ENTRETIEN – Stéphane Gemmani, ancien élu municipal et président-fondateur du Samu social grenoblois, défend une nouvelle organisation diffuse, permanente et répartie de l’hébergement d’urgence à l’échelle intercommunale. Avec un objectif : remédier au problème régulier de la fermeture de centres provisoires. L’ancien conseiller municipal délégué à l’accessibilité revient également sur l’actualité politique de ces trois derniers mois.


Ce manque de solutions d’hébergement est-il significatif de la détérioration de la demande d’asile en France ?
L’attitude froide des services a déshumanisé la demande d’asile. Il y a un découragement organisé. La proportion des demandes traitées par les services préfectoraux est sous-évaluée. Entre les personnes qui arrivent sur notre territoire et celles dont la demande est traitée, il y a un déchet énorme. Mais nous ne pouvons pas faire remonter ces statistiques car c’est un chiffre impossible à obtenir et que nous n’avons pas le droit de créer de fichier nominatif.
Ce foyer était initialement ouvert par l’Etat pour de l’hébergement hivernal non pérenne. Comment éviter ce problème systématique de la remise à la rue ?
L’Etat ne peut plus et ne sait plus gérer l’hébergement d’urgence. J’estime que c’est à l’échelle de l’intercommunalité que nous devons imaginer de nouvelles solutions durables comme celle d’un hébergement diffus, permanent et réparti entre les communes sur de petites unités, en fonction de leurs capacités d’encadrement et de leurs moyens. Durant mon mandat, j’ai eu la satisfaction de voir la Métro intégrer la question de l’hébergement d’urgence. Mais c’est une déception de constater que les décisions sont restées maigres et cosmétiques en la matière. Une de mes craintes s’est avérée juste. Les communes se sont désengagées quand la Métro a pris ces nouvelles responsabilités. Il faut donc agir de façon pragmatique et factuelle. Ces populations ne resteront pas dans les agglomérations si leur situation se détériore et les communes périphériques se retrouveront, de fait, avec ces situations à gérer. Une répartition diffuse de l’accueil permettrait de développer la quantité de places d’hébergement d’urgence sans créer de lieux ingérables, comme le foyer des Mimosas. Pour fonctionner en allégeant les coûts, ces structures auront nécessairement besoin de l’engagement et de l’encadrement de citoyens, selon leurs disponibilités et leurs compétences professionnelles. Pour créer cette plateforme intercommunale durable, il faut de la volonté et du courage politique et arrêter les tribunes de presse et les déclarations de principe qui confortent momentanément un électorat mais sans action directe. Depuis vingt-quatre ans, je n’ai jamais vu un de mes anciens collègues ou des élus actuels venir participer à une maraude. C’est significatif.
Vous faites allusion à la tribune dans Libération co-signée par le président de la Métro, Christophe Ferrari, et le maire de Grenoble, Eric Piolle. Ce dernier s’est engagé dans un bras de fer avec l’État en permettant le maintien de l’eau et de l’électricité dans le foyer des Mimosas à la charge de la ville de Grenoble. Est-ce satisfaisant ?
La ville de Grenoble ne peut pas assumer seule cette responsabilité et je crains que le rétablissement des fluides ne règle pas le problème de l’insalubrité des lieux. Je partage le contenu de leur déclaration d’intention mais je les invite à organiser une séance extraordinaire de la Métro pour consulter les associations et trouver des solutions pérennes. À l’image des premiers mois de mandat, cela ressemble davantage à un positionnement médiatique et dogmatique qu’à une solution durable et pragmatique.Justement, quel regard portez-vous sur les 100 premiers jours de mandat d’Eric Piolle et de sa majorité à Grenoble ?
Ils ont fait preuve d’une grande intelligence de communication pendant la campagne en utilisant tous les codes du marketing pour vendre leur “produit”, Eric Piolle. Ils ont profité du traditionnel état de grâce des nouveaux élus, mais leurs faiblesses commencent maintenant à se faire sentir, comme les buildings des décors de cinéma tenus par des tréteaux. J’avais pourtant moi-même retrouvé mon réflexe d’ancien commerçant en voulant « faire confiance au produit », mais j’ai vite été désillusionné. Ils ne pourront pas toujours renvoyer la balle sur les « manquements » de la précédente équipe et devront commencer un jour à arbitrer des décisions politiques fortes. Je m’étonne, par exemple, de ne voir aucun autre élu émerger. La Première adjointe est inexistante. Nous ne savons pas ce que font les autres. Ils sont dans la gestion du quotidien. Durant les négociations d’entre-deux-tours, Eric Piolle était dans une optique de recrutement plutôt que dans des discussions programmatiques. Il nous avait avoué qu’il ne disposait pas des compétences suffisantes autour de lui pour gérer seul la ville.

A lire aussi sur Place Gre’net : Hébergement d’urgence : mairie et préfecture dos à dosExtraits d’ouvrages choisis par Stéphane Gemmani : « L’art du bonheur », du Dalaï-Lama : « Prendre sa revanche contre ses ennemis crée une sorte de cercle vicieux. L’autre ne sera pas disposé à accepter votre vengeance – à son tour, il exercera des représailles, puis vous en ferez autant, et cela n’aura plus de fin. En particulier à l’échelle d’une communauté, le cercle vicieux peut se perpétuer de générations en générations. Tout ce qui fait le but de l’existence est souillé. (…) Cela intervient dès l’enfance et c’est désolant. La colère et la haine, ce sont des hameçons du pêcheur. Il importe absolument de ne pas se laisser crocheter par eux. » « Petit traité de l’abandon », d’Alexandre Jollien : « On ne doit jamais se laisser paralyser par un seul problème, si grave soit-il. Le grand flux de la vie ne doit jamais s’interrompre. (…) La joie passe en moi, la tristesse aussi. Elles vont et viennent. Elles ne s’installent pas. » « Politiques : le cumul des mandales », d’Olivier Clodong :
« Il ne suffit pas d’enlever sa Rolex pour être le candidat du peuple ! » (Nicolas Dupont-Aignan à propos de Nicolas Sarkozy). La conviction qu’il en tire : Plutôt qu’un ouvrage, j’ai fait une sélection d’extraits de trois de mes livres de chevet qui résument ma réflexion politique actuelle. Comme dans la réflexion du Dalaï-Lama, la nouvelle majorité est toujours dans une dynamique de revanche. Ils doivent maintenant dépasser leur rôle d’inquisiteurs pour devenir des acteurs. L’extrait d’Alexandre Jollien permet de digérer un échec pour en faire quelque chose de constructif. Enfin, la mandale de Dupont-Aignan est un écho cinglant à la polémique récente concernant l’investissement personnel et financier d’Eric Piolle dans une société de conseils financiers.