DÉCRYPTAGE – Alors que les nanomatériaux continuent d’inonder le marché, on ne sait pas grand-chose quant à leur impact sur la santé et l’environnement. Pas plus contrôlés que les produits conventionnels, les nanos jouent les électrons libres. Faute de cadre législatif, la recherche avance à tâtons. Pour tenter d’y voir plus clair et accompagner le développement des nanotechnologies, Grenoble s’est dotée d’une plate-forme dédiée à la nanosécurité.
Les nanomatériaux sont partout. Dans les pneus, les crèmes solaires, les vêtements mais aussi les dentifrices et jusque dans les glaces et les bonbons… On estime à 2 500 le nombre de produits sur le marché contenant des nanos. Faut-il s’en inquiéter ? « Cela fait dix ans que le CEA travaille sur les questions de nanosécurité. Comme on ne sait pas si c’est dangereux ni si c’est toxique, on applique le principe de précaution », affirme Philippe Bourguignon, directeur de la plate-forme nanosécurité (PNS). Une structure qui, depuis l’été dernier, regroupe 150 personnes au cœur du Polygone scientifique de Grenoble. Fruit de la collaboration entre le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), la PNS a été inaugurée le vendredi 22 novembre par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche Geneviève Fioraso et le président du conseil régional Jean-Jack Queyranne. Objectif : suivre et encadrer le développement des nanotechnologies en travaillant sur les questions de protection et de sécurité liées à la mise en œuvre des nanomatériaux. Un investissement de 17,3 millions d’euros Un équipement “unique en Europe” selon Bernard Bigot, administrateur général du CEA, car pluridisciplinaire. Là, les scientifiques travaillent à la fabrication de nanoparticules de référence, grâce à des outils de caractérisation, en association avec des partenaires publics et privés. Les résultats de ces travaux de recherche sont directement appliqués dans les domaines de l’expertise, la mesure, la formation-sensibilisation (le site web Nano-Smile.org) et l’intervention en cas d’accident, le tout grâce à des collaborations avec l’INERIS, l’INRS, l’INVS, l’INSERM, l’IRSN, le LNE, le CNRS… 250 postes de travail ont ainsi été expertisés et 550 personnes formées. La PNS met au point des bio-marqueurs pour détecter les inflammations, travaille sur la toxicité des nanoparticules de fer, planche sur des outils de détection des nanos dans les incinérateurs, ou encore collabore avec Air-Rhône-Alpes. L’investissement est de taille, 17,3 millions d’euros*. L’enjeu aussi. Alors que les nanos continuent d’inonder le marché, on ne sait pas grand-chose de leur innocuité. Quels impacts ont les nanos sur la santé ? Et sur l’environnement ? Les études et travaux de recherche se multiplient mais toujours aucune enquête épidémiologique sur le sujet à l’horizon. Alors, les autorités sanitaires ouvrent le parapluie et appellent à la prudence. Une vingtaine de nanoparticules couramment utilisées sont étudiées par les scientifiques en Europe : dioxyde de titane, silicium, tube de carbone, argent, oxyde de zinc… Mais pour les chercheurs, il est encore trop tôt pour se prononcer. Une technologie prometteuse Difficile de mettre au ban une technologie aussi prometteuse pour les industriels. Les nanomatériaux permettent de fabriquer des objets plus petits, plus légers et moins coûteux. Mais aussi de consommer moins de matières premières et moins d’énergie. Efficaces ? Assurément. Inoffensifs ? « On n’a toujours pas dit que c’était dangereux ! », poursuit Philippe Bourguignon. Ni le contraire. Ce qui n’empêche pas les nanos d’être commercialisés sans autre forme de procès. Le nano n’est pas plus contrôlé Car le nanomatériau, c’est un peu l’électron libre. Pas plus contrôlé qu’un autre matériau. Dans tous les cas, c’est le Code du travail et le Code de l’environnement qui s’appliquent. Seule contrainte ? L’obligation pour l’industriel de déclarer tout achat, vente, revente ou importation de nanoparticules. Côté réglementation sanitaire, même grand vide. Comment savoir si une nanoparticule est dangereuse alors que la législation communautaire n’a pas encore fixé de valeurs limites d’exposition ? Alors que tout le monde ne s’accorde pas sur la définition de “nano” ? Depuis 2009 pourtant, les députés européens réclament que la législation en la matière soit révisée. Alors, faut-il avoir peur des nanos ? La manipulation de la matière à l’échelle nanométrique suscite espoirs et enthousiasme mais aussi craintes et interrogations. “Les innovations souffrent de la défiance des concitoyens”, juge la ministre. Aux scientifiques d’apporter des réponses. Mais le champ est vaste. A chaque inspiration, vous en prenez plein le poumons. On estime à 10 000 la quantité de nanoparticules par centimètre cube d’air ambiant. Votre voisin allume une cigarette ? Ce n’est plus 10 000 mais 300 000 nanoparticules qui peuplent ce maigre espace. Les nanos sont partout, et depuis longtemps. Mais ils n’ont pas fini de faire parler d’eux. Patricia Cerinsek* 14,3 millions d’euros de la Région et trois millions d’euros de l’État dans le cadre du plan Campus “Grenoble université de l’innovation”. A quoi il faut ajouter 15,2 millions d’euros d’équipements et de matériels spécialisés, dont l’équipement d’excellence NanoID (10,2 millions d’euros), capable de détecter et d’identifier les nanoparticules.