FOCUS – L’accord de principe a été acté lors du conseil municipal de ce 10 avril à Grenoble : la Ville va céder à l’Association des musulmans unis un tènement en vue de construire une nouvelle mosquée dans le quartier Teisseire. Un projet dans les cartons depuis 1995 mais qui, selon l’opposition, a été mené sans concertation et soulève des interrogations quant à son financement.
« Les conditions actuelles d’exercice du culte à la mosquée Teisseire ne sont pas satisfaisantes. Il s’agit donc d’une question de dignité du culte », a rappelé en guise d’introduction Vincent Fristot, adjoint à l’urbanisme et porteur de la délibération sur laquelle devait se prononcer ce lundi 10 avril le conseil municipal de Grenoble. Une délibération qui devait répondre à la sollicitation de cession d’un tènement à l’Association des musulmans (Amu) pour la réalisation de son projet de construction d’un « établissement cultuel et culturel » (cf. encadré).
Vincent Fristot, adjoint à l’urbanisme et porteur de la délibération. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Pour l’adjoint, il ne faut plus tergiverser, il est plus que jamais nécessaire que « la situation actuelle d’accueil du public puisse évoluer ».
C’est pourquoi, après « plusieurs mois de travail et l’identification d’un site approprié », 2 500 m2 vont être extraits d’une parcelle située Chemin du repos.
Le projet prévu par l’Amu est un ensemble en rez-de-chaussée, plus un niveau de 2 200 m2 de surface de plancher et 1 000 m2 de parking en sous-sol. Quant aux riverains, Vincent Fristot l’assure, « le projet leur a été présenté le 14 mars dernier et tient compte du tissu existant composé de deux maisons ».
« C’est une première délibération de principe de cession de la parcelle […]. Une seconde délibération viendra confirmer et même indiquer les conditions de cession du foncier concernant l’opération », a conclu Vincent Fristot.
« Vous avez voulu faire cavalier seul ! »
Premier à réagir, Matthieu Chamussy, le président du groupe Les Républicains – UDI et Société civile n’a pas manqué de rappeler son attachement à ce que les cultes puissent être pratiqués dans des conditions décentes, tout autant que l’exigence de transparence qui doit régir le financement de l’opération. L’élu est vite sorti du mode consensuel pour livrer une première attaque. « Une fois de plus, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres […], vous avez voulu faire cavalier seul », a‑t-il lancé à l’adresse de Éric Piolle, le maire de Grenoble.
L’objet de l’ire du président de groupe ? L’élu considère que sur des sujets de cette importance, « qui ne sont ni de droite, ni de gauche », les conditions d’information, de dialogue et de concertation des élus permettant l’élaboration d’un consensus n’ont pas été respectées.
Notamment en commission, ce qui a eu pour conséquence « de [les] empêcher de délibérer en toute connaissance de cause », a regretté Matthieu Chamussy.
Et il n’est pas le seul à le penser. Un peu plus tard, Jérôme Safar, le président du groupe Rassemblement de gauche et de progrès, l’a en effet rejoint sur ce point.
« Sur le montant du projet, nous avons lu dans la presse 2 millions d’euros. En commission, M. Fristot parle de 4 millions voire 4,5 millions […] Et Élisa Martin, interrogée, nous dit que le projet n’en est pas encore au chiffrage ! », s’est emporté Matthieu Chamussy. « Nous découvrons ensuite qu’après des années de collecte, le porteur du projet a recueilli une somme qui est inférieure au montant que vous envisagez pour la vente du terrain ! », s’est-il encore étonné. « Nous sommes furieux de ne pas pouvoir voter cette délibération qui, d’ailleurs, sur le plan juridique, ne va pas très loin puisque c’est une déclaration d’intention, de principe », a conclu l’élu.
« C’est souvent celui qui paye qui commande »
« Personne ne peut ni juridiquement ni moralement s’opposer à cette délibération. Il y a des milliers de musulmans dans notre commune et ils ont droit à des établissements de culte dignes », a quant à lui déclaré Alain Breuil, conseiller municipal Front national. Pour autant, l’élu s’interroge. « Que se passera-t-il dans ce futur local, ni mosquée ni centre culturel ? Qui assurera les prêches, quelle sera l’indépendance des recteurs vis-à-vis de mouvements extrémistes ? »
Et de poursuivre sur sa lancée, s’inquiétant des réelles capacités financières de l’Amu.
« Vous savez, comme moi, que certains pays sont extrêmement généreux comme l’Arabie saoudite, le Qatar ou l’Algérie », a rappelé Alain Breuil. Avant de lâcher, non sans arrière-pensées : « C’est bien souvent celui qui paye qui commande. »
Le volet culturel du projet interpelle également le conseiller municipal. Tout particulièrement les cours d’arabe dispensés par l’association. « Ce n’est pas en réapprenant une langue que beaucoup ne connaissent pas ou ne connaissent plus que nous allons aller vers plus de fraternité et plus d’union nationale », affirme l’élu frontiste.
