FOCUS – L’éditeur grenoblois Le Monde à l’envers vient de publier Grenoble Calling, un ouvrage mosaïque réunissant de nombreux témoignages sur l’histoire du punk dans la capitale des Alpes. Une manière de dessiner, des années 80 jusqu’à nos jours, le portrait local d’un mouvement artistique et sociétal dont l’influence ne se dément pas.
L’ouvrage aurait pu s’appeler Greno Future pour reprendre le slogan lancé par les Sex Pistols. Mais c’est finalement aux Clash que les auteurs de Grenoble Calling ont choisi de faire référence. Leur objectif ? Délivrer « une histoire orale du punk dans une ville de province », au travers des récits de ceux qui ont vécu, ont participé, ou vivent et participent encore à cette histoire foisonnante, depuis la fin des années 70 jusqu’à nos jours.
À la manœuvre, Nicolas Bonanni et Margaux Capelier. Tous deux ont mis trois ans à recueillir les témoignages de plusieurs dizaines de personnes. Avec un choix délibéré : donner la parole, sans commentaires ni narration. Pas de quoi rendre les choses plus faciles, expliquent les auteurs dans leur postface : « On décortique, sélectionne, combine, décombine et recombine ». Quitte à devoir opérer des choix douloureux.
« Une forme de décroissance »
Si l’ouvrage se base sur des témoignages, pas question pour autant de dérouler de longues pages de monologues. La mise en page se veut aérée, avec des morceaux d’entretien qui se répondent ou se complètent, la plupart des chapitres donnant la parole à plusieurs intervenants. Toutes les catégories (ou presque) sont représentées, depuis les musiciens aux organisateurs de concert, en passant par les “simples” membres du public.
Chaque nouveau chapitre est l’occasion de suivre l’évolution d’un courant musical et artistique dont l’influence ne se dément pas. Du chaos des années 80 à la forte conscientisation politique des années 2010, les noms des salles et des musiciens changent, les écoles et les courants se font et se défont. Et les générations se succèdent à toute allure, d’autant que le punk tire souvent sa force de la prime jeunesse.
Restent des dénominateurs communs. Une indépendance revendiquée vis-à-vis des circuits officiels, et un DIY (Do It Yourself – Faîtes-le vous-même) qui traversent les époques. « L’anarcho-punk, ça porte l’idée de s’émanciper du maximum de choses, du travail salarié, du loyer, de vivre avec un minimum de moyens. On pourrait dire que c’est une forme de décroissance », résume un témoin.
Une effervescence du punk à Grenoble encore présente
S’il est indéniable que les auteurs de l’ouvrage nourrissent une affection prononcée pour le mouvement punk, ils n’essayent en aucune manière d’en masquer les aspects les plus sombres. Parmi les récits, des aventures humaines se dessinent, des personnes en marge ont trouvé un abri, des talents se sont révélés. La violence, la drogue, le Sida ont aussi fait partie du voyage. Tous n’en sont pas revenus.
D’autres personnes ont, plus simplement, repris le chemin d’une vie plus conventionnelle. « Quand tu as des gosses et que, parce que t’as fait un concert qui a foiré, tu ne peux pas les emmener au ciné ou en sortie, tu ne peux plus te poser certaines questions », confie une organisatrice. Des disquaires, bien que nantis de perles rares, ont quant à eux mis la clé sous la porte. Les squats vont et viennent, tandis que les salles de concert changent de direction artistique.
Un bémol ? Grenoble Calling donne parfois l’impression de s’adresser à ceux qui connaissent déjà l’histoire qu’il raconte. Quand bien même une carte en fin d’ouvrage permet d’identifier géographiquement (et temporellement) les nombreux lieux mentionnés tout au long des témoignages. Ultime illustration de l’effervescence grenobloise autour du punk, qui est loin de n’appartenir qu’au passé.
Florent Mathieu
Grenoble Calling, une histoire orale du punk dans une ville de province (1980−2020), de Nicolas Bonanni et Margaux Capelier. Éditions Le monde à l’envers, 2021. 296 pages + un CD (savoureux) de 15 titres. 16 euros.