FOCUS – Avec plus de 5 500 spectateurs l’an dernier, le festival de caves compte désormais parmi les grandes manifestations culturelles nationales de printemps. Cette année, Grenoble a rejoint le réseau des villes et villages partenaires de l’évènement. Au programme, quatorze représentations et cinq créations théâtrales dans des caves jusqu’au 8 mai prochain.
Créé en 2006 par une équipe d’artistes, le festival d’origine franc-comtois a, depuis, largement creusé son sillon dans tout l’hexagone. Le long de l’axe Rhin-Rhône, de Strasbourg à Lyon, il se déploie aussi à Lille, Nantes, Orléans, Toulouse, Grenoble… Et bat actuellement son plein, avec 33 spectacles différents et 240 représentations programmés dans 60 villes jusqu’au 27 juin. A Grenoble, vous n’avez que jusqu’au 8 mai pour le découvrir ! « Le festival s’agrandit toujours de la même manière, au fil des rencontres, se construit dans une discussion. […] Nous sommes des artistes qui nous adressons à d’autres artistes. S’il y a du répondant en face, un sentiment de confiance et de partage, de curiosité mutuelle, un désir de travailler ensemble, on peut proposer aux artistes, à leur compagnie, de développer le festival de caves dans leur ville » explique le metteur en scène Raphaël Patout. Ce dernier seconde, dans l’organisation des Caves, son créateur et directeur artistique, Guillaume Dujardin. Ainsi le festival se développe, au fil de l’eau, grâce à l’association de compagnies de théâtre entraînant dans leur sillage de nouvelles villes et villages.Un festival sous-terrain
Rester toujours souterrain. C’est la pierre angulaire du festival. A la source, une expérience forte. Imaginez-vous, en 2005. C’est l’anniversaire de la libération des camps et vous assistez au spectacle de la compagnie de Guillaume Dujardin sur le journal de l’écrivain et philologue allemand Victor Klemperer. Il vous raconte comment le nazisme s’est introduit dans la langue avant de s’introduire dans les esprits et comment il a touché d’abord les intellectuels pour se répandre ensuite à tout un pays. Vous êtes là, dans une cave qui a servi à stocker du matériel pendant la guerre, qui fut un lieu de résistance, où des personnes se sont cachées. Et vous entendez le texte. « Même en-deçà d’un tel contexte, descendre sous terre crée d’emblée un climat favorable à l’écoute » déclare Raphaël Patout. C’est pour cela que le festival continue d’investir les caves. Des caves de particuliers, de commerçants ou d’institutions. Et le metteur en scène d’ajouter : « L’une des plus illustres que nous ayons investies fut la cave de la préfecture de Besançon. A Lyon aussi, nous avons joué dans des caves utilisées par la résistance et par Jean Moulin ».Intimiste
Mystérieux
Le lieu des spectacles est aussi tenu secret pour favoriser une certaine concentration, déjouer les habitudes, prendre le spectateur par surprise et ménager un certain mystère. « La petite marche qu’il y a entre la billetterie et le lieu de la représentation est toujours l’occasion pour le spectateur de se mettre en condition d’écoute » précise Raphaël Patout.Essentiellement des créations
A l’exception de “La mémoire d’une robe rouge” qui est un spectacle invité, toutes les autres pièces présentées à Grenoble sont des créations pour le festival. Raphaël Patout déclare sans hésiter : « On revendique le fait d’être avant tout un lieu de création et pas de diffusion. Nous, ce qui nous intéresse c’est d’inviter des artistes et des metteurs en scène à venir créer dans les caves. » Ces derniers ont carte blanche. « On ne se positionne pas comme des programmateurs qui décident de ce qui mérite d’être joué ou pas. Il n’y a pas non plus de ligne commune, de travaux imposés et aucune logique de contrôle des spectacles présentés ». Les artistes font leur métier et le festival donne à chaque metteur en scène et à tous les comédiens l’occasion d’essayer d’aller au plus loin de leur geste. En ce sens, ce festival est “underground” et offre une grande liberté aux artistes. Il ajoute : « L’un des plus beaux compliments qu’on nous ait faits il y a trois ans : “dans les caves, je ne sais jamais si je vais aimer les spectacles mais je sais qu’on y prend des risques” . C’est ça notre gage de qualité ».Découvrir de nouvelles écritures
« Les scènes institutionnelles nous proposent souvent des spectacles à partir de textes d’auteurs déjà connus » rapporte Chantal Morel. Pour elle, c’est très clair, le formatage est là. Le festival permet l’émergence d’autres langages. « Je prends l’exemple de Howard Barker et de son théâtre de la catastrophe qu’on voit désormais un peu sur les scènes institutionnelles. Il y a dix ans, très peu de théâtres s’intéressaient aux écrits de ce dramaturge et poète britannique. Les caves ont été l’occasion d’expérimenter ces textes. De faire entendre cette langue-là » explique Raphaël Patout. Qui connaît Antoine Choplin et “La Nuit tombée”, fiction construite autour de la réalité de Tchernobyl ? La simplicité, l’humilité de ce texte ? Cette année, dans le cadre du festival de caves, il est possible de découvrir cette écriture à Grenoble et dans d’autres villes de France.Au moment juste
