ENTRETIEN – Stéphane Gemmani, ancien élu municipal et président-fondateur du Samu social grenoblois, défend une nouvelle organisation diffuse, permanente et répartie de l’hébergement d’urgence à l’échelle intercommunale. Avec un objectif : remédier au problème régulier de la fermeture de centres provisoires. L’ancien conseiller municipal délégué à l’accessibilité revient également sur l’actualité politique de ces trois derniers mois.
Président fondateur du Samu social grenoblois en 1990 et ancien chef d’entreprise commerçante, Stéphane Gemmani s’est d’abord engagé dans la société civile. « Politique plutôt que politicien », il intègre la frange séguiniste du RPR « pour l’émotion que le gaullisme suscitait » dans les yeux de son grand-père, émigré italien en Isère et résistant. Il quitte un parti « en pleine droitisation », lors d’un retour revanchard en politique d’Alain Carignon « qui n’avait tiré aucune leçon de sa condamnation ». Co-fondateur du Mouvement démocrate (Modem) en Isère, il a occupé les fonctions de conseiller municipal délégué au handicap et à l’accessibilité entre 2008 et mars 2014. Dans la poursuite du travail entrepris depuis 1995 par François Suchod, il a obtenu plusieurs prix européens et celui de l’Association des paralysés de France, qui a classé Grenoble comme la ville la plus accessible de France en 2013. Stéphane Gemmani a été exclu du Modem en 2012, « devenu le parti d’un seul homme », pour avoir soutenu François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle. Il est désormais vice-président et porte-parole du Rassemblement citoyen, un mouvement national présidé par Corinne Lepage. Le préfet a ordonné, le 5 juillet dernier, la fermeture du foyer d’hébergement d’urgence des Mimosas, avenue Paul Verlaine, qui accueillait 120 personnes. Était-ce inévitable ? Je peux comprendre la nécessité de fermer ce lieu d’accueil car l’insalubrité des lieux est devenue dangereuse. Mais, en revanche, la préfecture n’a imaginé aucun autre dispositif pour compenser cette fermeture. Comme d’habitude, l’État est dans la gestion de l’urgence, sans politique prévisionnelle alors que des associations comme la nôtre l’alertent depuis plusieurs années. La raison majeure de cette fermeture n’est pas l’insalubrité de la structure, mais plutôt son coût de fonctionnement. C’est un problème budgétaire compréhensible car la régionalisation de la demande d’asile à Lyon et Grenoble, initiée en 2009, a été mal gérée. Elle a amplifié le flux de demandeurs d’asile – captant les ressources en matière d’hébergement d’urgence au détriment d’un public plus « traditionnel » – sans allouer davantage de moyens pour les prendre en charge.Ce manque de solutions d’hébergement est-il significatif de la détérioration de la demande d’asile en France ?
L’attitude froide des services a déshumanisé la demande d’asile. Il y a un découragement organisé. La proportion des demandes traitées par les services préfectoraux est sous-évaluée. Entre les personnes qui arrivent sur notre territoire et celles dont la demande est traitée, il y a un déchet énorme. Mais nous ne pouvons pas faire remonter ces statistiques car c’est un chiffre impossible à obtenir et que nous n’avons pas le droit de créer de fichier nominatif. En avril, vous appreniez avec consternation la suspension par la préfecture du numéro d’urgence hébergement 115 entre minuit et 7 heures du matin en Isère. Le député Olivier Véran avait rapidement interpellé le préfet à ce sujet. Une issue favorable a‑t-elle pu être trouvée ? Malheureusement, l’Isère sera le seul département où le numéro de téléphone d’hébergement d’urgence ne sera pas fonctionnel la nuit, et ce pour réaliser une économie de 15 000 euros par mois. Nous avons proposé trois formules de réorganisation avec un budget inférieur pour éviter cette fermeture, mais elles n’ont pas été acceptées. Dès le début, la préfecture avait pris sa décision. Elle a attendu la période estivale pour éviter l’émoi médiatique. C’est seulement quand les médias sont informés des problèmes et du manque d’empathie des services que la situation apparaît au grand jour de façon flagrante et que les autorités réagissent parfois. Cet irrespect et cette absence de solutions durables provoquent une usure des bénévoles quotidiens du terrain, contrairement aux professionnels de la manifestation qui terminent leur militantisme à 17 heures. En perdant les bénévoles, on perd une force vive d’assistance qui jugule cette problématique et permet un peu d’apaisement. Quand l’action de terrain s’affaiblit, les problèmes s’accroissent.Ce foyer était initialement ouvert par l’Etat pour de l’hébergement hivernal non pérenne. Comment éviter ce problème systématique de la remise à la rue ?
