FOCUS – Ce jeudi 11 décembre, le musée de Grenoble accueillait la troisième soirée annuelle de la fondation partenariale Grenoble INP. L’occasion de faire un bilan et d’en présenter les différentes missions à la centaine d’invités présents. Une soirée marquée par la conférence d’un invité prestigieux, l’astrophysicien Hubert Reeves.
Une heure durant, Hubert Reeves, président de l’association Humanité et Biodiversité a exposé, d’une voix douce et posée, les raisons qui ont conduit l’Homme à devenir son propre prédateur. Un voyage clair, saisissant, passionnant mais aussi quelque peu inquiétant de la naissance de l’univers à l’écologie. L’astrophysicien a notamment décrit l’enchaînement des causes débouchant sur l’émergence d’une « crise écologique qui menace l’espèce humaine ».
Un avenir incertain
« Il y a une belle histoire, qui dure depuis très longtemps, et une moins belle histoire » raconte Hubert Reeves. Entendez par « belle histoire » ce qui a commencé il y a 14 milliards d’années depuis le Big Bang jusqu’à l’aboutissement de la complexité cosmique dont l’Homme est le résultat.
La « moins belle histoire », ce sont les blessures graves infligées à notre planète notamment le déboisement, le réchauffement climatique, la pollution, tous dus à l’homme et conduisant inéluctablement à la « crise de l’environnement ». En ces termes, Hubert Reeves pose la question d’un avenir très incertain que l’humanité doit apprendre à gérer pour ne pas disparaître. « L’astronomie, le passé ; l’écologie l’avenir » résumera l’homme de sciences.
Deux découvertes fondamentales
Et de poursuivre le fil de sa réflexion pour revenir en 1925, année où Edwin Hubble a fait deux découvertes fondamentales : celle de l’infinitude et surtout celle de l’expansion de l’univers. « S’il est en expansion c’est qu’il possède une histoire. Notre univers a donc un passé et un avenir » affirme le scientifique. Assertion nouvelle qui a mis à mal, à l’époque, la pensée dominante qui, depuis Aristote, voulait que l’univers ait toujours existé et existerait toujours.
« A partir de cette découverte, si l’univers a une histoire, les scientifiques doivent devenir des historiens dont la tâche va consister à reconstituer son passé et à prévoir son avenir » souligne le conférencier. Et celui-ci d’enchaîner avec force détails, sur une autre découverte majeure pour notre compréhension de l’état du cosmos : la détection du bruit de fond de l’univers, le rayonnement fossile par George Gamow en 1965 dans les laboratoires de la Nasa.
Émergence d’une forme supérieure d’intelligence
Pour Hubert Reeves, la « belle histoire », après la très lente formation de l’univers, ce sont tous les mécanismes de l’évolution qui sont intervenus dans l’apparition de l’espèce humaine sur la planète, il y a de cela quelque sept millions d’années. De fait, une chose extraordinaire va se passer : un animal, le chimpanzé, va acquérir une forme supérieure d’intelligence annonçant l’avènement de l’Homme.
Un évènement qui va malheureusement inaugurer le début de la « moins belle histoire » déplorera le scientifique. « Avec cette intelligence, nous sommes certes les champions tous azimuts de l’évolution mais c’est aussi la cause de nos problèmes ». Et de décrire notamment comment, en inventant des armes de plus en plus performantes et des techniques fantastiques, l’humanité peut courir à sa perte.
Citant l’exemple de la surpêche, l’astrophysicien s’indigne : « nous pêchons aujourd’hui deux fois plus de poissons qu’il ne s’en reproduit ! Ça veut dire quoi ? Cela veut dire tout simplement que nous vidons les océans ».
Prenant d’autres exemples de ravages liés aux activités humaines, Hubert Reeves est formel : « nous avons le devoir de gérer tout cela. Si nous ne le faisons pas, nous disparaîtrons ou au, mieux, l’état de la vie sur la Terre deviendra insupportable ». Imaginez qu’à Chongqing, l’une des plus grandes villes de Chine, les petits Chinois ne savent pas que le ciel est bleu, tant la pollution causée par les poussières de charbon y est importante…
Le « réveil vert »
« Nous pouvons dire que nous menons une guerre contre la nature. C’est la crise écologique contemporaine. Si nous la gagnons, nous sommes perdus » avertit le scientifique. Et d’asséner : « nous sommes des saccageurs de grande classe ! L’intelligence est un cadeau empoisonné quand elle est mise au service du profit immédiat ».
Comme pour adoucir le trait, Hubert Reeves assure que nous pouvons encore réagir et reprendre la situation en main. Notamment en revoyant le rôle de l’intelligence dans la destinée humaine, en l’intégrant dans une conception humaniste élargie englobant toute la nature. Et d’évoquer la prise de conscience, le « réveil vert » qui s’est opéré vers 1875 en Californie. « C’est le premier moment où l’on a décidé de créer des associations de protection de la nature s’appuyant sur une législation ». Ce sera aussi la naissance des premiers parcs animaliers, comme le Parc de Yellowstone dans le Yosemite.
Toutes les conférences sur le climat, depuis la première qui s’est tenue à Rio en 1992, se sont avérées décevantes avoue Hubert Reeves. « Quand un bilan sur la conférence de Rio a pu être produit, nous nous sommes aperçus qu’à peine 20 % des résolutions avaient été tenues ! » a t‑il regretté.
« Pour autant, l’impact de ces conférences ce n’est pas ce qui s’y passe mais l’impact « publicitaire » qu’elles ont. C’est ainsi que le mot “écologie” est entré dans le vocabulaire mondial après la conférence de Rio, tandis que le terme de “biodiversité” est né lors de la conférence de Nagoya en 2010 ».
Reste que c’est par petits pas que les progrès se feront, estime Hubert Reeves, qui continue d’espérer que la prise de conscience collective se diffuse de manière virale.
Joël Kermabon
Trois questions à Hubert Reeves
Hubert Reeves a pris le temps de répondre à quelques questions en relation avec la soirée et les initiatives menées par la nouvelle municipalité écologiste de Grenoble.
Réalisation JK Production
Les trois piliers du futur
En première partie de soirée, les porteurs des projets soutenus par la fondation partenariale Grenoble INP ont présenté leurs travaux au parterre d’invités. Une manière de dresser le bilan d’une année d’activités résumée par ce que la fondation considère être les « trois piliers du futur » : citoyenneté, international et excellence.
Des étudiants de la SenseAcademy Soleni ont notamment pu exposer leur projet « Innover pour lutter contre la précarité énergétique ». Retour en images.
Réalisation JK Production
Une fondation pour l’excellence
Créée le 28 avril 2010, la fondation, vise essentiellement à soutenir les projets des écoles et des laboratoires de Grenoble INP, ainsi que de ses chercheurs tant en matière d’excellence scientifique internationale que d’égalité des chances. Elle apporte également un soutien – financier, de réseaux et de compétences – aux associations pour des actions en rapport avec ses valeurs. Ses moyens proviennent principalement du mécénat industriel ou privé.