ENTRETIEN – Vingt-deux ans de carrière, sept albums et plus de mille concerts au compteur. Et pourtant l’auteur-compositeur-interprète Mathieu Boogaerts ne jouit toujours pas de la notoriété qu’il appelle de ses vœux. Il s’en ouvre à nous avant son concert à La Source, mercredi 13 décembre.
On lui prête une filiation avec Alain Souchon. Il a certes comme lui un solide sens de la mélodie et un goût pour les textes enlevés, faussement légers. La douceur du timbre aussi, reconnaissable entre tous, peut expliquer la comparaison. Mais, dans sa jeunesse, Mathieu Boogaerts a plutôt écouté les titres du chanteur néerlandais Dick Annegarn.
En autodidacte, il a conquis la maîtrise de nombreux instruments. C’est à la guitare toutefois qu’il compose ses chansons et qu’il s’accompagne en concert. Après avoir tourné ces sept dernières années dans une formule guitare-voix, l’auteur-compositeur-interprète a sollicité les services du musicien Vincent Mougel.
Le principal ressort de cette tournée de concerts demeure néanmoins l’économie de moyens, qui stimule toujours autant la créativité de ce chanteur rétif aux phénomènes de mode.
Pourquoi avoir demandé au musicien Vincent Mougel de vous accompagner sur cette série de concerts ?
Ça fait vingt-deux ans que je tourne. Ces cinq dernières années, j’ai beaucoup joué tout seul. C’était un choix artistique avant tout parce que je me sens de plus en plus chansonnier. Je me suis aperçu que les concerts dans lesquels je m’épanouissais le plus étaient ceux dans lesquels j’étais entièrement aux commandes.
Mais j’en ai fait tellement que j’ai eu peur de m’ennuyer. Je ne voulais pas retomber sur les mêmes trucs. Alors j’ai cherché un musicien pour animer mon guitare-voix.
Mais quand je parle de « guitare-voix », il ne faut pas s’imaginer Brassens sur son tabouret. J’ai une petite pédale au pied pour faire la grosse caisse, par exemple. C’est très rythmé.
Et Vincent Mougel est un musicien vraiment étonnant. Il va venir ponctuer le concert en arrivant au refrain faire un riff de guitare, puis ressortir puis revenir sur un chœur ou faire un peu de clavier… Moi, souvent, en tant que spectateur, je m’ennuie en concert. Du coup, ma hantise quand je fais un concert, c’est que les gens soient comme moi. Je mets donc beaucoup de soin dans le rythme des concerts, dans le choix et le déroulement des chansons.
Il y a deux ans, vous avez fêté vos vingt ans de carrière. Imaginiez-vous une telle longévité lorsque vous avez débuté ?
J’ai arrêté l’école assez tôt parce que j’étais mauvais. J’ai commencé à faire des petits boulots. Et j’ai trouvé un travail dans les sondages. C’était vachement bien payé. J’avais 20 ans et ça a été déterminant parce qu’à partir de là j’arrivais à être indépendant financièrement tout en ayant la moitié de mon temps libre.
C’est à ce moment-là que j’ai vraiment décidé de développer mon truc. Un peu comme un étudiant en médecine qui part pour la fac et qui sait qu’il n’exercera pas avant d’être diplômé. Moi, c’était pareil, je ne faisais pas de concerts mais je travaillais. Je me disais que ce serait prêt quand ce serait prêt. C’était une décision assez studieuse. Donc à 20 ans, je commençais à me projeter et à imaginer faire une carrière dans la chanson, oui.
Quels processus gouvernent la fabrication de vos morceaux ?
