DÉCRYPTAGE – Exercer le métier de policier municipal serait devenu compliqué à Grenoble, à en croire les intéressés. D’où les départs nombreux, ces derniers mois, et un absentéisme important. En cause, surtout : le manque d’effectifs sur le terrain et un sentiment de mise en danger prégnant. Les syndicats réclament que les policiers municipaux soient au moins dotés d’une arme intermédiaire. Explications et témoignages, avant la rencontre prévue avec Élisa Martin, première adjointe à la tranquillité publique, ce vendredi 11 mars.
Absentéisme, départs, dépressions… Le malaise semble gagner les rangs de la police municipale de Grenoble. La coupe est pleine. Et des policiers municipaux tirent la sonnette d’alarme.
Édouard*, policier municipal qui préfère rester anonyme, plante le décor : « On a dû faire face en 2015 – et ça continue – à une vague de départs. Ce n’est pas un turn over normal ! Je peux vous l’affirmer : beaucoup d’agents partent parce qu’ils ne se reconnaissent plus dans le travail qu’ils font. Tous vont voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Il y a aussi un fort taux d’absentéisme, bien plus élevé que dans la fonction publique. »
Pour Matthieu*, un autre policier, « le problème numéro un, ce sont les effectifs de la police municipale qui sont vraiment très faibles ». Viennent s’ajouter d’autres difficultés : un responsable au « management peu humain », la mise en place du travail du dimanche qui accentue la désorganisation de la répartition des effectifs la semaine… Quoiqu’il en soit, au final, les policiers seraient au mieux 17 à 18 sur le terrain, au pire 5 en tout et pour tout, certains soirs de patrouille.
« On est en bleu, en tenue. Les délinquants ne nous épargnent pas »
Un autre problème vient, aux dires des syndicats FO et CFDT et de ces deux témoins, des nouvelles missions confiées à la police municipale. La municipalité d’Eric Piolle (EELV) a, en effet, demandé à “sa” police de se recentrer sur les missions de surveillance et de tranquillité, et de se détourner volontairement de toute action qui pourrait être dangereuse.
Édouard compare amèrement : « Sous l’ancienne mandature, nous étions montés en puissance, nous étions devenus la deuxième force de police de Grenoble… Là, on change de mandature, de projet. Pas de souci, on doit faire avec… Le problème, c’est qu’il n’y a aucune lisibilité dans ce qu’ils nous disent. »
Et de dénoncer une incohérence : « Si l’on suit leur logique, les policiers municipaux ne devraient plus patrouiller du tout dans les ZSP [Zones de sécurité prioritaire, ndlr]. Ce n’est pas le cas ! »
ZSP ou pas, tout peut arriver quand les policiers sont sur le terrain, quel que soit le quartier, la situation. « Être au milieu de la population, comme on nous demande, c’est bien, c’est notre métier, mais c’est être au milieu des problèmes… Les élus l’oublient ! », rappelle Édouard.
Le propos de Matthieu va dans le même sens : « On nous dit d’éviter les missions dangereuses, mais on ne sait jamais sur quoi on tombe. On est en bleu, en tenue. Les délinquants ne nous épargnent pas. A tout moment, on peut tomber sur des braquages en cours. »
Des situations qui se sont déjà produites. « Jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de blessé, jamais de mort. Ça se passe toujours bien… Mais jusqu’à quand ? »
« On est policiers, on est obligés d’intervenir, sauf qu’on n’a pas les outils »
Les policiers se sentiraient également mal à l’aise vis-à-vis de la population. « Lorsque l’on est sur le terrain, on ne peut pas laisser les personnes avec leurs difficultés et leur dire d’appeler le 17. On est policiers, on est obligés d’intervenir, c’est une question de conscience professionnelle… sauf qu’on n’a pas les outils », s’indigne Matthieu. Pour rappel, Eric Piolle a enterré, dès son arrivée à la mairie, le projet d’armer les policiers municipaux.
Conclusion qui semble aller de soi – tout au moins pour les syndicats et ces policiers municipaux : se doter urgemment d’une arme intermédiaire, type shocker électrique (taser). « Je préfère dire équipement intermédiaire, ça fait moins peur… L’outil est tout à fait non létal mais très efficace. C’est un outil de désencerclement et de défense des agents. Il nous permettrait d’effectuer nos missions dans les meilleures dispositions possibles », étaye Édouard. Les policiers seraient également plus que favorables à l’utilisation d’un système de caméra embarquée, très dissuasif pour un potentiel agresseur.
Après avoir maintes fois alerté leur hiérarchie de leurs difficultés, sans résultat… des policiers se sont récemment exprimés dans le Dauphiné libéré. Du côté des syndicats, les délégués Cherif Boutafa (FO), Marc Brouillet et Diega Trupia pour la CFDT ont, semble-t-il, également tenté d’alerter direction et élue. Ils affirment n’avoir jamais pu amorcer le dialogue.
Finalement, les articles dans la presse et la lettre ouverte de Jérôme Safar, conseiller municipal d’opposition (PS), adressée le 26 février dernier à Eric Piolle, ont probablement décidé l’adjointe Élisa Martin à recevoir les syndicats ce vendredi 11 mars 2016.
Séverine Cattiaux