Diffusé en avant-première ce lundi 2 octobre au cinéma Le Club, le film-documentaire Ouvrir la voix, écrit et réalisé par Amandine Gay, a reçu un tonnerre d’applaudissement. Ce long-métrage, qui sortira en salles mercredi 11 octobre, témoigne des difficultés des femmes françaises issues de l’immigration africaine ou antillaise. Organisée par l’association Contrevent, la séance s’est terminée par une rencontre avec la réalisatrice Amandine Gay, une fervente militante de “l’afro-féminisme”.
Très attendue – la séance affichait complet – l’avant-première du film-documentaire Ouvrir la voix ce lundi 2 octobre au cinéma Le Club a été couronnée de succès. Outre les applaudissements nourris qui ont accueilli le documentaire, beaucoup de spectateurs ont affirmé s’y reconnaître lors de la rencontre avec sa réalisatrice Amandine Gay qui a suivi la projection.
Ouvrir la voix, c’est le récit de vingt-quatre femmes noires françaises et belges, qui se confient ouvertement face caméra. Elles témoignent d’une double difficulté, celle d’être femme et noire en France, à travers des clichés omniprésents dans leur quotidien, des questions gênantes et des remarques désobligeantes dont elles sont régulièrement les victimes.
En pénétrant dans leur univers intime, la réalisatrice Amandine Gay a réussi à montrer, avec finesse et habilité, qu’il existe toujours des représentations biaisées des femmes noires. Des femmes qui ne supportent plus les questions embarrassantes : « Alors tu viens d’où ? » ou plus grave, « Ah bon ! Tu fais des études supérieures ? »
« Si tu es noire, tu dois toujours en faire deux fois plus »
Ces femmes qui témoignent tour à tour de leur jeunesse, de leur scolarité, de leur travail ou encore de leur sexualité n’ont rien en commun, hormis leur couleur de peau. Et pourtant, leurs récits entrecroisés, étrangement similaires, montrent qu’elles partagent bel et bien le même combat.
« On veut l’oublier mais on nous renvoie toujours à notre couleur de peau », raconte l’une d’entre elles. « Si tu es noire, tu dois toujours en faire deux fois plus », assure une autre.
Souvent, les stéréotypes sont tellement ancrés dans les mœurs et les esprits qu’ils en deviennent quasi invisibles, s’accordent à dire ces femmes. « Je ne supporte pas que des inconnus se permettent de toucher mes cheveux comme si j’étais une enfant. C’est mon intimité », explique ainsi une femme qui porte une coupe afro.
« Je ne suis jamais assez française pour les Blancs. On me demande toujours d’où je viens, mais je suis française ! On ne demande pas à un blanc son arbre généalogique ! », témoigne une jeune femme. Une autre encore évoque l’étonnement des gens quand elle annonce qu’elle est ingénieure pharmaceutique. Beaucoup parlent aussi du regard des hommes blancs, insistants parfois, curieux pour d’autres.
Ce film aborde certains thèmes qui relèvent de l’intime, c’est ce qui fait sa force. De la dépression jusqu’à la sexualité, « il y a toutes sortes de préjugés sur les femmes noires. Il existe un fantasme malsain, un mythe sexuel autour de “la femme noire”. On est parfois perçues comme des sortes d’animaux sauvages au lit ! », confie une jeune femme dans le documentaire. « Une fois, un mec a demandé à un ami ce que ça fait d’avoir un rapport sexuel avec une noire, comme si notre corps était différent de celui des blanches !», s’exclame une autre femme interviewée dans le film. Une forme de racisme qui ne dit pas son nom, notamment lié aux vestiges du colonialisme, estime la réalisatrice Amandine Gay.
Les actrices noires, réduites aux « rôles misérabilistes »
L’idée de ce film-documentaire est né des propres frustrations de la réalisatrice, anciennement comédienne. « En tant que femme noire, il m’était très difficile de jouer des rôles au théâtre classique », explique-t-elle. « Les actrices noires se voient souvent attribuer deux types de rôles misérabilistes : ceux qui ont trait à l’immigration et à la délinquance. On n’est pas choisies pour incarner un personnage, mais pour incarner une personne noire », poursuit-elle.
La réalisatrice Amandine Gay, lors de l’avant-première de son film « Ouvrir la Voix », au cinéma Le Club à Grenoble © Anaïs Mariotti
Dans la vie quotidienne, « des choses qui vont de soi pour un Blanc ne vont nécessairement pas de soi pour un Noir », affirme la jeune réalisatrice. C’est pourquoi, Amandine Gay défend l’idée d’un afro-féminisme parmi d’autres types de féminisme. Une femme blanche athée engagée pour la libéralisation de la femme n’aura pas nécessairement le même combat féministe qu’une femme voilée, de confession musulmane, explique-t-elle.
« Mon film s’adresse d’abord aux femmes noires qui se sont posé les mêmes questions que moi dans la vie. Mais à la fin, ce film s’adresse justement à toute la race humaine », poursuit-elle.
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Sur un ton très intimiste, la réalisatrice parvient à montrer au grand public les discriminations invisibles. Invisibles, car le racisme est présent partout, de manière plus ou moins subtile, dans la sphère privée.
Comment se sentirait un Blanc dans un milieu majoritairement noir ?
Pendant deux heures, les témoignages sincères et poignants de ces femmes s’enchaînent sans aucune musique pour ensuite laisser place à la réflexion : comment se sentirait un Blanc dans un milieu majoritairement noir ? Aurait-il les mêmes appréhensions, la même peur d’être jugé, le même sentiment d’être “différent” ?
« Je voulais donner la parole aux minorités, à celles qui n’ont pas l’occasion de s’exprimer dans l’espace public », explique la réalisatrice. La sobriété de ce film auto-produit, sans artifices, reposant exclusivement sur des témoignages forts, n’en révèle pas moins la qualité artistique. Un film simple mais puissant.
Anaïs Mariotti
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