FOCUS – Le Pôle musical d’innovation (PMI) et le festival Rocktambule, c’est définitivement fini. La liquidation judiciaire de la structure a été décidée le 15 juillet 2016 par le tribunal de grande instance de Grenoble. Trésorerie insuffisante, déficit trop élevé, désaveu de certaines collectivités… Pour le bureau et la direction du PMI, tout redressement était impossible. Le point avec Grégory Signoret, coordinateur et directeur du PMI.
L’annonce officielle est tombée mardi 19 juillet 2016. Les membres du bureau et la direction du Pôle musical d’innovation (PMI) ont confirmé par communiqué de presse la liquidation judiciaire de la structure. Prononcée par le tribunal de grande instance de Grenoble le 15 juillet 2016, cette décision sonne le glas du festival Rocktambule, que le collectif organisait depuis 1995.
Le PMI avait déjà fait part de ses difficultés financières suite à l’édition 2015 de son festival emblématique. Organisation de deux événements de soutien « Rocktambule hors les murs », pétition, vidéo de soutien… Les efforts et le travail fournis par l’équipe pour remonter la pente au cours des huit derniers mois n’auront pas suffi. Ce mardi 19 juillet 2016, le Panda Rocktambule était bien triste.
Les causes de cette débâcle ? Une trésorerie insuffisante, un déficit trop élevé dû à l’édition 2015 et le désaveu de certaines collectivités, rendant tout redressement impossible selon les organisateurs.
Quelques chiffres clés
19 : le nombre de structures constituant le Pôle musical d’innovation et travaillant sur le champ des musiques amplifiées.
100 000 euros : le montant de l’aide exceptionnelle, « année blanche » demandée par le PMI
20 000 à 25 000 euros : le montant qu’il “aurait suffi” à chaque collectivité (Ville de Grenoble, Métro, Département, Région voire ministère de la Culture ou Direction régionale des affaires culturelles) d’allouer au collectif pour le sauver. Seuls le CNV (Centre national de la chanson), les parlementaires socialistes de l’Isère et le nouveau Conseil départemental ont marqué leur soutien.
GREGORY SIGNORET, COORDINATEUR ET DIRECTEUR DU PÔLE MUSICAL D’INNOVATION :
« ON S’EST FAIT BALADER PENDANT HUIT MOIS… »
Place Gre’net : L’édition 2015 du festival Rocktambule est-elle responsable de tous vos maux ?
Le problème est que nous sommes entre 70 % et 90 % d’auto-financement sur l’intégralité du projet, celui-ci permettant d’assumer des ressources financières et humaines nécessaires pour faire tourner la Ressource [association de soutien aux musiques actuelles, ndlr] et Rocktambule.
A partir du moment où on n’a pas les recettes liées à Rocktambule, l’ensemble du projet disparaît. Tant l’événement que toute la partie Ressource, médiation, collectif.
Le financement de ce collectif était quasi essentiellement lié à l’activité financière de Rocktambule. […] On a fait 7 000 entrées payantes [lors de l’édition 2015, ndlr] mais ça n’a pas suffi. En étant à 80 % d’autofinancement, il fallait faire 11 000 spectateurs.
Déplorez-vous la concurrence ?
Le paysage musiques actuelles a changé ces dernières années. Il y a quelques années, Rocktambule était seul à l’automne. Cette année sur un mois et demi, il y avait seulement deux jours sans festival sur l’agglomération.
Forcément, il y a une concurrence sur des tarifs pas toujours les mêmes non plus. Et c’est vrai que sur 2015, avec l’arrivée d’un équipement type La Belle électrique qui travaille avec les mêmes artistes que Rocktambule, le public est forcément moins attentif à ce qui se fait sur le festival. On avait essayé d’amorcer un festival plus gros depuis des années en discutant avec les collectivités pour monter en puissance sur l’agglomération, pour passer un cap et aller chercher des choses plus lourdes en artistique, ou plus petites mais en irriguant mieux le territoire.