L’Etat ne peut plus et ne sait plus gérer l’hébergement d’urgence. J’estime que c’est à l’échelle de l’intercommunalité que nous devons imaginer de nouvelles solutions durables comme celle d’un hébergement diffus, permanent et réparti entre les communes sur de petites unités, en fonction de leurs capacités d’encadrement et de leurs moyens. Durant mon mandat, j’ai eu la satisfaction de voir la Métro intégrer la question de l’hébergement d’urgence. Mais c’est une déception de constater que les décisions sont restées maigres et cosmétiques en la matière. Une de mes craintes s’est avérée juste. Les communes se sont désengagées quand la Métro a pris ces nouvelles responsabilités. Il faut donc agir de façon pragmatique et factuelle. Ces populations ne resteront pas dans les agglomérations si leur situation se détériore et les communes périphériques se retrouveront, de fait, avec ces situations à gérer. Une répartition diffuse de l’accueil permettrait de développer la quantité de places d’hébergement d’urgence sans créer de lieux ingérables, comme le foyer des Mimosas. Pour fonctionner en allégeant les coûts, ces structures auront nécessairement besoin de l’engagement et de l’encadrement de citoyens, selon leurs disponibilités et leurs compétences professionnelles. Pour créer cette plateforme intercommunale durable, il faut de la volonté et du courage politique et arrêter les tribunes de presse et les déclarations de principe qui confortent momentanément un électorat mais sans action directe. Depuis vingt-quatre ans, je n’ai jamais vu un de mes anciens collègues ou des élus actuels venir participer à une maraude. C’est significatif.Vous faites allusion à la tribune dans Libération co-signée par le président de la Métro, Christophe Ferrari, et le maire de Grenoble, Eric Piolle. Ce dernier s’est engagé dans un bras de fer avec l’État en permettant le maintien de l’eau et de l’électricité dans le foyer des Mimosas à la charge de la ville de Grenoble. Est-ce satisfaisant ?
La ville de Grenoble ne peut pas assumer seule cette responsabilité et je crains que le rétablissement des fluides ne règle pas le problème de l’insalubrité des lieux. Je partage le contenu de leur déclaration d’intention mais je les invite à organiser une séance extraordinaire de la Métro pour consulter les associations et trouver des solutions pérennes. À l’image des premiers mois de mandat, cela ressemble davantage à un positionnement médiatique et dogmatique qu’à une solution durable et pragmatique.Justement, quel regard portez-vous sur les 100 premiers jours de mandat d’Eric Piolle et de sa majorité à Grenoble ?
Ils ont fait preuve d’une grande intelligence de communication pendant la campagne en utilisant tous les codes du marketing pour vendre leur “produit”, Eric Piolle. Ils ont profité du traditionnel état de grâce des nouveaux élus, mais leurs faiblesses commencent maintenant à se faire sentir, comme les buildings des décors de cinéma tenus par des tréteaux. J’avais pourtant moi-même retrouvé mon réflexe d’ancien commerçant en voulant « faire confiance au produit », mais j’ai vite été désillusionné. Ils ne pourront pas toujours renvoyer la balle sur les « manquements » de la précédente équipe et devront commencer un jour à arbitrer des décisions politiques fortes. Je m’étonne, par exemple, de ne voir aucun autre élu émerger. La Première adjointe est inexistante. Nous ne savons pas ce que font les autres. Ils sont dans la gestion du quotidien. Durant les négociations d’entre-deux-tours, Eric Piolle était dans une optique de recrutement plutôt que dans des discussions programmatiques. Il nous avait avoué qu’il ne disposait pas des compétences suffisantes autour de lui pour gérer seul la ville. Comment vivez-vous l’après-mandat ? Pendant une campagne, nous faisions partie d’un collectif. Il faut donc assumer l’échec de façon collective. Il peut même avoir du bon, notamment pour ceux qui n’ont connu que la politique. Mais certains y sont vite retournés, grâce à leur réseau. Je ne suis