Dernier rebondissement concernant le Center Parcs de Roybon : le dossier loi sur l’eau présenté par Pierre et Vacances a été analysé, pesé et jugé irrecevable en l’état par la commission d’enquête publique.
Malgré un calendrier estival qui prête à l’anonymat, la publication sur le site de la Préfecture de l’avis complet rendu par les trois commissaires enquêteurs n’est pas passé inaperçu. Comme si l’histoire se répétait, c’est le deuxième grand projet isérois (après la Rocade Nord) à faire l’objet d’un avis défavorable et à l’unanimité d’un trio de commissaires-enquêteurs indépendants, avec des conséquences juridiques, nous le verrons, différentes.La loi sur l’eau, au cœur du dossier
Les réunions publiques avaient montré l’impressionnante mobilisation des opposants politiques et locaux au projet et la qualité de leurs arguments. De son côté, le promoteur du projet avait semblé empêtré dans ses contradictions et dans les insuffisances déjà manifestes d’un dossier pourtant démarré en 2008.Alors que les arguments de l’emploi et du développement présentés comme indispensables pour ce secteur géographique de l’Isère en grande difficulté économique, et poussés tant par une coalition politique gauche – droite inédite que par une administration en apparence liée par cette unanimité, semblaient imparables, ce rapport lève le voile sur le volet essentiel de ce dossier et manifestement sous-estimé par les promoteurs et soutiens du projet : le volet loi sur l’eau.
Et ce n’est pas faute pour les associations environnementales, telles que la Frapna, d’avoir tiré très tôt la sonnette d’alarme. Le dossier au titre de la Loi sur l’eau que devrait présenter Pierre et Vacances devrait être exemplaire à cause de l’ampleur du projet et son installation dans une zone entièrement naturelle et peuplée d’espèces protégées, mais qui plus est, inventoriée dans la catégorie redoutable des zones humides, remarquable par son statut de tête de bassin versant de deux rivières (l’Herbasse et la Galaure) et, pour boucler le tout, zone d’alimentation privilégiée d’un important aquifère.Un rapport d’enquête au vitriol
L’avis défavorable n’a pas surpris, mais c’est l’ampleur et la qualité du travail d’enquête réalisé et les termes utilisés à l’unanimité qui frappent.
Il est impossible de dire que cette analyse au vitriol n’est pas étayée. Au contraire, malgré des impératifs de temps posés au trio de commissaires-enquêteurs dont on aurait pu craindre qu’ils les amènent à réduire leurs investigations, ceux-ci ont pris le soin de s’entourer d’experts et également le temps de procéder à des investigations approfondies, se rendant sur des sites de Center Parcs en cours de réalisation, et de visiter la plupart des lieux de compensation proposés du fait des destructions de zones humides envisagées. Le volumineux rapport de plus de 250 pages et les centaines de documents annexés en témoignent suffisamment. Rares sont les rapports d’enquête publiques qui portent des commentaires aussi sévères, tout en étant très équilibrés sur le dossier qui leur est soumis. Mais le péché originel de la zone d’implantation choisi semble peser de toutes ses forces sur les conclusions des commissaires-enquêteurs : 1/ Les surfaces de zones humides impactées ont été mal calculées, les impacts sur les sols minimisés et, surtout, la fragmentation complète d’un milieu très particulier insuffisamment évaluée, alors même que le promoteur doit prouver que ses aménagements ne vont pas peser sur sa fonctionnalité qui doit impérativement être préservée (ce que certains spécialistes ont qualifié d’irréalisable). 2/ Imposées par la loi, qui oblige à compenser des dizaines d’hectares de zones humide à haute valeur écologique, ces compensations, méthodiquement analysées, sont insuffisantes et ne présentent aucune garantie d’effectivité et de pérennité. 3/ Mais pire, la commission d’enquête alerte l’État sur des risques considérables de crues, d’érosion des sols et de baisse du niveau des eaux des rivières alimentées par la zone d’implantation liés aux dispositifs et aux travaux proposés par Pierre et Vacances. 4/ Ajoutant un paragraphe édifiant sur la question non résolue des vidanges complètes de l’aquamundo, cœur du dispositif de tout Center parcs, qui doivent intervenir deux fois par an, la Commission conclut sévèrement que le maître d’ouvrage n’a nullement justifié de son expérience, ni de son savoir-faire, en matière de gestion du rejet des eaux de vidange en milieu naturel. Les 21 pages de conclusions du rapport qui justifient les 12 points de l’avis défavorable et qui sont à la portée de lecture de tout un chacun, dressent donc un bilan inédit par sa sévérité sur la qualité du dossier produit et, à ce titre, deviennent une référence. Quelle va être l’attitude des services de l’État sur qui repose désormais la délivrance du fameux sésame, l’arrêté d’autorisation des travaux au titre de la Loi sur l’Eau ? Le préfet de l’Isère, devant les risques juridiques induits par un tel rapport, va nécessairement peser sa décision qui ne pourra se prendre sans l’aval de la Dréal et du préfet de région voire, à ce niveau d’investissement et de responsabilité, du ministère de l’Écologie. Une chose est certaine, les opposants disposent désormais d’un rapport qui a entériné voire amplifié les inquiétudes et critiques qui étaient les leurs. Ils iront jusqu’au bout, ce qui fait prédire que la justice administrative sera in fine l’arbitre de ce feuilleton à rebondissement. Francis Meneu