RÉTROSPECTIVE – Le Musée de Grenoble fête ses 20 ans, du jeudi 30 janvier au dimanche 2 février, avec des visites guidées d’œuvres et de nombreuses animations. L’occasion de redécouvrir des collections exceptionnelles qui sont le fruit de deux siècles d’acquisitions, de la collecte des grands chefs d’œuvres à celle d’aujourd’hui.
« On ne le dira jamais assez, un musée se définit d’abord par ses collections » lance en préambule Guy Tosatto, directeur et conservateur du musée de Grenoble. Cette longue collecte a commencé pendant la période tumultueuse de la révolution française. Louis Joseph Ray est alors chargé d’inventorier les œuvres saisies dans le département de l’Isère. Il rassemble de nombreux chefs‑d’œuvre, parmi lesquels Saint Jérôme de Georges de la Tour, provenant de l’abbaye de Saint-Antoine, ou encore le Christ en croix de Philippe de Champaigne, saisi au monastère de la Grande Chartreuse.
Alors professeur de dessin – fondant son enseignement sur l’imitation et la copie des chefs d’œuvres – il met les saisies révolutionnaires à la disposition de ses élèves, dont le plus prestigieux n’est rien moins que le jeune Stendhal. Conscient de détenir des œuvres de premier plan, il milite activement pour que ce patrimoine culturel exceptionnel puisse être conservé dans les enceintes d’un musée. Il sera exaucé en 1798 et nommé conservateur du musée de Grenoble, poste qu’il occupera jusqu’en 1815.
Il n’aura alors de cesse d’étoffer les collections du musée. Inventif, passionné, il négocie l’envoi de nouvelles œuvres par l’État, lance des souscriptions auprès des notables grenoblois et fait appel aux dons. Une stratégie qui s’est avérée payante. Surtout au XIXème et début de XXème siècle, période qui a compté les trois plus grands mécènes du musée, à commencer par Jean-Marie Léonce Mesnard, légataire de plus de 3200 dessins et estampes. Le général Léon de Baylé, amateur d’art éclairé ouvert à toutes les cultures a, quant à lui, permis l’entrée de cent-trente œuvres, peintures et sculptures. Enfin, très sensible aux tendances nouvelles, le couple Georgette Agutte et Marcel Sembat a légué plus de 90 œuvres, peintures, dessins, céramiques et sculptures.
Le coup de génie d’Andry-Farcy
Au même titre que les mécènes orientent les collections, la personnalité des conservateurs joue un rôle déterminant. Le musée de Grenoble serait-il ainsi devenu à la fin des années quarante le premier musée d’art moderne de France sans son étonnant conservateur Andry-Farcy ? Dessinateur publicitaire, auteur du célèbre Per’Lustucru, critique d’art dans Le Petit dauphinois et amateur d’œuvres intuitif, celui-ci a en effet occupé le poste de conservateur du musée de Grenoble de 1919 à 1949.
En fin négociateur, il se fit remettre un certain nombre de tableaux contemporains de la main même de Matisse, Picasso ou Monet. A l’époque, aucun musée ne voulait exposer les œuvres de ces artistes encore méconnus et largement décriés. En échange de leurs dons, Andry Farcy, qui les estimait beaucoup, s’engagea à exposer leurs créations aux côtés d’œuvres depuis longtemps célèbres, ici, à Grenoble, dans un musée d’art ancien reconnu. Sa politique d’acquisition, colorée par quelques arrangements, suscita bien des quolibets de la part de ses adversaires qui surnommèrent un temps le musée « le grand rigolarium » !