Les portes ont été plutôt fermées à ce type de proposition. On est restés sur les belles éditions 2010, 2011, 2014 à l’Esplanade en mettant plus d’argent sur de l’artistique pour 2015. […] Sauf que ça n’a pas marché car il y avait pour partie des concerts gratuits le même soir qui normalement devaient être payants, une grosse soirée à Lyon le samedi… Reste une vraie question sur la soirée rock où on n’a pas compris qu’il y ait aussi peu de monde.
On s’est remis en question sur pas mal de choses. Même s’il y a toujours une part de risque [sur de l’événementiel], elle était plus que calculée mais ça n’a pas marché. Et forcément, moins de public implique moins de consommations au bar et à la restauration donc, au final, beaucoup moins d’entrées d’argent.
Comment vivez-vous la décision du tribunal de grande instance ayant prononcé la liquidation judiciaire du PMI ?
On est déçus et très inquiets. On peut tout à fait remettre en question le “festival Rocktambule”, même si cet événement qu’on avait repensé et proposé aurait changé de nom de par l’esthétique, la temporalité et ce que l’on voulait en faire.
En revanche, ça embarque le PMI, un collectif de dix-neuf structures de musiques actuelles qui collaborent toute l’année sur un échange de compétences, de réflexions autour de ces problématiques, qui mutualisent des savoirs, savoir-faire mais aussi des forces vives, bénévoles et salariées.
On essayait de travailler de manière transversale avec d’autres acteurs, à travers des ateliers, de la formation, des rencontres professionnelles… Sans oublier le travail effectué avec des écoles, des MJC.
Il y avait une réflexion menée mais pas encore finalisée avec le CHU, le Spip [Service pénitentiaire d’insertion et de probation, ndlr], tout ce qui est milieu carcéral ouvert et fermé. On avait initié un travail avec l’Éducation nationale. Tout cela s’arrête.
Vous êtes-vous sentis abandonnés par les collectivités ?
Très clairement. Les seuls à s’être positionnés sont les parlementaires PS de l’Isère qui, dès le tour de table que nous avons initié fin octobre, ont dit qu’ils feraient quelque chose et ils l’ont fait. Ensuite, il y a eu différentes négociations avec l’ensemble des tutelles et le Département de l’Isère s’est également positionné.
Tous les autres ont botté en touche pendant huit mois, sous réserve de problématiques techniques et autres. Mais en fait – c’est pour ça qu’on était un petit peu remontés –, c’est un vrai choix politique et ils ne l’ont pas annoncé ainsi. Selon nous, ils ont laissé filer et pourrir la situation pour dire, au final, “désolé, on ne peut pas vous aider”.
S’ils nous l’avaient dit très clairement dès le tour de table d’octobre en assumant leurs choix pour les raisons qui leur incombaient, nous aurions certainement fait différemment.
On n’aurait peut-être pas tenu puisque, de toute façon, il manquait ces 100 000 euros d’année blanche qu’on demandait. Par contre, on n’aurait pas travaillé à créer un nouveau projet à présenter, on n’aurait pas engagé des diagnostics tant sur le secteur « musiques actuelles » que sur nos problématiques à nous. On aurait arrêté, tout simplement. On s’est fait balader pendant huit mois très clairement.
Que pensez-vous des politiques menées par les collectivités ?
Le président de la Région Rhône-Alpes [Laurent Wauquiez, ndlr] a fait une annonce en précisant avoir débloqué une enveloppe de 1,5 million d’euros pour faire un festival à Lyon ou Clermont-Ferrand, à la surprise de tous.
Y compris la nôtre car il n’y a eu aucune réponse à nos sollicitations. Et par voie de presse on apprend que M. Wauquiez veut créer un événement…
Pourquoi pas mais, encore une fois, quelle est la pertinence de créer un nouvel événement à Lyon ? Au détriment de qui ? Des Nuits de Fourvière ? De Woodstower ? Alors que pas mal d’acteurs ont déjà du mal à boucler leur budget.
C’est une opération de com”. Il dit qu’il n’existe pas de festival de grande ampleur en Rhône-Alpes. Il y en a plusieurs. Il y en a même un à Aix-les-Bains – Musilac – qui est parmi les plus gros. […] A Grenoble, c’est pareil, créer la fête des Tuiles, je n’en vois ni le sens, ni la pertinence. […] La fête des Tuiles me rappelle le forum des associations, qui se fête déjà en septembre un peu partout.
