FOCUS – Près de 90 rendez-vous inédits durant trois semaines pour « voyager dans les sons et musiques d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui ». Telle est l’alléchante proposition de la 8e édition du festival Détours de Babel, qui se déroulera du 16 mars au 7 avril 2018 à Grenoble et dans dix-neuf autres communes de l’Isère. La trame de cette édition 2018 ? Un « retour aux sources de l’écoute », là où les sons prennent vie, pour tisser des rencontres musicales volontairement transculturelles.
« En général, on a des manifestations qui sont des festivals de jazz, de musiques actuelles, de rock de musique contemporaine… Le projet des Détours de Babel c’est plutôt de voir ce qui se passe entre ces genres-là et comment, aujourd’hui, les compositeurs, les musiciens se nourrissent de ces esthétiques pour inventer ce que seront les musiques de demain », synthétise Benoît Thiebergien, le directeur du festival Détours de Babel. Un temps fort en forme de poupée gigogne, où un genre musical peut en cacher un autre.
La marque de fabrique des Détours de Babel ? Ils reviennent chaque année avec de nouvelles propositions musicales surprenantes… voire déconcertantes.
Le festival déniche ainsi tous les ans ces nouveaux « transfrontaliers, contrebandiers de l’esthétique » qui rechignent au traditionnel étiquetage des genres musicaux. Et qui auront pour tâche, au cours de cette mouture 2018, de nous ramener aux fondements du son, de l’écriture et de l’improvisation, tout autant que des traditions du monde. Bref, c’est bien un « retour aux sources », trame du festival, que nous promet son organisation.
Huit créations originales pour un festival ouvert sur l’international
Durant trois semaines, du 16 mars au 7 avril, le festival Détours de Babel va ainsi proposer 90 concerts et spectacles dans 41 lieux d’accueil isérois dont seize à Grenoble. Ouvert sur l’international, l’événement accueillera cette année 23 ensembles ou groupes, soit 193 artistes (dont trente compositeurs) de vingt nationalités différentes.
L’occasion de présenter huit créations originales et six chantiers résultant d’appels à projets
musicaux. S’y ajouteront deux créations pédagogiques et participatives. Pas moins de 120 actions culturelles et éducatives sous la forme de rencontres, débats, stages et master class seront ainsi menées au cours de cet événement n’ayant pas son pareil en Auvergne-Rhône-Alpes.
En semaine, le festival se déroulera dans les lieux culturels partenaires de l’agglomération et du département. Mais aussi dans le cadre de la Maison de l’International de Grenoble où le Festival maintient ses « salons de musique ». Leur principe ? Présenter en fin d’après-midi au public de petites formes musicales acoustiques « en conditions d’écoute privilégiées », assure l’organisation.
L’Ancien musée de peinture, base avancée du festival
Les week-ends, le public pourra retrouver, le temps d’une journée, ces traditionnels condensés musicaux que sont devenus au fil du temps les brunchs*. Parmi eux, le rendez-vous dominical du dimanche 1er avril, transformé en nocturne au Musée dauphinois. Des concerts « à la lueur des projecteurs et à la chaleur des braséros » s’enchaîneront ainsi dans les espaces intérieurs et extérieurs de 18 heures à minuit.
Autre nouveauté 2018 ? L’installation d’un ancrage permanent du festival au cœur de Grenoble. « Nous avons souhaité un nouveau format, une dimension permanente avec l’occupation pendant trois semaines de l’Ancien musée de peinture, place de Verdun, pour un lieu d’accueil, de rendez-vous, d’expositions et de salons d’écoute », annonce Benoît Thibergien.
S’y dérouleront concerts électroacoustiques et mixtes – dont certains en aveugle – ou encore des installations sonores et autres performances atypiques. Le tout « dans une ambiance intime et chaleureuse, assis ou allongé sur des coussins ou transats », fait miroiter l’organisation.
Des griots maliens à la musique électroacoustique de Pierre Henry…
Quid de la programmation ? Bien sûr, des têtes d’affiche et pas des moindres. Ne serait-ce qu’avec Rokia Traoré, la chanteuse malienne internationalement reconnue qui présentera son projet Dream Mandé Bamanan Djourou à la Belle électrique le 16 mars à 20 heures. Un mélange d’héritage malien et d’influence française basé sur des reprises de chants classiques bambara et de chansons de Jacques Brel ou de Léo Ferré, entre autres. Quoi de mieux pour illustrer le fameux retour aux sources prôné par le festival ?
