FOCUS – Comme leurs homologues nationaux, les musées grenoblois se mettent à la page en s’inclinant devant le 9e art. Le musée de la résistance et de la déportation de l’Isère dédiera sa prochaine exposition temporaire à la résistance dans la bande dessinée (« La BD prend le maquis », à partir du 3 décembre). Coïncidence, le musée de l’ancien Évêché le précède sur ce terrain avec « Pic & Bulle, la montagne dans la BD », du 19 novembre 2016 au 30 avril 2017. Où l’on apprend que le 9e art s’est abreuvé, dès sa naissance, aux sources des montagnes. Édifiant.
La montagne dans la photographie. La montagne dans la peinture. Le musée de l’ancien Évêché a déjà donné. La montagne dans la BD ? C’est une première. Pas seulement dans l’ancien palais des évêques d’ailleurs. Dans une plus large mesure, relever les liens qu’unissent les cimes et les bulles tiendrait de l’inédit. Force est de constater, en tout cas, que les deux univers se sont bien souvent, et richement, côtoyés.
Néanmoins, les expositions dédiées au 9e art – qui sont désormais légion dans les musées – présentent toujours quelques risques de chutes. De planches originales en couvertures historiques, l’overdose guette souvent.
Grâce à sa grande cohérence, le parcours proposé ici par l’exposition Pic & Bulle – jusqu’au 30 avril 2017 – évite l’effet avalanche de cases et autres strips.
Le pas de Tintin sur les planches vierges de la BD
Plutôt qu’une avancée exclusivement chronologique, la scénographie du musée privilégie des regroupements thématiques, esthétiques et historiques très éclairants pour le spectateur.
S’en remettant aux propos du grand scénariste Benoît Peeters, pour qui « nous sommes tous des enfants de Tintin », la première salle dédiée à la BD franco-belge s’ouvre sur l’incontournable Tintin au Tibet. Album de 1960 considéré par Hergé lui-même comme son chef‑d’œuvre.
La blancheur immaculée des paysages renvoie sans détour à la pureté du héros, qui vit là l’une de ses plus grandes quêtes initiatiques. Ce motif de la montagne mystique a laissé sa marque sur des générations de bédéistes aussi surement que le fit le pas du Yéti dans la poudreuse encore vierge.
Dans un autre registre cependant, les auteurs contemporains ou postérieurs à Hergé livrent de la montagne une image très en accord avec leur temps : celle de la conquête. Les cimes sont aussi à gravir et à maîtriser. La technologie – sous forme de remonte-pentes et télésièges – s’insinue donc ici et là sur les pentes enneigées.
La BD : miroir satirique de son temps
Jusque dans sa genèse même, la BD évolue au rythme de son environnement social (c’est la grande force de cette exposition que d’en rendre compte). Il semblerait même – c’est la thèse défendue par le musée – que la naissance de la BD soit tout particulièrement liée aux cimes. Avant d’offrir ses pentes au tourisme de masse, la montagne a d’abord réservé ses crêtes à quelques happy few.
Aussi, dans Les Amours de Mr Vieux-Bois (1827), le Suisse Rodolphe Töpffer, considéré comme l’un des inventeurs de la BD, se moque-t-il de l’iconographie montagnarde idyllique produite par ses contemporains. En quête de pittoresque, les élites de la seconde moitié du XVIIIe siècle se ruent dans les alpages, d’où une imagerie éculée de la montagne, à la façon des pastorales d’autrefois. C’est cette mode que parodie le père de la BD, liant ainsi le destin du 9e art à celui des reliefs alpins.
La montagne fait exploser la case
C’est aussi d’un point de vue formel que l’on peut apprécier l’exposition. Toutes les esthétiques s’y mêlent : de la classique bande dessinée franco-belge aux expérimentations les plus débridées du roman graphique en passant par le trait sûr du mangaka Jirô Taniguchi (voir ci-dessous).
Il est fascinant de relever à quel point le gigantisme des paysages montagneux amène nombre de dessinateurs à repenser la distribution des cases sur la planche. Les sommets paraissent repousser les cadres trop restreints du gaufrier classique (superposition de strips de trois cases en moyenne). On passe de même des esthétiques les plus réalistes aux traits les plus minimaux, qui suggèrent plus qu’ils ne figurent.
Les différentes techniques picturales – enseignées au Beaux-arts, dont sortent désormais quelques-unes des nouvelles figures du genre – intègrent le 9e art.
Adèle Duminy
L’EXPO EN QUELQUES CHIFFRES
• 90 albums sélectionnés
• 200 documents exposés (planches originales, reproductions numériques et albums historiques) Remarque : D’après Isabelle Lazier, la directrice du musée, il n’est pas simple d’obtenir les planches originales des trois fleurons de la BD populaire que sont Tintin, Astérix et Lucky Luke. On s’en passera donc. Ce qui ne retire rien à la grande richesse de l’ensemble.
• 6 espaces (bien remplis, comme vous le devinez. La petite salle de lecture à la sortie est donc bienvenue. D’autant plus qu’on a très envie de lire les albums dont les très belles planches exposées pourraient générer quelques frustrations sans cela.)
Infos pratiques
Musée de l’ancien Évêché
Pic & Bulle, La montagne dans la BD
Du 19 novembre 2016 au 30 avril 2017
Entrée gratuite
Dédicaces samedi 19 novembre dans les librairies grenobloises, en partenariat avec les Éditions Glénat, à l’occasion de l’ouverture de l’exposition.