FOCUS – Le Musée de la résistance et de la déportation propose l’exposition des photographies de Mathieu Pernot « Un camp pour les Tsiganes » jusqu’au 23 mai 2016. Un événement – en prolongement de l’exposition « Tsiganes, la vie de Bohème ? » au Musée dauphinois – qui revient sur l’internement des populations dites « nomades » sous le régime de Vichy.
« Comment raconter l’histoire de ceux qui ne la racontent pas ? », se demande Mathieu Pernot. Car les Tsiganes, les Roms, les Manouches, toutes ces populations désignées sous le terme de « nomades » par l’administration française, ne s’inscrivent pas dans une tradition mémorielle. Pourtant, leur destin s’est lui aussi brisé en se heurtant à la barbarie nazie. Et, en France, à la politique racialiste du régime de Vichy.
C’est à cette politique discriminatoire et à ses conséquences que le photographe a consacré une exposition qui – elle aussi nomade – “tourne” en France depuis une quinzaine d’années. Et fait une halte au Musée de la résistance et de la déportation, du 27 novembre 2015 au 23 mai 2016, prolongeant ainsi l’exposition « Tsiganes, la vie de Bohème ? » présentée par le Musée dauphinois.
Une politique discriminatoire qui n’a pas attendu la défaite de 1940 pour imprégner les esprits. Dès 1912, la République impose aux « nomades » le port de carnets anthropométriques, qui concernent même les enfants.
Ces fameux carnets ne disparaîtront qu’en 1969, remplacés par d’autres documents administratifs, dont le fameux livret de circulation. Sa suppression a finalement été votée par l’Assemblée nationale… le 10 juin 2015.
Un camp « vitrine » destiné à la propagande
Mais les mesures coercitives monteront d’un cran avec l’internement de ces populations sous Vichy, notamment dans le camp de Saliers, en Camargue, pensé comme un « camp modèle », une vitrine destinée à répondre à la presse suisse ou américaine qui dénonçait les conditions d’internement française.
Les propagandistes de Vichy n’obtiendront pas le résultat escompté : sans eau, sans commodités, le camp de Saliers deviendra vite un lieu de vie indigne et insalubre. C’est finalement Henri-Georges Clouzot qui l’immortalisera sur pellicule en 1953, utilisant ce qu’il en reste comme décor pour représenter un village mexicain dans Le Salaire de la peur…
Ce sont les traces de ces hommes, de ces femmes et de ces (nombreux) enfants internés à Saliers que Mathieu Pernot a suivies, après avoir découvert à la fin des années 90 cette histoire dont personne ne semblait se soucier. Le jeune photographe entreprend alors de retrouver les personnes présentes sur ces carnets anthropométriques obtenus grâce aux archives départementales des Bouches-du-Rhône.
Son objectif : recueillir les témoignages des “anciens” du camp de Saliers, mais surtout les photographier, retrouver ces visages, ces regards, ces « gueules » présentes sur les carnets, presque soixante ans plus tard. Se rendre également sur le site du camp, aujourd’hui totalement rasé, et photographier l’absence. Une plaine en souvenir.
Une histoire dorénavant visible
Très peu de Tsiganes français seront déportés vers l’Allemagne, exceptés les « criminels politiques », autrement dit les résistants, ou les « criminels de droit commun », c’est-à-dire les contrevenants à la politique de sédentarisation voulue par Vichy. Tous ne reviendront pas, comptant parmi les 250.000 « nomades » assassinés par le régime nazi, qui les considérait comme une « race hybride », évidemment inférieure.
Pour autant, si elles ont échappé à ce génocide – désigné en langue romani par « Samudaripen », « meurtre collectif total » – les familles tsiganes, roms ou manouches françaises n’en ont pas moins été marquées et meurtries par la politique d’un État français désireux de les sédentariser, de les cantonner à l’écart de la nation, au ban de l’humanité.
Cette Histoire est dorénavant visible grâce à l’exposition de Mathieu Pernot accueillie par le Musée de la résistance.
Avec toujours ce même soin de contextualiser son propos et de maintenir bien vivante la mémoire d’un passé douloureux, avec retenue, respect et empathie. Pour mieux faire écho, peut-être, à notre présent.
Florent Mathieu
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