Le syn­chro­tron de Grenoble révèle l’action d’une molé­cule sur des cel­lules can­cé­reuses agressives

Le syn­chro­tron de Grenoble révèle l’action d’une molé­cule sur des cel­lules can­cé­reuses agressives

FOCUS – Le syn­chro­tron euro­péen de Grenoble a per­mis de mieux com­prendre l’effet d’un com­posé orga­no­mé­tal­lique sur des cel­lules can­cé­reuses d’une forme agres­sive du can­cer du sein. Ces tra­vaux pro­met­teurs, réa­li­sés par une équipe de scien­ti­fiques dont des Grenoblois de l’Université Grenoble-Alpes et du grand accé­lé­ra­teur de par­ti­cules, ont été récem­ment publiés dans la revue Angewandte Chemie.

Certains types de can­cer très agres­sifs sont réfrac­taires aux trai­te­ments par chi­mio­thé­ra­pie, hor­mo­no­thé­ra­pie et immu­no­thé­ra­pie[1]. C’est notam­ment le cas du can­cer du sein type triple néga­tif[2] qui repré­sente 10 à 20 % des cas.

Loin de bais­ser les bras, les cher­cheurs explorent actuel­le­ment un nou­vel ensemble de molé­cules anti­tu­mo­rales pro­met­teuses : des molé­cules orga­no­mé­tal­liques de la famille des métal­lo­cènes. Ces com­po­sés ont été déve­lop­pés par le Pr Gérard Jaouen et son équipe à Sorbonne uni­ver­sité et à l’u­ni­ver­sité Paris-Sciences-et-Lettres (PSL).

Synchrotron européen de Grenoble (ESRF) sur la presqu’île scientifique. © ESRF

Synchrotron euro­péen de Grenoble (ESRF) au bout de la presqu’île scien­ti­fique. © ESRF

Grâce aux lignes de lumière du syn­chro­tron euro­péen de Grenoble (ESRF), cette équipe asso­ciée à des cher­cheurs de l’Université Grenoble-Alpes (UGA) et du grand ins­tru­ment élec­tro­ma­gné­tique a étu­dié les méca­nismes d’action de l’un d’entre eux. Il s’agit d’un dérivé du tamoxi­fène, médi­ca­ment oral d’hormonothérapie très uti­lisé pour la pré­ven­tion et le trai­te­ment du can­cer du sein, même agres­sif. Les résul­tats de leur recherche ont été publiés dans Angewandte Chemie, le 20 jan­vier dernier.

La ligne de lumière ID16 A éclaire la dis­tri­bu­tion intra­cel­lu­laire du métallocène

Le dérivé du tamoxi­fène étu­dié est plus pré­ci­sé­ment un dérivé osmo­cé­nique de l’hydroxytamoxifène. Autrement dit, comme son nom l’indique, cette nou­velle molé­cule contient de l’osmium à la dif­fé­rence du tamoxifène.

Cartographie par fluorescence excitée par rayonnement synchrotron de la distribution du potassium, élément physiologique essentiel de la cellule (K, rose) et de l’osmium (Os, vert), élément constitutif du dérivé osmocénique de l’hydroxytamoxifène, au sein de cellules de cancer du sein type triple négatif. © Sylvain Bohic

Cartographie par fluo­res­cence exci­tée par rayon­ne­ment syn­chro­tron de la dis­tri­bu­tion du potas­sium, élé­ment phy­sio­lo­gique essen­tiel de la cel­lule (en rose) et de l’osmium (en vert), élé­ment consti­tu­tif du dérivé osmo­cé­nique de l’hydroxytamoxifène, au sein de cel­lules de can­cer du sein type triple néga­tif. © Sylvain Bohic

« Nous connais­sions l’efficacité de cette molé­cule à base d’osmium grâce aux tra­vaux appro­fon­dis déjà effec­tués. Mais, nous ne connais­sions pas exac­te­ment son méca­nisme d’action dans des cel­lules de can­cer du sein type triple-néga­tif », rap­porte Sylvain Bohic, cher­cheur de l’Institut natio­nal de la santé et de la recherche médi­cale (Inserm) à l’ESRF.

Pour aller plus loin, les cher­cheurs ont loca­lisé et mesuré les concen­tra­tions de cette molé­cule à l’in­té­rieur de la cel­lule can­cé­reuse. Comment ? En uti­li­sant la ligne de lumière ID16A pour leur expérience.

