ENTRETIEN – C’est une semaine intense qui s’est achevée pour Alain Carignon. À peine rentré d’Arcachon, où se tenait lundi la réunion de l’association « Les amis de Nicolas Sarkozy », l’ancien maire de Grenoble a remis en cause sa participation à la primaire ouverte de la droite en vue des municipales de 2014, irrité par la tournure que prenaient les événements. Alors que l’UMP38 a confié vendredi au président du parti Jean-François Copé la mission de trancher sur l’avenir de ce processus de désignation, celui qui s’estime comme l’homme providentiel de la droite locale précise sa position et dresse le tableau d’une ville qui n’aurait pas changé depuis son départ.
Engagé en politique en 1968, « au moment où le général de Gaulle était impopulaire » et où son jeune âge – il avait à peine 19 ans – lui était plutôt préjudiciable, Alain Carignon voyait chez le premier président de la cinquième République « le héros de l’indépendance de la France et le représentant des valeurs morales ».
C’est sous étiquette du RPR qu’Alain Carignon remportera ses succès électoraux. Elu conseiller général de l’Isère à 27 ans, il deviendra successivement maire de Grenoble (de 1983 à 1995), ministre délégué à l’Environnement du gouvernement Chirac et ministre de la Communication du gouvernement Balladur, de 1993 à sa démission. Il est condamné en 1996 pour corruption, abus de biens sociaux et subornation de témoins. Il effectuera 29 mois de détention, le record pour un homme politique en France.
Aujourd’hui « retraité de l’assemblée nationale », il est également « consultant pour plusieurs entreprises ».
Vous avez qualifié cette semaine la primaire de la droite grenobloise de « combat de perdants », envisageant même de ne plus y participer. Jetez-vous l’éponge ?
Je n’ai jamais dit que j’abandonnais. Je fais le constat que cette primaire est devenue un jeu de quille, durant lequel les candidats, déclarés ou non, s’agressaient mutuellement au lieu de faire un front commun contre la municipalité actuelle. Je me retire de ce processus destructeur, mais s’ils veulent faire gagner la droite, je suis là. Ils peuvent compter sur moi car je suis disponible. Ce n’est pas le processus qui importe, c’est la volonté de gagner et l’unité.
Le problème des bureaux de vote a été évoqué pour justifier la suspension de la primaire mais c’est le mode de désignation qui semble désormais poser problème au « comité des sages de la primaire » qui n’a pas réussi à convenir d’une position unanime sur la question. Comment l’expliquez-vous ?
En choisissant la primaire ouverte, le parti socialiste pourrait l’influencer par les urnes en faussant le résultat et en choisissant le candidat qu’elle souhaite affronter. Dans une élection primaire fermée, les autres candidats m’accuseraient de bidouillage. Et si c’est finalement la commission nationale d’investiture qui est retenue, le choix serait, selon eux, forcément en ma faveur puisque j’en suis membre, même si je me déporte ce jour-là ou que je démissionne de cette structure. En définitif, quel que soit le mode de désignation évoqué, des candidats le contestent avec suspicion, en me mettant en cause, mais des personnes qui n’ont rien obtenu de leur vie par les urnes n’ont aucune leçon à me donner.
Mais c’est vous qui aviez souhaité une élection primaire ouverte. Pourquoi la remettre en cause aujourd’hui ?
C’est la municipalité Destot qui a bloqué la situation en ne répondant pas aux sollicitations de l’UMP38 pour l’organisation du vote, alors qu’elle le fait volontiers quand le parti socialiste organise ses scrutins. Si l’UMP avait réussi cette campagne de démocratie participative, cela aurait révélé un contraste terrible avec cette municipalité qui n’a pas mis en place un seul référendum en dix-neuf ans sur des dossiers majeurs tels que le bétonnage de la ville ou la mise en place de nouveaux axes de communication. Elle a d’abord essayé d’empêcher ces primaires. Pourquoi n’influencerait-elle pas le vote ? Le conseil des primaires doit répondre à une question : est-ce que nous permettons au parti socialiste de prendre part au vote et de choisir le candidat qu’il espère affronter ?
Vous sentez-vous la cible d’un front uni de la part des autres figures de la droite grenobloise ?
C’est justement l’unité qui manque. Je constate une absence de volonté et de stratégie communes, mais l’existence de plusieurs stratégies individuelles. La droite grenobloise souffre d’un manque de maturité, d’expérience et de hauteur de vue. Les Grenoblois attendent que nous répondions à leurs problèmes quotidiens, pas que nous nourrissions les colonnes des journaux. Si les candidats ne deviennent pas plus raisonnables, c’est un combat perdu d’avance.
Vous choisissez de devenir « un réserviste » ?
Je suis toujours libre et déterminé. Je suis mobilisé par la situation de Grenoble et prêt à participer à un combat victorieux pour la mairie, pas à un combat secondaire.
Avez-toujours « envie de Grenoble », comme vous l’avez affirmé à de nombreuses reprises depuis l’hiver dernier ?
Ce n’est plus une envie, c’est désormais un devoir. Les difficultés qui attendent Grenoble sont telles que je ne peux le concevoir autrement.
C’est votre troisième retour successif sur la scène politique locale. Des retours toujours chaotiques. La droite n’a‑t-elle pas les forces vives nécessaires pour pouvoir se passer de vous ?
Je n’ai pas de critique à faire des autres candidats en lice. Je suis en revanche le plus légitime face au suffrage universel car je suis le seul à avoir battu Hubert Dubedout et Louis Mermaz. J’apporte ma contribution, je participe au débat pour faire savoir aux habitants de cette ville qu’ils ne sont pas condamnés à l’immobilité.
