge avancé, à Paris, Kandinsky continue d’expérimenter. La scénographie de l’exposition le révèle avec force. En vis-à-vis, on trouvera des toiles encore très marquées par l’esthétique géométrique mise en place au Bauhaus – voir ci-dessus : Développement en brun – et d’autres, versant davantage dans des mouvements ondulatoires et biomorphiques – voir ci-contre : Formes noires sur blanc. Cette dernière œuvre illustre parfaitement la nouvelle tendance du peintre, attiré par le biomorphisme et les formes cellulaires. Ici, l’abstraction tend subtilement vers la figuration puisqu’on devine une sorte de fourmillement embryonnaire. On sait le peintre captivé par les sciences à cette époque de sa vie.
D’autres toiles encore synthétisent les deux mouvements. C’est le cas de ces œuvres-trames qui recensent, façon damier, l’étendue du vocabulaire graphique de l’artiste (voir ci-dessous : Trente). La fusion de ces deux esthétiques, géométrique et biomorphique, répond en outre aux intentions de Kandinsky, qui plaidait pour un « art concret ». À savoir un art, certes abstrait, mais non dénué pour autant de lien avec le réel. Un art, en outre, éminemment vivant. Caractère qui illumine l’ensemble des œuvres de sa période parisienne et procure un véritable élan de joie chez le spectateur.
Entre désespoir et force de vie
Si, la plupart du temps, l’œuvre de Kandinsky est portée par un élan vital surprenant (voir ci-contre : Entassement réglé), la vie du peintre n’est pourtant pas à cette image. Cette seule période parisienne procède d’un exil forcé. L’école du Bauhaus au sein de laquelle il enseignait a été fermée par les nazis en 1933. Le peintre est lui-même étiqueté « artiste dégénéré » par le régime. Ce qui revient pour lui à être rejeté par la nation qu’il avait adoptée.
Alors qu’il a fui le régime nazi, son nouvel exil en France est bientôt obscurci par les bombes et par l’occupation. Certaines toiles portent d’ailleurs la marque du désespoir dans le choix des couleurs, notamment, plus sombres. Mais jusqu’au bout, ce qui domine, est l’exceptionnelle force vitale qui habite les toiles du peintre. Lui-même reconnaît dans sa correspondance être marqué par une sorte de déni du tragique. Magnifiquement sublimé dans son langage graphique.
Adèle Duminy
Infos pratiques
Kandinsky – Les années parisiennes (1933 – 1944)
Du 29 octobre au 29 janvier 2017