Andry Farcy ne se découragea pas et l’histoire lui donna raison. Le musée de Grenoble ne ressemble en rien à un vaste cabinet des curiosités. Grâce à l’action de cet homme en avance sur son temps, il illustre aujourd’hui par des œuvres de premier plan les principaux
mouvements artistiques du début du XXème siècle : le fauvisme, bien sûr, avec les œuvres de Vlaminck, Friesz ou Derain ; le cubisme par celles de Braque, Delaunay ou Laurens ; le futurisme avec Luigi Russolo et Duchamp-Villon et la période néo-classique de Picasso ; la période machiniste avec Fernand Léger, et l’expressionnisme avec Chaïm Soutine, Modigliani ou Marc Chagall ; Sans oublier, le surréalisme avec Magritte, Picabia, Tanguy, Mirό ou Max Ernst.
“Cette collection est vivante”
Après cette période pionnière, où l’action des conservateurs s’est révélée très marquante et visible, ses successeurs se sont attachés à poursuivre la politique d’acquisition en direction de l’art contemporain, sans pour autant perdre de vue, l’enrichissement des collections plus anciennes.
Aujourd’hui encore, « cette collection est vivante » rappelle Guy Tosatto. « Elle continue à s’enrichir tout particulièrement dans le domaine de l’art contemporain et c’est un des grands atouts du musée de Grenoble de rester très dynamique sur le plan de l’enrichissement de ses collections ». S’informant sur les nouvelles tendances, attentif à ce qui se passe dans le domaine de l’art, la direction du musée acquiert ainsi chaque année de nouvelles œuvres.
Et Guy Tosatto d’ajouter : « lorsque je présente une exposition consacrée à un artiste vivant, je m’attache à ce qu’une acquisition garde la trace, dans nos collections, de sa venue à Grenoble ». Le budget est, bien entendu, un critère essentiel dans la décision. « Celui octroyé par la Ville de Grenoble est significatif et stable depuis plusieurs années, ce qui permet de maintenir une politique d’acquisition ambitieuse », précise-t-il « mais il reste modeste, compte tenu de l’inflation des prix que connaît le marché de l’art depuis plus d’une décennie. Toutefois, nous avons la chance de bénéficier, depuis 2010, de moyens supplémentaires grâce au mécénat d’entreprise. Et nous comptons sur cet apport financier complémentaire pour acquérir des œuvres majeures. »
L’Institut Mérieux, Schneider Electric, la Caisse d’Epargne, le Crédit Agricole et Soitec font notamment partie du club des mécènes du musée. « En plus de participer à la politique d’enrichissement des collections, ils permettent aussi d’optimiser la communication grâce à l’achat d’espaces publicitaires autour des projets auxquels ils souhaitent s’associer », ajoute Guy Tosatto.
Plus de 25 000 œuvres
Après plus de 200 ans d’acquisitions, le musée de Grenoble est aujourd’hui riche de plus de 25 000 œuvres, dont les 900 plus belles pièces sont présentées en permanence dans les salles d’exposition du musée. La cohérence du travail des conservateurs sur plusieurs générations permet d’offrir au public un voyage ininterrompu dans l’histoire de l’art occidental, de la fin du moyen âge au début du XXIème siècle avec, pour chaque période, de grands chefs‑d’œuvre. Des peintures bien sûr, mais aussi des sculptures, des antiquités égyptiennes…
Dans les collections, « il y a aussi plusieurs milliers d’œuvres sur papier qu’on ne peut pas présenter en permanence pour des raisons évidentes de conservation » précise Guy Tosatto. Elles font, par contre, l’objet d’expositions temporaires, comme cette année au printemps avec « La Pointe et l’ombre », troisième et dernier volet, « nordique » cette fois-ci, autour du dessin ancien qui complète les deux précédents, « italien » en 2010 et « français » en 2011.
Le musée, pluridisciplinaire, ne pouvant acquérir plus de deux ou trois œuvres d’un même artiste, il organise chaque année pour son public des expositions temporaires. L’occasion de faire découvrir davantage le travail d’un peintre ou d’approfondir la connaissance d’un courant artistique. Guy Tosatto lève le voile sur la logique de ces programmations.
Réalisation Véronique Magnin et JK Production.
Texte : Véronique Magnin Photographies : Musée de Grenoble