Le tribunal correctionnel de Grenoble a condamné le Dr Lekhraj Gujadhur, médecin psychiatre, à 18 mois de prison avec sursis pour homicide involontaire.

Première en France : le méde­cin d’un schi­zo­phrène meur­trier condamné à Grenoble

Première en France : le méde­cin d’un schi­zo­phrène meur­trier condamné à Grenoble

FOCUS – Le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Grenoble a condamné Lekhraj Gujadhur, méde­cin psy­chiatre pour­suivi pour homi­cide invo­lon­taire, à dix-huit mois de pri­son avec sur­sis ce mer­credi 14 décembre. Il lui est repro­ché d’a­voir sous-estimé la dan­ge­ro­sité de l’un de ses patients, schi­zo­phrène auteur d’un meurtre après s’être échappé du centre hos­pi­ta­lier psy­chia­trique de Saint-Égrève. Également pour­suivi, l’é­ta­blis­se­ment a été relaxé. L’accusé, quant à lui, a inter­jeté appel de cette décision.

C’est la pre­mière fois en France que la res­pon­sa­bi­lité pénale d’un méde­cin hos­pi­ta­lier est recon­nue par une cour de jus­tice, suite aux agis­se­ments d’un patient sou­mis à ses soins. Ce mer­credi 14 décembre, soit près de huit ans après les faits, sui­vant en cela, à la lettre, les réqui­si­tions du par­quet, le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Grenoble a condamné le Dr Lekhraj Gujadhur, méde­cin psy­chiatre actuel­le­ment à la retraite, à dix-huit mois d’emprisonnement avec sur­sis pour homi­cide involontaire.

Me Jean-Yves Balestas et son client le Dr Lekhraj Gujadhur. © Joël Kermabon - Place Gre'net

Me Jean-Yves Balestas et son client le Dr Lekhraj Gujadhur. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Quant au centre hos­pi­ta­lier de Saint-Égrève, l’employeur du pra­ti­cien au moment des faits, pour­suivi sur les mêmes chefs d’ac­cu­sa­tion pour « défaut de sur­veillance », le tri­bu­nal l’a relaxé.

Le 12 novembre 2008 à Grenoble, Jean-Pierre Guillaud, un patient âgé de 56 ans souf­frant de schi­zo­phré­nie, en proie à des hal­lu­ci­na­tions, avait tué à l’arme blanche Luc Meunier, un étu­diant de 26 ans, après s’être échappé sans dif­fi­culté du Centre hos­pi­ta­lier spé­cia­lisé (CHS) de Saint-Égrève. Le schi­zo­phrène, qui n’en était pas à sa pre­mière agres­sion, avait alors pro­fité d’une auto­ri­sa­tion de sor­tie limi­tée à la seule enceinte du parc du CHS.

« À un moment on n’y croyait plus »

« Je suis sou­la­gée mais pas contente. Pour être contente, il aurait fallu que mon mari et Luc soient là », déclare à la sor­tie de l’au­dience, visi­ble­ment émue, Odile Meunier, la mère de la jeune vic­time du schizophrène.

De gauche à droite : Maria Claros, une proche de la famille Meunier, Odile Meunier, Me Hervé Gerbi et Sylvaine Meunier. A l'arrière-plan un autre proche. © Joël Kermabon - Place Gre'net

De gauche à droite : Maria Claros, une proche de la famille Meunier, Odile Meunier, Me Hervé Gerbi et Sylvaine Meunier. A l’ar­rière-plan, une autre proche. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Une manière aussi de rap­pe­ler par cette simple phrase, le long com­bat mené par Jean-Pierre Meunier, son conjoint décédé l’an­née pas­sée, au cours des huit années d’un éprou­vant mara­thon judi­ciaire.

Ce der­nier avait employé toute son éner­gie pour que la jus­tice soit ren­due alors même que l’af­faire avait été jalon­née de nom­breux et décou­ra­geants non-lieux.

« À un moment, on n’y croyait plus. Il n’y avait que mon mari qui y croyait », se sou­vient Odile Meunier.

Pour Sylvaine Meunier, la sœur de Luc, ce n’é­tait pas une fata­lité que son frère meure. L’hospitalisation d’of­fice impose un cadre qui, selon elle, n’a pas été respecté.

« Un tabou est tombé »

Maître Hervé Gerbi, l’avocat de la famille de Luc Meunier. © Joël Kermabon - Place Gre'net

Maître Hervé Gerbi, l’avocat de la famille de Luc Meunier. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Maître Gerbi, l’a­vo­cat de la famille de Luc Meunier, ne dit pas autre chose en sub­stance. « Le dos­sier, comme la déci­sion, viennent de démon­trer aujourd’­hui que l’a­léa pou­vait être contrôlé. Dans cette affaire, il n’y avait pas de fata­lité. Il fal­lait adap­ter une prise en charge à un patient connu pour être dan­ge­reux », com­mente l’avocat.

Pour ce der­nier, la conclu­sion de ce pro­cès est emblé­ma­tique puis­qu’il s’a­git bien du tabou de l’évaluation de la dan­ge­ro­sité des patients qui est tombé.

Des déné­ga­tions de l’ac­cusé jugées contradictoires

Le Dr Lekhraj Gujadhur aurait-il fait figure de bouc émis­saire lors de ce pro­cès ? C’est bien l’a­vis de MJean-Yves Balestas, son avo­cat qui annonce son inten­tion de faire appel du jugement.

Lors du pro­cès, le 8 novembre der­nier, le méde­cin psy­chiatre s’é­tait empê­tré dans des déné­ga­tions qua­li­fiées de contra­dic­toires par la pré­si­dente du tri­bu­nal. « Je ne m’occupais que de mon sous-sec­teur. Je n’étais pas res­pon­sable du pavillon 101 [le pavillon où Jean-Pierre Guillaud était hos­pi­ta­lisé, ndlr] et je ne connais­sais pas ses anté­cé­dents », avait-il déclaré à ses juges, niant ainsi toute responsabilité.