Je n’ai jamais le projet d’écrire une chanson. Dans tous les cas, au départ, je passe beaucoup de temps à grattouiller ma guitare. D’un seul coup, quelques accords, une mélodie que je n’ai pas vraiment cherchée me viennent. Je tourne autour et, très spontanément, j’ai envie de chanter dessus. Les mots arrivent, eux aussi, de manière spontanée. Et, des fois, la connexion entre cette phrase et cet accord va m’émouvoir au point que je vais sentir une chanson au bout de la langue. C’est une évidence, comme si la chanson existait déjà. Ensuite, je laisse ça de côté. Et puis je développe plus tard et, là, ça devient un truc acharné sur lequel je peux passer quinze heures par jour.
Dans le titre « Bizarre », qui figure sur votre dernier opus Promeneur (2016), vous écrivez « c’est bizarre comment tu me dessines », avant de sommer votre interlocuteur de « mieux vous regarder ». Considérez-vous que les médias et le public en général vous « écoutent » bien ?
Je n’ai pas le projet d’être plutôt bleu, vert ou rouge. Je suis toujours très curieux d’entendre les avis. Fondamentalement, je ne peux pas contester ce qu’on va me dire. Si quelqu’un me dit « je trouve ça hyper trash », il y aura forcément une raison. Par contre, je m’aperçois ces dernières années que je suis assez frustré du côté confidentiel de ma musique. Je n’aspire pas à faire la couverture de Télé 7 jours – ce n’est pas pour ça que je fais de la musique – mais j’ai l’impression que mes chansons pourraient toucher beaucoup plus de gens et qu’on ne me laisse pas y accéder.
Pourquoi n’êtes-vous pas davantage présent dans les médias à votre avis ?
Je n’ai jamais été nominé aux victoires de la musique, par exemple. Parfois, j’ai l’impression d’être un peu le vilain petit canard de la chanson.
Peut-être que ça vient de moi et que, sur mon lit de mort, je me dirai « ah oui, je comprends pourquoi ». J’espère. Parce que, là, ce qui m’énerve c’est que j’ai l’impression d’être victime d’une injustice.
Mais je pense que c’est propre à tous les artistes, quelle que soit leur notoriété. Il y a toujours un moment où on est un peu jaloux du voisin. C’est pour ça que je continue d’ailleurs, comme si je voulais vraiment créer un lien avec les gens. J’ai toujours envie que ce lien grossisse. C’est peut-être pour ça aussi que je cours toujours après une nouvelle chanson, après un nouveau disque.
Écoutez-vous ce que font vos homologues dans la sphère de la chanson francophone ?
En fait, j’ai envie d’écouter tout sauf ça, même s’il y a des trucs pas mal. J’écoute des choses très variées : de la musique indienne, africaine, du jazz… toutes sortes de choses. Et puis, depuis que les plateformes existent, c’est tellement facile, je découvre plein de trucs géniaux. Ce n’est pas dans mon intérêt de faire la promotion des sites de “streaming” parce que ça ne rapporte rien mais, par contre, ça ouvre tellement de possibilités…
Qu’est-ce qui vous permet de vivre de votre musique ?
Je me rattrape sur les concerts. En fait, je vis aussi bien qu’il y a cinq ans. J’ai la chance d’être très indépendant. Je peux faire un concert seul ou à deux. Je n’ai pas besoin d’une équipe de dix personnes. Je suis très mobile. Et puis, je suis auteur-compositeur, donc je touche mes droits d’auteur. Et, finalement, je vis très bien.
Aimez-vous les périodes de tournée ?
Beaucoup ! C’est fatigant mais c’est surtout très grisant. Vraiment, tous les jours, rencontrer des gens différents, une salle, une ville, un concert, c’est magique ! Mais ça ne peut pas durer toute la vie. Entre la fin septembre et la mi-décembre, j’ai cinquante concerts de prévu. Je ne pourrai pas avoir ce rythme-là toute la vie. Je parlais à l’instant de ma frustration mais, globalement, je me dis que j’ai une chance incroyable de faire ce métier génial.
Propos recueillis par Adèle Duminy
Infos pratiques
Mathieu Boogaerts en duo avec Vincent Mougel + Joëlle Saint-Pierre
De 10 à 17 euros