Plus que la légitimité, la confiance des électeurs est également nécessaire. Les Grenoblois pourraient-ils vous faire à nouveau confiance malgré les conditions de votre départ en 1995 ?
Ils peuvent faire confiance à ce que j’ai réalisé à Grenoble pendant douze ans. Du tramway aux musées, d’Europole au Synchrotron, des dessertes routières aux quartiers nouveaux, j’ai transformé la ville. C’est à eux d’en décider. Mais je suis libre et apaisé aujourd’hui.
Parlons de l’avenir. Quelles sont les « difficultés qui attendent les Grenoblois » que vous estimez être le seul à pouvoir contrecarrer ?
L’ampleur de la tâche qui attend la prochaine équipe municipale est énorme. La situation financière de la ville, par son niveau d’impôts considérable et la dette existante, ne laisse aucune marge de manœuvre. L’urgence est de porter le projet de nouvelles infrastructures routières. Depuis dix-neuf ans, il n’y a pas eu une voirie supplémentaire dans la ville, alors que Lyon vient d’obtenir de nouveaux contournements dans les débats nationaux. La communauté d’agglomération n’a pas saisi la loi métropole pour supprimer l’échelon du département dans l’agglomération, tout en le maintenant en ruralité. C’est pourtant une nécessité pour concentrer les pouvoirs et gagner en frais de fonctionnement. Grenoble est restée totalement immobile. La municipalité n’a fait que gérer les affaires courantes.
La commission mobilité 21 a reporté le raccordement de l’A51 avec Sisteron à après 2050. Quel recours pouvez-vous représenter dans ces conditions ?
Le problème de l’accès à Grenoble est un nœud complexe. Mettre en place le raccordement Grenoble-Sisteron implique d’agrandir l’A480, puisqu’il s’agit d’une traversée Nord-Sud. C’est une négociation globale avec l’Etat qu’il s’agit de mener. J’ai su le faire à d’autres périodes, y compris quand la gauche était au pouvoir. J’ai gagné le Synchrotron et le musée de Grenoble sous Mitterrand. J’ai obtenu l’autoroute Grenoble-Valence, alors que la gauche était contre. On peut gagner les batailles en présentant des dossiers solides, des plans globaux, des solutions et des budgets précis.
En matière de déplacement, il faut avoir une vue d’ensemble, trouver des idées nouvelles, avec différents financements publics-privés et demander à l’Etat une participation. Mais je ne vois pas qui pourrait actuellement à Grenoble avoir la capacité de faire ce travail.
Vous avez choisi de réaliser cette interview dans le quartier de l’Esplanade. Pour quelle raison ?
C’est le symbole de la bétonisation de la municipalité Destot. La gauche utilise l’étalement urbain pour justifier cela. Mais les Grenoblois ne veulent pas vivre dans la concentration. De Villeneuve au Polygone, c’est la même politique : celle de la surcharge. Nous ne pouvons pas imposer ce mode de vie à nos concitoyens. Il faut organiser des pôles de développement qui permettront à des petites et moyennes villes de se développer en les raccordant par des modes de transports rapides et réguliers. Cette ville étriquée fait fuir les entreprises et donc les emplois. Les catégories sociales professionnelles moyennes et aisées quittent celle ville compacte et sont remplacées par des habitants de conditions modestes, voire pauvres. La densification paupérise la ville. L’Insee distingue Grenoble par le cumul des signes de précarité et aucun quartier n’est épargné.
Rien ne justifie cette politique en réalité, si ce n’est un enjeu électoral. Dans certains bureaux de vote de la Villeneuve, socialistes et écologistes totalisent 89 % des voix ! C’est une situation anormale en démocratie qui cache un fonctionnement clientéliste préjudiciable.
Vous étiez lundi à Arcachon pour la réunion de l’association « Les amis de Nicolas Sarkozy ». Quel est le rôle de cette structure, à l’heure où le droit d’inventaire du « sarkozysme » est réclamé par plusieurs cadres de votre parti ?
La première réunion, celle de 2012, était nostalgique car nous venions de perdre la présidentielle. La deuxième, celle de cette année, était tournée vers l’espoir qui est revenu très vite. Un an seulement après l’élection de François Hollande, c’est son camp qui est aujourd’hui dans la nostalgie face aux promesses non tenues. Le rôle de cette association est de porter de la reconnaissance à ce que Nicolas Sarkozy a fait par le passé et de l’espoir pour l’avenir.
Pendant que Les amis de Nicolas Sarkozy maintiennent ce souvenir, le courant de l’UMP de la droite forte – que vous soutenez – n’est-il pas en train de préparer le terrain d’une droitisation du parti ?
C’est la thèse médiatique. Nicolas Sarkozy a fait reculer le Front National, contrairement à la gauche aujourd’hui. Nous n’avons aucune leçon à recevoir, mais plutôt certaines à donner. La droite forte est portée par des jeunes cadres du parti qui ont des idées et qui posent de vraies questions. La coexistence de plusieurs courants est dans la nature même de l’UMP. Cela évite de rester immobile.
Propos recueillis par Victor Guilbert
Photos par Nils Louna
L’entretien a été réalisé le mercredi 4 septembre au café La Tonnelle, dans le quartier de l’Esplanade à Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture mais a été complété à plusieurs reprises par téléphone au cours de la semaine en raison des nouvelles actualités. Alain Carignon s’est présenté au rendez-vous en compagnie de Michel Tavelle, le chargé de communication de l’UMP38.
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La conviction qu’il en tire L’avenir est toujours devant soi, créatif comme mon tempérament. C’est la route qu’il faut regarder, pas le rétroviseur du passé.