Maître Jean-Yves Balestas, l'avocat du docteur Lekhraj Gujadhur. © Joël Kermabon - Place Gre'net

Maître Jean-Yves Balestas, l’a­vo­cat du doc­teur Lekhraj Gujadhur. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Le défen­seur du psy­chiatre évoque un juge­ment sévère et « incom­pré­hen­sible ». « Le Dr Gujadhur n’a jamais été investi comme res­pon­sable du pavillon 101 […] Jean-Pierre Guillaud était suivi par un méde­cin qui n’est même pas pour­suivi, tout comme le chef de ser­vice. Seul mon client l’est, ce que je ne com­prends pas », s’in­digne l’avocat.

Que le centre hos­pi­ta­lier ait été relaxé l’é­tonne tout autant « alors que c’est lui qui est chargé de la sur­veillance des per­mis­sions de sor­ties », sou­ligne non sans une cer­taine aigreur Jean-Yves Balestas.

« Les psy­cho­pathes déli­rants para­noïdes sont des bombes à retardement »

Jean-Yves Balestas ne manque pas de rele­ver qu’en fili­grane de ce pro­cès, et au-delà du cas de son client, c’est tout le pro­blème du trai­te­ment des patients psy­cho­pathes déli­rants para­noïdes qui est posé.

Pour autant, avant le meurtre de Luc Meunier, Jean-Pierre Guillaud était déjà passé à l’acte à quatre reprises. Peut-on encore en l’oc­cur­rence par­ler de « bombe à retar­de­ment » impré­vi­sible ? « D’autres psy­chiatres d’autres équipes ont véri­fié son com­por­te­ment et, à chaque fois, ils ont consi­déré qu’il était sta­bi­lisé et pou­vait retrou­ver une vie sociale », rétorque l’avocat.

La salle des pas perdus du palais de justice de Grenoble. © Joël Kermabon - Place Gre'net

La salle des pas per­dus du palais de jus­tice de Grenoble. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Ce der­nier en veut pour preuve la connais­sance qu’il a d’autres dos­siers où des malades ayant la même dan­ge­ro­sité que Jean-Pierre Guillaud cir­culent libre­ment dans Grenoble. Un état de fait dont la cause est, selon l’a­vo­cat, « l’or­ga­ni­sa­tion actuelle des soins ».

Et de s’in­di­gner : « Les méde­cins psy­chiatres sont des méde­cins, pas des gar­diens de pri­son […] Se retrou­ver avec dix-huit mois de pri­son avec sur­sis parce qu’on exerce une méde­cine psy­chia­trique dif­fi­cile, cela ne recouvre pas la peine de la famille Meunier, c’est une évi­dence, mais trou­ver un res­pon­sable, en l’es­pèce un méde­cin, je trouve que cette jus­tice n’est pas accep­table. »

Joël Kermabon

Joël Kermabon

Auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

A lire aussi sur Place Gre'net

Pompiers illustration (c) Elias Muhlstein - Place Gre'net
Incendie à Montbonnot-Saint-Martin : deux mineurs de 14 et 15 ans mis en exa­men et pla­cés sous contrôle judiciaire

FLASH INFO - Deux mineurs de 14 et 15 ans, soupçonnés d'être les auteurs de l'incendie de poubelle qui a détruit huit commerces et dix-sept Lire plus

Palais de justice de Grenoble. © Joël Kermabon - Place Gre'net
Meurtre d’une jeune Lyonnaise dans le Val d’Aoste : le sus­pect, jugé à Grenoble, accepte son extra­di­tion vers l’Italie

EN BREF - Le jeune Italien de 21 ans soupçonné d'avoir tué sa compagne, une jeune Lyonnaise de 22 ans retrouvée morte poignardée le 5 Lire plus

Le groupe Zoufris Maracas. © Nicolas Baghir
Festival Magic Bus 2024 : une édi­tion sous le signe de l’i­ti­né­rance dans huit lieux de l’ag­glo­mé­ra­tion grenobloise

ÉVÈNEMENT - La 23e édition du festival Magic Bus organisée par l'association Retour de scène aura lieu du 27 avril au 4 mai 2024 à Lire plus

Alouette des champs. © Christian Aussaguel
Auvergne-Rhône-Alpes : la LPO alerte sur la « dis­pa­ri­tion inquié­tante » des oiseaux des milieux agricoles

FLASH INFO - La LPO Auvergne-Rhône-Alpes s'alarme, dans un communiqué publié le 9 avril 2024, de la "disparition inquiétante" des oiseaux des milieux agricoles. Un Lire plus

Alpes Insertion conteste vivement le reportage (et ses méthodes) de Cash Investigation à son endroit
Alpes Insertion conteste vive­ment les pro­pos tenus dans le repor­tage de Cash Investigation

DROIT DE SUITE - Après un reportage accablant de Cash Investigation sur Fontaine Insertion en janvier 2024 et un rassemblement syndical devant ses locaux en Lire plus

Mobilisation pour des aménagements sécurisés. Crédit Collectif pour l'aménagement cyclable de la Combe de Gières
Piste cyclable dans la combe de Gières : les élus éco­lo­gistes du Département sou­tiennent la péti­tion citoyenne métropolitaine

FLASH INFO - Le groupe Isère écologie et solidarités (IES) au Département a appelé, jeudi 18 avril 2024, à signer la pétition citoyenne métropolitaine pour Lire plus

Flash Info

Les plus lus

Agenda

Je partage !