On aimerait découvrir d’autres textes, des pépites qui contiennent les mots qu’il faut, les mots pour le dire, à cet instant précis. Chantal Morel se livre : « Face à la prolifération de propositions en tout genre, tout devient très compliqué à décrypter. D’un coup, il y a un sentiment de découragement. Nous sommes comme noyés dans une abondance de livres qui dégage plus une maladie qu’une santé. C’est au-delà d’une capacité humaine. Le monde fonctionne sur des règles économiques qui se détachent de l’humain, de ses besoins, de ses capacités… Qui peut lire tout ça, même s’il le veut ? On met bien en place des techniques, on lit en diagonale. Et pourtant le livre n’a pas été écrit en diagonale mais page après page. Qu’est-ce que c’est une lecture en diagonale ? Une dénaturation de l’objet livre. C’est de la consommation, donc ce n’est plus rien » . Comment trouver ces textes qui nous sont nécessaires ? Qui peut prendre le temps de les chercher ? Pour les artistes, c’est un cheminement qui s’impose. Il est question d’écoute, d’être touché. Ils lisent, se nourrissent d’écritures, tirent des fils, se perdent en route, s’y retrouve, tombent dans le vide, se rattrapent jusqu’à découvrir le livre qu’il faut pour raconter ce quelque chose qui est là, à ce moment-là, avec cette justesse là. Pour la metteur en scène cette année, c’est “La Nuit tombée”. « Le roman d’Antoine Choplin est un peu crépusculaire parce qu’on s’approche de Tchernobyl, deux ans après l’explosion. Évidemment, il y a là une fin du monde et puis l’oscillation, elle, va de cette fin du monde à ce qui garde, ce qui maintient de la lumière. Les hommes entre eux, leur capacité de soutien, de solidarité, d’amitié et de partage ». Vient alors l’envie très forte de raconter l’histoire avec les outils du théâtre. « Il faut enlever, enlever beaucoup du texte. L’adaptation, c’est très souvent un travail d’épuration parce que la présence physique d’un acteur raconte par elle-même. Un silence, un mouvement, un regard, tout ce qui fait la vie d’un être humain n’est pas que verbal » explique Chantal Morel. Et pour faire face aux contraintes du festival, un petit plateau de théâtre autonome a été mis en place. « Dessus, on fait naître toute l’histoire. Ce sont les deux acteurs, Roland Depauw et François Jaulin, qui déclenchent les effets de lumière et de son, à l’intérieur même du jeu ».« Dans les caves, on ne peut pas tricher »
Le public est si près. Raphaël Patout et Chantal Morel s’accordent. « C’est rude pour les acteurs et c’est aussi très exaltant ». L’intimité fait que ce n’est pas non plus le même régime de jeu. Tout devient ultra signifiant du fait de la proximité. « La manière de diriger les acteurs, d’écrire l’espace est différente de celle d’un plateau traditionnel ». « Cela nous a permis de travailler juste au-dessus du murmure ». La voix n’est pas portée. « Dans les caves, même un battement de cil se met à jouer ». « Pas besoin de grossir certains gestes ; juste les marquer fait qu’on a la lecture. On voit l’œil qui brille. On sent presque la respiration du comédien. »Un festival de crise ?
Bien que le festival soit financièrement viable, avec 40 % des fonds provenant de la billetterie et 60 % des financements région, département et ville, chaque artiste doit beaucoup s’investir dans l’aventure. « Par exemple, je suis metteur en scène mais je fais aussi du montage, je réponds à des interviews… » nous précise Raphaël Patout. C’est positif dans un certain sens car « c’est l’occasion pour les artistes, de se réapproprier complètement leur outil de travail ».A la rencontre d’un public protéiforme
« La politique, c’est de se dire, on présente le même spectacle au public des grandes villes qu’à celui de tout petits villages » rappelle Raphaël Patout. Les acteurs, au nombre d’un ou deux par spectacle, déambulent ainsi de villes en villages, transportant le petit décor. A chaque fois, ils découvrent une nouvelle cave. « De très belles caves et d’autres qui vont au contraire écraser. C’est la règle du jeu » nous rappelle Chantal Morel.Tout est prêt pour la rencontre avec le public. « C’est bizarre, du théâtre dans une cave. On attire un public plus large, du fait de la curiosité de ce festival. Nos spectateurs n’ont pas forcément l’habitude d’aller au théâtre. Dans un village, on touche un public rural. D’une région à l’autre, il y a aussi des profils différents qui se présentent » observe Raphaël Patout. Le concept séduit Outre-Rhin. Quelques dates sont programmées dans la ville de Karlsruhe pour cette neuvième édition. Et des spectacles seront joués dans des caves à Genève. « Notre rêve, bien sûr, serait d’essayer de faire de cet événement une manifestation européenne. Nous avons des débuts de discussion avec des compagnies à Berlin, à Cracovie. Je ne sais pas si ce sera pour la quinzième, seizième ou dix-septième édition. Mais c’est ça aussi le projet » confie Raphaël Patout. Parce que le théâtre est un art éphémère, parce que c’est un art de l’élargissement de soi, il est urgent de découvrir ce festival “underground” au sens premier. Véronique Magnin
Au programme à Grenoble :Tarifs :
- A Gorge dénouée : les 5 et 6 mai à 20 h.
- Ce quelque chose qui est là : tous les soirs jusqu’au 8 mai à 20 h
- Du domaine des murmures : tous les soirs jusqu’au 4 mai à 20 h
- Joseph G. : le 7 mai à 20 h
- Mémoires d’une robe rouge : le 8 mai à 20 h
Pour réserver, une centrale d’appel unique : appelez le 03 81 61 79 53 ou envoyez un mail à festivaldecaves@gmail.com
- 7 euros (- 18 ans, étudiants, demandeurs d’emploi)
- 10 euros (tarif adhérent)
- 14 euros (tarif normal)
Vous pouvez également réserver vos places en ligne. Retrouvez toutes les dates, la description des spectacles et la programmation nationale sur le site du Festival de Caves. Et pensez à prévoir des vêtements chauds !