FOCUS – Pourquoi le langage et la parole sont-ils le propre de l’Homme ? Jusque-là, la pensée dominante voulait que la faculté de parler soit liée à des conditions purement anatomiques. Un larynx bas, propre à l’Homo sapiens depuis qu’il s’est mis en tête de marcher, et le tour était joué ! Des travaux menés sur les babouins par plusieurs chercheurs dont le spécialiste des sciences de la parole, le Grenoblois Louis-Jean Boë, viennent de battre en brèche cette théorie. Car le singe vocalise. Prémices de la parole ? La démonstration vient en tout cas remettre les pendules à l’heure.
Jusque-là, on pensait l’Homme seul capable d’émettre des sons différenciés, voyelles et consonnes, base de la communication parlée. De récents travaux apportent de l’eau au moulin de telles certitudes et viennent battre en brèche une théorie controversée mais jamais contredite depuis une cinquantaine d’années : celle de l’origine anatomique de la vocalisation.
Car le babouin est, lui aussi, capable de produire des vocalisations comparables à des voyelles, préfigurant ainsi un système de parole chez les primates non humains.
Des travaux interdisciplinaires* – menés par des chercheurs du laboratoire Grenoble Images parole signal automatique (Gipsa-Lab – CNRS/Grenoble INP/Grenoble Alpes Métropole), du laboratoire de psychologie cognitive et du laboratoire d’anatomie de l’université de Montpellier – viennent enfoncer le clou.
Le langage reste le propre de l’Homme
« On ne peut pas dire que les babouins parlent », nuance Louis-Jean Boë, chercheur à l’Université Grenoble-Alpes qui, depuis vingt ans, se penche sur la question. Ils émettent des vocalisations qui ressemblent beaucoup à des voyelles. Mais il faudrait encore qu’ils combinent ces cinq voyelles, or ils n’en combinent que deux. Par exemple, pour prononcer [wahou]. Il faudrait qu’ils émettent des consonnes aussi. On en est encore loin. C’est un début, un protosystème… »
Pas de révolution en vue : la parole et le langage restent bien le propre de l’Homme. Mais pourquoi donc Homo sapiens est-il le seul doué de cette faculté ? Comment a émergé la parole ?
Jusque-là, il était officiellement admis que la capacité à produire des sons différenciés venait de la position du larynx. Un larynx “haut”, comme chez les babouins, était donc vu comme une entrave à la production de sons de parole. A contrario, un larynx passé en position “basse” au fil de l’évolution de l’Homme et son passage à la position verticale, permettait de produire toutes sortes voyelles et consonnes.
La théorie dominante qui prévalait depuis une cinquantaine d’années et les travaux de l’Américain Philip Lieberman sur l’incapacité des singes, des bébés de moins d’un an et de l’Homme de Néandertal à combiner plusieurs sons pour des raisons purement anatomiques est donc désormais sérieusement écornée.
La question de l’origine du langage relancée
« Philip Leberman partait du postulat que les êtres dotés d’un petit larynx ne pouvaient pas produire un système vocalique complet », poursuit Louis-Jean Boë. Or réduire la capacité à parler à une particularité anatomique fait depuis longtemps bondir le linguiste grenoblois. « On savait que c’était faux, que les bébés peuvent produire des voyelles dès 7 ou 8 mois, donc avec un larynx très haut ».
Il a fallu vingt ans pour que le spécialiste de la parole grenoblois fasse sauter le verrou anatomique, grâce à des travaux sur les bébés, sur l’Homme de Néandertal et sur les singes menés en collaboration avec différentes équipes. A charge désormais pour les chercheurs de creuser une autre piste. Car voilà la question de l’origine du langage relancée…
« La parole est un détournement d’organes et de gestes. Les cordes vocales, le voile du palais, la langue, les lèvres ne sont pas faites pour parler. L’Homme n’est pas à l’origine conçu pour parler. La parole est le fruit de l’évolution, dont on retrouve les prémices chez les babouins ». Une nouvelle porte s’ouvre…
Patricia Cerinsek
* L’étude a été publiée le 11 janvier 2017 dans la revue scientifique Plos One.