La tech­nique de pointe ainsi mise en œuvre, de nano-ima­ge­rie syn­chro­tron par cryo-fluo­res­cence des rayons X en 2D et 3D, per­met un éclai­rage unique sur la dis­tri­bu­tion intra­cel­lu­laire de ce métal­lo­cène. Le tout, avec une réso­lu­tion de 35 nanomètres.

Une action multi-cible depuis le réti­cu­lum endoplasmique

Que révèlent les images obte­nues ? Premièrement, la molé­cule pénètre aisé­ment les mem­branes lipi­diques de la cel­lule can­cé­reuse en rai­son de sa nature lipo­phile (qui “aime” les lipides). Puis, le dérivé du tamoxi­fène cible un orga­nite cel­lu­laire essen­tiel, le réti­cu­lum endo­plas­mique.

Schéma du réticulum endoplasmique rugueux (5) et du réticulum endoplasmique lisse (8) d’une cellule eucaryote aux nombreux organites dont le noyau (2). DR

Schéma d’une cel­lule euca­ryote avec du réti­cu­lum endo­plas­mique rugueux (5) et du réti­cu­lum endo­plas­mique lisse (8) au milieu d’autres orga­nites dont le noyau (2). DR

En l’occurrence ? Un réseau de tubules mem­bra­naires, sou­vent inter­con­nec­tés, dis­per­sées dans tout le cyto­plasme – milieu aqueux dans lequel baigne le noyau et les autres orga­nites – des cel­lules euca­ryotes[3]. Oxydé à cet endroit, le métal-orga­nique engendre des méta­bo­lites qui vont atta­quer de concert dif­fé­rentes par­ties de la cellule.

Cette « action multi-cible » du dérivé du tamoxi­fène explique l’ac­ti­vité anti­can­cé­reuse obser­vée. De quoi sou­te­nir la cel­lule anor­male qui doit en effet faire face en son sein, à de nom­breux foyers démar­rant à dif­fé­rents endroits. Sans une telle aide, « la cel­lule tumo­rale, débor­dée par autant d’attaques, ne peut faire face. Elle meurt ou s’inactive », sou­ligne Sylvain Bohic.

Une voie alter­na­tive aux molé­cules de chimiothérapie

Structure chimique générale d’un composé métallocène, où M est un élément métallique. DR

Structure chi­mique sim­pli­fiée d’un com­posé métal­lo­cène, où M est un élé­ment métal­lique. DR

De nom­breux points demeurent encore à éclair­cir avant d’éventuels tests cli­niques (c’est-à-dire sur des patients). Mais une chose est sûre, cette étude est « pro­met­teuse », selon le Pr Gérard Jaouen.

Et pour cause. « Elle contri­bue au déve­lop­pe­ment de méca­nismes alter­na­tifs à ceux des molé­cules de chi­mio­thé­ra­pie clas­sique uti­li­sées dans le trai­te­ment des can­cers », explique-t-il.

La pro­chaine étape ? Découvrir com­ment cette molé­cule agit sur des cel­lules saines et étu­dier sa toxicologie.

Véronique Magnin

[1] La chi­mio­thé­ra­pie cherche à tuer rapi­de­ment les cel­lules can­cé­reuses. L’hor­mo­no­thé­ra­pie consiste à blo­quer l’ac­tion ou la pro­duc­tion d’hor­mones natu­relles afin d’empêcher le déve­lop­pe­ment des cel­lules can­cé­reuses. Quant au trai­te­ment par immu­no­thé­ra­pie, il vise à mobi­li­ser les défenses immu­ni­taires du patient contre sa maladie.

[2] Le can­cer du sein type triple néga­tif (TNBC en anglais, pour “triple nega­tive breast can­cer) se carac­té­rise par l’absence de récep­teurs des hor­mones sexuelles : œstro­gènes et pro­ges­té­rone. À laquelle s’a­joute aussi celle de récep­teurs du fac­teur de crois­sance épi­der­mique humaine (HER2). Le manque de cibles molé­cu­laires est l’une des causes de l’agressivité de ce can­cer invasif.

[3] Cellule euca­ryote : cel­lule ren­fer­mant un noyau conte­nant l’es­sen­tiel de l’in­for­ma­tion géné­tique por­tée par l’ADN. D’autres orga­nites baignent dans son cyto­plasme tels que le réti­cu­lum endo­plas­mique. Les cel­lules humaines sont des cel­lules euca­ryotes, à la dif­fé­rence des bac­té­ries aux cel­lules sans noyau qua­li­fiées de procaryotes.

Pour en savoir plus

Vidéo (légen­dée en anglais) résu­mant les recherches sur le can­cer du sein triple néga­tif à l’ESRF

© ESRF

Véronique Magnin

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