Est-ce qu’il y avait vraiment besoin de ça, pour ces montants-là ? Alors qu’encore une fois on nous dit qu’il n’y a pas de budget. Je ne dis pas que ce budget aurait dû être [alloué à] Rocktambule, je n’en aurais pas la prétention. Mais est-ce que sur un territoire comme l’agglomération il n’y avait pas autre chose à penser ?
Comment expliquez-vous ce manque de soutien des institutions, notamment à Grenoble ?
On tire beaucoup sur l’équipe de Piolle en ce moment mais il n’y a pas que la Ville… C’est sûr qu’on n’a pas eu de soutien de l’équipe municipale puisque, dès 2015, ils nous ont supprimé la subvention qui était liée à la Ressource.
S’ils avaient souhaité conserver cet événement [Rocktambule, ndlr] sur 2016 ou plus tard sur 2017, c’était 20 000 euros par collectivité. C’était “que dalle” ! Il s’agissait juste d’une volonté de leur part ou non de venir soutenir ce projet. Après, quelles en sont les raisons ? On ne sait pas.
Mais ce qui est clair c’est qu’on ne comprend pas ce qu’ils veulent ! Il y a un discours qui est tenu et des actes complètement différents. On nous dit qu’il faut mutualiser, travailler ensemble, qu’il faut avoir des actions transversales, qu’il faut donner un sens aux actions… En fait, tout ce que défendait le PMI et son événement annuel Rocktambule, tout ça, c’est du vent !
La preuve, ils n’ont pas voulu soutenir un collectif de vingt structures de l’Isère mais aussi principalement de l’agglomération qui travaillent sur le champ des musiques actuelles. J’ai l’impression qu’on n’a envie de ne voir qu’une tête au final. Pourquoi pas mais, encore une fois, qu’ils le disent et, au-delà de ça, qu’ils assument ce choix-là.
La Métro a quasiment toujours soutenu de près ou de loin ce que faisait PMI ou Rocktambule, et plus fortement en 2015, car c’était la première année où elle nous octroyait une subvention. On pensait justement avoir réussi à la convaincre que ce festival organisé par des structures ensemble et donnant un point d’orgue sur l’agglomération avait du sens et pouvait travailler sur l’identité de la métropole et sur cette innovation liée aux musiques actuelles.
En fait, on s’est trompés… On s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’argent pour le sport sur Grenoble et l’agglomération, le culturel un peu moins. Et, dans le culturel, si on regarde seulement par le petit prisme des musiques actuelles, il ne reste pas grand chose.
Quelles sont les conséquences de la disparition du PMI ?
Il y avait deux CDD – une administratrice et une chargée de la Ressource –, qui n’ont pas été renouvelés. Il y a moi en CDI qui suis licencié économique et en gros, après, c’est 140 cachets de techniciens et artistes qui ne seront pas payés en 2016. Et plus largement, sur un budget d’environ 500 000 euros, c’est quasiment 90 % réalisés par des prestataires locaux sur Grenoble ou l’agglomération qui ne se feront pas cette année.
Il a fallu se rendre à l’évidence que, de toute façon, on ne pouvait pas proposer un gros événement. C’est pour ça que, sur mi-avril, on a également dit qu’on ne pouvait plus monter un événement sur l’automne et qu’il fallait nous accompagner sur une année blanche et un événement en 2017.
Sur 2016, il n’était pas raisonnable de monter quelque chose de par les forces vives. Bien sûr, si on recrute quarante salariés d’un coup on peut monter un événement en trois mois.
Mais nous, on n’organise pas une kermesse. On monte un événement qui a du sens, qui est fortement collaboratif avec des partenaires. Cela ne se fait pas en deux mois, sinon ce serait une action de communication et non une action culturelle. Il n’était donc pas possible de faire autrement.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Pour l’instant, l’idée c’est d’arriver à rendre les clés aux mandataires liquidateurs. On a déjà présenté nos excuses à l’ensemble des créanciers. Le but est de nettoyer tout ça, histoire que l’on puisse tourner la page une fois qu’on aura fermé la porte.
Propos recueillis par Alexandra Moullec