TROIS QUESTIONS À… Jean-Claude Killy a marqué l’histoire des Jeux olympiques de Grenoble en décrochant pas moins de trois médailles d’or en ski à Chamrousse. Un demi-siècle plus tard, ce 6 février, l’ancien champion a assisté à la célébration du 50e anniversaire de ces JO. “King Killy” compte sur le biathlète Martin Fourcade pour faire tomber son record lors des Jeux de PyeongChang en Corée du Sud, qui débutent le 9 février.
Place Gre’net – Comment vivez-vous ces célébrations des 50 ans des Jeux olympiques de Grenoble ? Qu’est-ce que ces JO ont apporté à la ville et aux habitants ? Ont-ils contribué à démocratiser la pratique du ski alpin, notamment dans les Alpes ?
Jean-Claude Killy : C’est un plaisir énorme, vraiment, parce qu’il y a 50 ans il s’était passé quelque chose d’extraordinaire à Grenoble, pas seulement pour moi, mais pour la ville, pour le département et pour la France. Ces Jeux ont été une superbe réussite, reconnue comme telle par le CIO [comité international olympique, ndlr]. Cela a été une rupture. Il y a eu les Jeux avant Grenoble et après Grenoble. Ils ont été chaleureux, souriants, innovants.
Je pense que les Grenoblois sont très contents d’avoir eu les Jeux, que l’on parle d’eux en ce moment et qu’ils considèrent qu’ils ont apporté beaucoup à la ville, en dur. Je veux parler du contournement de la ville, de la gare qui a été sortie du centre-ville pour être placée dans un endroit plus adéquat, de la construction de la mairie, etc. La ville a fait un bond en avant considérable.
« Les Jeux de Grenoble ont mis la France au sens large
sur la carte des pays où l’on faisait bien du ski »
Le maire de Grenoble [Éric Piolle, ndlr] a indiqué qu’il y avait eu presque immédiatement 60 000 habitants de plus. Ce n’est pas mal. C’est grâce à l’olympisme. En tant qu’ancien membre du CIO, je suis très content.
Les Jeux de Grenoble ont mis la France au sens large sur la carte des pays où l’on faisait bien du ski. Cela inclut les Pyrénées, les Savoie, évidemment l’Isère, tous ceux qui avaient un programme à proposer mais qui n’avaient pas les moyens de le médiatiser. Le CIO en attribuant les Jeux olympiques à Grenoble y a contribué. C’est plutôt sympa.
Vous imaginiez-vous, il y a 50 ans, repartir de Grenoble avec trois médailles d’or ? Qu’est-ce que ces JO ont changé pour vous ?
Jean-Claude Killy : Non, je ne m’imaginais pas du tout remporter trois titres. Quand je suis arrivé avec ma petite bagnole à Grenoble, je me disais : “Si je pouvais être champion olympique, ce serait formidable !”
J’étais déjà champion du monde. Cela s’est très bien enchaîné. Il y avait une période formidable. Nous avions une équipe absolument extraordinaire.
Le ski est un sport individuel mais si vous n’avez pas une équipe très forte, vous n’y arrivez pas. C’est une discipline extrêmement compliquée. Nous avions besoin des uns et des autres. La première médaille d’or en poche [en descente, en l’emportant de huit centièmes devant Guy Périllat, ndlr], les deux autres [en géant et en slalom] ont été un peu plus faciles [à gagner, ndlr].
« Grenoble m’a ancré dans le sport pour la suite de ma carrière sportive »
Ces Jeux ont été le démarrage de quelque chose d’autre. Grenoble m’a ancré dans le sport pour la suite de ma carrière sportive parce que je ne voulais plus faire de ski [il a fait ensuite de la course automobile, ndlr].
Le fil rouge de toute ma carrière – je l’ai découvert il y a peu de temps – c’est quand même le sport, que ce soit dans le marketing, quand j’étais au conseil d’administration de différentes entreprises, quand je me suis occupé de différents championnats du monde en Savoie ou quand j’étais président de la société du Tour de France et du Paris-Dakar [Amaury Sport Organisation (ASO), ndlr]… Je me suis bien amusé mais je ne crois pas que cela se serait produit de cette manière-là sans Grenoble.
Comment jugez-vous l’organisation des Jeux en Corée du Sud ? Quel regard portez-vous sur la génération actuelle de skieurs français et sur le biathlète Martin Fourcade dont le public attend qu’il brille ?
Jean-Claude Killy : J’ai reçu un sms du secrétaire général du CIO qui m’a dit : “C’est très chaud ici et il fait très froid”. Cela veut dire que ce n’est jamais facile de gérer les Jeux olympiques.Il faut à l’avenir que nous nous occupions impérativement des problèmes que rencontre l’olympisme.
Dans toute sa splendeur, dans toutes ses valeurs, il a quand même des points faibles : le gigantisme et le dopage évidemment. Même les plus belles idées ne tiennent pas si nous ne les entretenons pas.
Nous pouvons nous attendre à des Jeux superbes parce que les Sud-Coréens ont fait un travail formidable, avec beaucoup de cœur. Ce sera la célébration des Jeux olympiques.
« Martin Fourcade est un athlète et un homme extraordinaire »
Je pense que les skieurs français ont de fortes chances de médailles, notamment Tessa Worley [en géant, ndlr] et pourquoi pas Alexis Pinturault [en slalom, en géant ou en combiné, épreuve comprenant une descente et un slalom].
Vous savez les courses d’un jour ne sont jamais jouées à l’avance. Si vous prenez l’histoire du slalom de tous les Jeux olympiques d’hiver qui ont eu lieu, ce n’est quasiment jamais le favori qui gagne. Cela laisse donc la porte ouverte à ceux qui ne s’appellent pas Marcel Hirscher [favori, l’Autrichien est le deuxième skieur le plus victorieux de tous les temps]. Il est du niveau d’Hirscher, donc cela va marcher à un moment ou un autre.
Concernant Martin Fourcade, j’ai un regard bienveillant, de frère, de père, avec toute l’admiration que j’ai pour un athlète capable de personnifier son sport de cette belle manière, c’est-à-dire avec du recul, sans prétention, en aidant tout le monde et en ne se prenant pas pour quelqu’un d’autre. C’est un athlète et un homme extraordinaire.
Il ne peut que briller lors de ces Jeux. Il doit prendre mon record [trois médailles d’or], je le lui donne. Est-il capable d’en décrocher quatre ? Je crois vraiment qu’il peut le faire, bien sûr. Il suffit que les choses tournent bien pour lui.
Propos recueillis par Laurent Genin