FOCUS – Louis-Julien Petit, réalisateur du long métrage Les Invisibles était à Grenoble le 27 novembre dernier pour présenter son film sur l’accueil de jour de femmes vivant à la rue. Une avant-première au cinéma Le Club, en compagnie des comédiennes Audrey Lamy et Corinne Masiero. Le réalisateur, qui était déjà venu par deux fois en 2017 pour s’imprégner de la réalité du quotidien d’un accueil de jour, s’était engagé à revenir présenter le film aux femmes et aux travailleuses sociales du “local des femmes” de l’association Femmes SDF.
Peut-être en croisez-vous tous les jours sans savoir qui elles sont, si elles dorment dehors, ce qu’elle vivent au jour le jour ? Beaucoup moins visibles dans nos rues que leurs compagnons d’infortune masculins, ces femmes « invisibles » reçues dans les accueils de jour représentent pourtant 40 % des personnes sans-abri.
Le 28 novembre dernier, le réalisateur Louis-Julien Petit présentait à Grenoble son film Les invisibles au cinéma Le Club, en compagnie des actrices Audrey Lamy et Corinne Masiero. Une « comédie sociale » sur l’accueil de jour des femmes SDF projeté la veille en avant-première dans cette même salle de cinéma.
Une séance de projection exceptionnelle et gratuite pour les sans-abris
Dans la salle, quelques femmes parmi les sans-abris invités à cette projection spéciale. Mais aussi nombre d’acteurs associatifs dont les animatrices de l’association grenobloise Femmes SDF. Une structure d’accueil de femmes vivant dans la rue intimement liée au réalisateur et à son film depuis sa genèse en 2017.
C’est en effet cette année-là que Louis-Julien Petit est venu à deux reprises à Grenoble, accompagné de certaines de ses comédiennes, pour s’imprégner du quotidien de lieux accueillant des femmes à la rue. Tel le “local des femmes” géré par l’association Femmes SDF à Grenoble.
Une manière pour le metteur en scène et les actrices de trouver le ton juste pour parler de la vie et de la détresse de ces femmes sans-abri confrontées à la misère et à la violence de la rue. Mais aussi de mieux décrire la réalité des travailleuses sociales, qui tous les jours les accueillent pour les réconforter, les aider et tenter de leur (re)mettre le pied à l’étrier.
Des femmes ayant connu la rue actrices de leur propre rôle
Louis-Julien Petit l’avait promis, il reviendrait à Grenoble pour leur présenter, ainsi qu’aux femmes du local, ce film qui évoque la vie d’un centre d’accueil de jour pour femmes SDF voué à une fermeture imminente. Le tout avec délicatesse, tendresse, humanité et humour, sans jamais sombrer dans le misérabilisme.
Le synopsis de ce film librement inspiré du livre Sur la route des invisibles de Claire Lajeunie ? Suite à la décision du maire d’une petite ville du nord de la France, le centre d’accueil pour femmes SDF L’Envol doit fermer. Il ne reste alors plus que trois mois aux travailleuses sociales du centre pour réinsérer coûte que coûte les femmes aux vies cabossées.
Ateliers de prise de confiance, entretiens d’embauche à blanc… Ces deux femmes, incarnées par Audrey Lamy et Corinne Masiero, vont user de divers stratagèmes pour aider leurs protégées dans leurs démarches. Sans hésiter à recourir à des mensonges, du piston ou même de la falsification pour parvenir à leurs fins. Le tout dans une totale improvisation, jusqu’à friser l’illégalité en transformant cet accueil de jour en lieu de vie vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
« J’ai vraiment voulu mettre en avant le boulot des travailleurs sociaux »
« Merci pour le film, il était bien joué. Celles qui ont joué les SDF c’était parfait », lance, à l’adresse de Louis-Julien Petit, une des spectatrices invitées à l’issue de la projection. Une remarque témoignant de la justesse d’un jeu pas seulement due au travail d’actrices professionnelles.
Pour incarner ces sans-abris se démenant dans les méandres d’une réinsertion à marche forcée, le réalisateur s’est en effet appuyé sur un casting d’une quinzaine de femmes ayant connu la rue. L’une d’entre elles est d’ailleurs parvenu à décrocher un emploi.
De quoi redonner confiance à ces actrices non professionnelles. « Je me suis retrouvée pour la première fois fière de moi, fière de passer d’invisible jusqu’à retrouver la visibilité de moi-même. Je l’ai fait pour ma fille, je voulais qu’elle soit fière de moi », a confié, reconnaissante, l’une d’elles à Louis-Julien Petit.
Quant aux deux travailleuses sociales d’Envol, elles sont le pivot de ce film qui flirte entre rire et émotions, multipliant les initiatives désespérées souvent loufoques et drôles. « J’ai vraiment voulu mettre en avant le boulot des travailleurs sociaux pour démontrer qu’ensemble on peut relever la tête », explique le réalisateur.
Sur une remarque d’une autre spectatrice qui estimait que « contrairement à la vraie vie, tout se termine bien dans le film », Louis-Julien Petit s’inscrit en faux. « Ce n’est pas une happy end que j’ai voulu faire mais montrer que, sous cette épée de Damoclès d’une fermeture annoncée de leur lieu d’accueil, ces femmes pouvaient repartir plus fortes. Ce qui était important c’était leur combat utopique, le vivre-ensemble et l’action commune », rétorque-t-il.
« Tout l’engagement qu’il faut pour aider les autres »
« Grâce au local des femmes et à l’association, je pense que je suis sur une bonne voie », souligne quant à elle Viviane, une jeune femme accueillie depuis cinq ans au local de Femmes SDF. « J’ai retrouvé dans ce film beaucoup de choses que j’ai vécues et que je vis toujours au local », complète-t-elle.
Ce qu’elle retient du film ? « La bienveillance, ce que l’on reçoit et que l’on donne. Dans ce film, c’est vraiment ce qu’on ressent », décrit-elle avec émotion. Mais aussi poursuit Viviane, « la solitude intérieure des équipes et tout l’investissement et l’engagement qu’il faut pour parvenir à aider les autres ».
Ce film de Louis-Julien Petit, c’est aussi l’histoire d’une transgression. « Ce que les deux travailleuses sociales font dans le film est interdit. Mais la plupart de celles à qui j’ai demandé, dans la vraie vie, s’il leur était arrivé de s’affranchir des règles m’ont répondu par un silence qui en disait long », relate le réalisateur.
Maïwenn Abjean, directrice de l’association Femmes SDF, reconnaît quant à elle pouvoir jouir d’une certaine liberté d’action. « Il y a au local des femmes de l’association, une liberté d’action, un investissement et une relative joie de vivre malgré l’environnement morose, malgré les difficultés des femmes qu’on accueille, les complications administratives… Nous avons cette possibilité d’expérimenter, de faire des choses », explique la jeune directrice.
Toujours est-il qu’il ne nous appartient pas de dévoiler ici tous les ressorts de ce film poignant autant que lumineux. Il faudra donc s’armer d’un peu de patience pour aller le voir en salle à partir du 9 janvier 2019.
Joël Kermabon