pas sûr qu’ils bénéficient alors des bienfaits d’une défaite, qui est l’occasion de faire le bilan de l’action et le constat des choses mal faites pour s’améliorer à l’avenir. Nous n’avons pas encore pu réaliser ce travail collectif car le Parti socialiste a tendance à se replier sur lui-même en cas d’échec. Certains se persuadent que ça aurait pu être pire, estimant que la droite n’a pas récupéré la ville. Mais je partage très peu de choses avec cette gauche-là. En tout cas, ni leur vision économique, ni leur absence totale de création de logements. Sur le plan personnel, je ne suis pas martyrisé par cette défaite. Premièrement, parce que c’était mon premier mandat et que je ne suis pas un élu de métier. Deuxièmement, parce que je suis très satisfait du bilan de ma délégation. Et troisièmement, parce que j’ai une culture de terrain qui prévoit aussi l’échec dans une telle aventure. Je faisais partie de ceux qui exprimaient des craintes dans le cercle restreint de la campagne quant à l’issue de l’élection. Je cherchais du travail depuis un an et demi mais mon statut d’élu et de responsable associatif m’handicapait pour trouver un emploi. J’avais peu de disponibilité et être une personnalité locale ne me permettait pas d’être traité de la même façon que les autres demandeurs d’emplois. On me disait que des postes étaient sous-qualifiés pour moi alors que je suis polyvalent. Mais j’ai désormais des perspectives de travail à brève échéance. Corinne Lepage n’a pas été réélue députée européenne. Quel avenir a votre mouvement politique national du Rassemblement citoyen ? Nous sommes en discussion avec plusieurs formations politiques à l’échelle nationale comme le Parti socialiste, Europe-Ecologie-Les Verts, Nouvelle Donne ou encore le tout nouveau Front démocrate lancé par Jean-Luc Bennahmias. Il faut rapprocher toutes les forces de bonne volonté pour faire progresser le pays, sans céder au chant des sirènes des deux extrêmes. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Nils Louna L’entretien a été réalisé le jeudi 10 juillet dans le café Bagelstein, 8 place Sainte-Claire à Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.Extraits d’ouvrages choisis par Stéphane Gemmani : « L’art du bonheur », du Dalaï-Lama : « Prendre sa revanche contre ses ennemis crée une sorte de cercle vicieux. L’autre ne sera pas disposé à accepter votre vengeance – à son tour, il exercera des représailles, puis vous en ferez autant, et cela n’aura plus de fin. En particulier à l’échelle d’une communauté, le cercle vicieux peut se perpétuer de générations en générations. Tout ce qui fait le but de l’existence est souillé. (…) Cela intervient dès l’enfance et c’est désolant. La colère et la haine, ce sont des hameçons du pêcheur. Il importe absolument de ne pas se laisser crocheter par eux. » « Petit traité de l’abandon », d’Alexandre Jollien : « On ne doit jamais se laisser paralyser par un seul problème, si grave soit-il. Le grand flux de la vie ne doit jamais s’interrompre. (…) La joie passe en moi, la tristesse aussi. Elles vont et viennent. Elles ne s’installent pas. » « Politiques : le cumul des mandales », d’Olivier Clodong :A lire aussi sur Place Gre’net : Hébergement d’urgence : mairie et préfecture dos à dos
« Il ne suffit pas d’enlever sa Rolex pour être le candidat du peuple ! » (Nicolas Dupont-Aignan à propos de Nicolas Sarkozy). La conviction qu’il en tire : Plutôt qu’un ouvrage, j’ai fait une sélection d’extraits de trois de mes livres de chevet qui résument ma réflexion politique actuelle. Comme dans la réflexion du Dalaï-Lama, la nouvelle majorité est toujours dans une dynamique de revanche. Ils doivent maintenant dépasser leur rôle d’inquisiteurs pour devenir des acteurs. L’extrait d’Alexandre Jollien permet de digérer un échec pour en faire quelque chose de constructif. Enfin, la mandale de Dupont-Aignan est un écho cinglant à la polémique récente concernant l’investissement personnel et financier d’Eric Piolle dans une société de conseils financiers.