Dans un autre registre, le festival a voulu rendre hommage au pionnier de la musique électroacoustique Pierre Henry, récemment décédé, avec deux de ses œuvres. Une Tour de Babel et L’Apocalypse de Jean seront ainsi données à l’Ancien musée de peinture, le samedi 24 mars à partir de 20 heures.
Pour l’occasion, ces deux pièces seront diffusées sur un “acousmonium”. Entendez un dispositif sonore rassemblant un grand nombre de haut-parleurs disposés dans l’espace, privilégiant ainsi une véritable immersion sonore. « Une belle expérience durant laquelle, installés sur des coussins ou des transats, vous serez dans un cocon et baignerez dans cette musique électroacoustique », recommande avec gourmandise Benoît Thibergien.
… en passant par Jean-Sébastien Bach et Sydney Bechet
Toujours au chapitre des artiste renommés, le pianiste américain Brad Mehldau avec Three pieces after Bach offrira au public sa façon personnelle d’embarquer l’héritage de Bach sur des sentiers loin d’être battus. Son concert débutera par un extrait du Clavier bien tempéré de Bach, avant d’interpréter des pièces qu’il a composées en s’inspirant de l’écoute et de la pratique des œuvres du célèbre compositeur allemand. Là encore, le retour aux sources n’est plus à démontrer.
Enfin, pour en terminer avec les têtes d’affiche, dans la famille jazz appelons un autre pionner, le grand-père Archie Shepp qui va très bientôt fêter ses 81 ans. Le saxophoniste délaissant le free jazz le temps d’un concert va retourner aux sources du jazz avec Tribute to Sidney Bechet, hommage au vénérable clarinettiste. Un retour aux sources du blues, du gospel et des fanfares de la Nouvelle-Orléans, à La Rampe d’Échirolles, mardi 3 avril à 20 heures.
Deux autres temps forts, les soirées d’ouverture et de clôture du festival
Quant aux autres temps forts, ce seront principalement les spectacles d’ouverture et de clôture du festival. En ouverture c’est Lemma, une création portée par la chanteuse Souad Asla et onze chanteuses de la ville de Béchar (sud de l’Algérie) qui sera proposée au public dans le cadre de la salle Messiaen. Ensemble, elles perpétuent un répertoire peu connu de musiques de transes que l’on retrouve dans tout le sud du Maghreb. Une pratique traditionnellement masculine dont ces femmes ont voulu s’emparer.
« De la douceur d’un chant spirituel accompagné d’instruments traditionnels à la transe générée par un sens du chant et du rythme prodigieux, Lemma tient autant du spectacle que de l’hommage au patrimoine culturel qu’incarnent ces femmes avec fierté », souligne le festival.
C’est à la MC2 que se termineront les Détours de Babel, avec un double plateau de clôture sud-africain qui proposera en première partie Bantu continua Uhuru consciousness (BCUC). Un septet « afro-psychédélique » d’Afrique du sud constitué de membres d’une tribu des faubourgs de Soweto produisant une musique se situant entre le rap, le slam et le rock. Le tout, mêlé d’incantations en zulu, en sotho ou en anglais, racontant leurs difficultés et celles que leur pays traverse.
En deuxième partie de soirée, une autre création sur une proposition du festival : celle d’une grande figure du jazz britannique, le saxophoniste Shabaka Hutchings, leader du groupe Sons of Kemet.
Accompagnés par la compagnie de danse urbaine sud-africaine Via Katlehong, le musicien et son groupe vont proposer au public une sorte de hip-hop inspiré des danses traditionnelles des différentes communautés sud-africaines.
Gageons que cette 8e édition des Détours de Babel saura une nouvelle fois trouver son public d’aficionados des musiques transculturelles qui, au-delà des genres, cherchent à découvrir de nouvelles approches de la création musicale tout autant que de la nouveauté. Une nouveauté qui, selon Edgard Morin, « naît toujours dans le retour aux sources », rappelle Benoît Thiebergien.
Joël Kermabon
* Brunch : durant une journée, concerts, spectacles, performances, installations artistiques se répartissent dans différents espaces du lieu d’accueil. Une manière de proposer un cheminement libre des parcours musicaux.