« C’était difficile à écouter mais au moins ça aura eu le mérite de la pédagogie et de dévoiler vraiment le discours nauséabond du Front national et de ses amalgames », a de son côté commenté, un tantinet agacé, Éric Piolle, immédiatement après l’intervention d’Alain Breuil.
« Aucune ignorance n’est utile »
« Nous aurons sans doute à nous prononcer sur la part de financement public de l’aspect culturel du projet là où son aspect cultuel relève du privé, au sens large du terme avec, malheureusement, les fantasmes maniés par les uns et par les autres », a exposé Jérôme Safar, prenant à son tour longuement la parole. Autant d’inquiétudes mais aussi de réalités qui doivent, selon l’élu, « pouvoir être regardées sans pour autant stigmatiser ».
« Par notre vote, nous allons permettre à un culte et aux cultures qui y sont rattachées de nous aider à mieux en saisir la diversité, la richesse et les difficultés qui sont les siennes, traversées qu’elles sont par les extrémismes », a expliqué Jérôme Safar. Avant d’ajouter « qu’il est important que nous rappelions à tous les Grenoblois qu’aucune ignorance n’est utile ».
Pour Jérôme Safar, il n’est pas habituel, dans l’enceinte du conseil, d’avoir à statuer sur une délibération aussi lourde de sens et de responsabilité morale. Et, rappelle-t-il, s’il faut rester vigilant sur le financement, il ne faut pas pour autant « tomber dans les pièges que nous nous tendrions à nous-mêmes. Là, des hommes et des femmes sont concernés par notre décision », a conclu l’élu, assurant que son groupe voterait pour la délibération.
« La question qui se pose c’est celle du pouvoir de contrôle »
« Nous sommes d’accord avec le principe ou pas. C’est cela dont nous devons délibérer ce soir », a recadré Éric Piolle à la fin des prises de parole. Le prix de la parcelle ? Il sera communiqué en temps et en heure assure l’élu.
Le financement à venir ? « Sur le principe, là aussi, l’Amu et l’imam de la mosquée ont été extrêmement clairs [le recours à des fonds privés sans contrepartie, ndlr]. La question centrale qui se pose derrière, si l’on veut aller plus loin, c’est celle du pouvoir de contrôle », résume Éric Piolle. Qui admet que, sur un projet comme celui-ci, la Ville ne dispose pas d’un tel pouvoir.
« Nous sommes là dans des questions opérationnelles de pratique de la laïcité, d’exercice des cultes, du lien entre le cultuel et le culturel […] Nous n’irons pas, ce soir, sur la question du dialogue inter-religieux dont il n’appartient pas à la Ville de Grenoble de le piloter car il vit indépendamment », a déclaré Éric Piolle avant de mettre aux voix la délibération.
Joël Kermabon
La Mosquée de Teisseire, « un établissement cultuel et culturel » financé par des fonds privés ?
Fidèles lors d’une prière à la mosquée de Teisseire, rue Paul Cocat. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Force est de constater que la trentaine de lieux de culte répertoriées dans l’agglomération, dont quatorze sur Grenoble, ne suffisent pas à satisfaire les besoins les citoyens musulmans grenoblois, au nombre de plusieurs dizaines de milliers. Nombre d’entre eux se voient ainsi bien souvent contraints de se livrer à leur pratique dans des locaux exigus et inadaptés ou, pire, lorsque la place vient à manquer, sur la voie publique.
Ces derniers, et plus particulièrement les fidèles de l’actuelle mosquée située rue Paul Cocat, appellent ainsi de leurs vœux la construction d’un nouveau centre culturel musulman depuis 1995.
Une mosquée financée grâce aux dons privés
Le projet de nouvelle mosquée est resté pendant plusieurs années dans les cartons, notamment faute d’avoir pu trouver un terrain d’accueil. Ce qui n’a pas empêché l’Association des musulmans unis (AMU) de lancer il y a plusieurs années un appel aux dons privés, notamment à travers son site web.
Quid des fonds collectés ? L’association aurait déjà réuni une somme avoisinant les 200 000 euros. Bien loin du compte toutefois puisque la nouvelle mosquée devrait coûter, selon elle, un peu plus de 2 millions d’euros.
Outre les espaces consacrés au culte, tels que les salles de prières des hommes et des femmes, une partie des bâtiments de la future mosquée aura une vocation culturelle.
Les disciplines enseignées par l’Association des musulmans unis (Amu). © Joël Kermabon – Place Gre’net
Notamment six salles de classe, où seront dispensés, entre autres enseignements, des cours de citoyenneté, de religion et de langue arabe. Autant d’activités sur lesquelles l’association avait communiqué lors d’une journée portes ouvertes intitulée « Thé de la fraternité » en janvier 2016.