DECRYPTAGE – Alors que ce dimanche marque l’ouverture de la chasse en Isère, la Ligue de protection des oiseaux réclame le classement en espèce protégée du lagopède alpin. Figurant en tête des espèces menacées des Alpes, celui-ci voit en effet sa présence sans cesse restreinte dans nos massifs environnants. L’oiseau semble d’ores et déjà avoir disparu du massif de la Chartreuse et sa population est de plus en plus limitée dans le Vercors et l’Oisans.
Après le grand Tétras, le lagopède alpin va-t-il à son tour disparaître des Alpes françaises ? C’est la crainte des associations de protection de la nature qui voient sans cesse diminuer les populations du petit galliforme de montagne. Combien sont-ils en Isère ? Quelques centaines peut-être. Difficile de les dénombrer. Aux effectifs, les associations préfèrent les tendances. Car le lagopède, au plumage blanc l’hiver et marron au printemps, est un spécialiste du camouflage. Et puis, il faut aller le chercher de plus en plus haut, au-dessus de 1 800 mètres d’altitude. “La population du Vercors est très limitée aux sommets comme le Grand Veymont », explique Jacques Prévost, ancien responsable de la LPO Isère. “On le trouve aussi dans le massif des Grandes Rousses, et dans l’Oisans ». De moins en moins présent dans les Alpes D’après un rapport de l’Observatoire des galliformes de montagne sorti en 2011, le Lagopède a déjà disparu de plus d’une dizaine de communes dans les Pré-Alpes et les Alpes du Nord, et est passé d’une présence régulière à une présence sporadique sur plus d’une trentaine d’autres. En juin 2012, un site test de la LPO en Haute-Savoie comptait 17 coqs chanteurs. Cette année, le chiffre tourne entre 10 et 11… “Le Lagopède, espèce arctique, est une relique de l’époque glaciaire », précise Jacques Prévost. « Avec le retrait des glaciers, il y a 20 000 ans, les Lagopèdes ont suivi le mouvement”. Et le mouvement continue… Les populations de lagopèdes ont ainsi chuté de 60 % en douze ans dans certains massifs des Pyrénées. Le coup de grâce du réchauffement climatique Pour la Ligue de protection des oiseaux (LPO), il y a urgence. “Ce sont des espèces en grande difficulté », résume Jacques Prévost “et, qui plus est, qui sont soumises au problème du réchauffement climatique”. Baromètre du niveau de dégradation de l’environnement, le lagopède alpin, plus que tous les autres, subit en effet de plein fouet la hausse des températures et la remontée du niveau des neiges. “Le lagopède alpin est une population en mauvais état de conservation”, confirme de son côté Marie-Paule de Thiersant, présidente de la coordination Rhône-Alpes de la LPO. “Et il y a de telles contraintes liées au changement climatique que, dans les années à venir, si on ne fait rien, on va tranquillement regarder l’espèce s’éteindre, tandis que les chasseurs vont continuer de prélever jusqu’au dernier !” Alors, les associations saisissent la justice. En 2010, la chasse au Tétras-lyre a ainsi été suspendue dans la Drôme et des prescriptions spéciales prises pour la Gélinotte des bois en Isère. Le lagopède, lui, a peut-être sauvé quelques plumes l’année dernière, suite aux restrictions de chasse sur les massifs du Vercors et de la Chartreuse décidées par le préfet de l’Isère. Un court répit qui laisse toutefois perplexe Jacques Prévost : “En vingt ans, je n’ai jamais vu de lagopède alpin dans le massif de la Chartreuse !”. Cette année encore, et alors que débute aujourd’hui la saison de la chasse, le préfet de l’Isère a interdit les tirs dans les massifs de la Chartreuse, du Vercors et de l’Obiou. Le lagopède peut toutefois encore être chassé sur le reste du département, chaque chasseur ayant le droit de tuer jusqu’à trois oiseaux. Vers un statut d’espèce protégée ? Face à l’effondrement de la population de lagopède, les associations réclament son classement comme espèce protégée. L’oiseau ne pourrait ainsi plus être chassé. De quoi lever une pression sur cette espèce déjà confrontée à de nombreux autres obstacles : modification des habitats, développement des infrastructures touristiques en montagne notamment liées au ski, collisions avec les câbles, braconnage, captures par des chiens errants… “Sans compter le dérangement hivernal”, poursuit Jacques Prévost. “Le randonneurs sont de plus en plus nombreux à quitter les sentiers pour aller dans les zones de reproduction”. Le lagopède alpin, également appelé perdrix des neiges, est d’ailleurs inscrit à l’annexe 1 de la directive européenne Oiseaux qui recommande de mettre en place des mesures de protection. Et il figure déjà sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature. L’espèce est « quasi-menacée », à en croire ce réseau constitué d’experts scientifiques, d’organismes publics et d’associations. Un constat assorti de préconisations pas forcément suivies d’effets… Or l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)* et, en son sein, l’Observatoire des galliformes de montagne font peu ou prou le même constat que les associations de protection de la nature : le lagopède alpin n’est pas le seul à être menacé de disparition. Comme lui, le Tétras lyre, la Gélinotte des bois et la perdrix Bartavelle voient leurs populations régulièrement chuter au fil des années. Pression de l’homme, réchauffement climatique… Leur disparition est-elle inéluctable ? Pour les associations de protection de la nature, pas question de baisser les armes. Celles-ci comptent bien obtenir le déclassement d’espèce gibier en espèce protégée pour les quatre espèces de galliformes de montagne. Et devraient déposer leur argumentaire à la fin de l’année sur le bureau du ministre concerné. Une autre dimension du combat commence, à quelques mois des élections municipales… Patricia Cerinsek
* L’ONCFS participe notamment à un programme européen de coopération transfrontalière France-Italie, « Alcotra galliformes alpins », visant à suivre les cinq espèces en tant qu’indicateurs des changements de l’environnement. Observations, enquêtes, suivis de terrain, captures et marquages d’individus permettent d’étudier l’état de santé des populations des Alpes et les pressions auxquelles elles sont soumises. Les partenaires ont aussi pour objectif de créer un réseau permanent de suivi transfrontalier débordant le cadre du programme qui doit s’achever en 2013.
L’ensemble des photographies illustrant cet article ont été réalisées par Denis Simonin, photographe naturaliste grenoblois. Celui-ci vient, par ailleurs, de réaliser avec Frédéric Renaud, également photographe, un très bel ouvrage sur la chouette chevêchette. Ce livre préfacé de Vincent Munier est le premier à être publié sur cette petite chouette de montagne aussi rare que discrète. Exposition de photos « Chevechette, petite chouette des montagnes », du 11 septembre au 2 octobre à la Maison du parc de Lans en Vercors.