PORTRAIT – Auteur de renom, lauréat du prix Renaudot en 2008 et militant pour la liberté en Guinée, l’écrivain Tierno Monénembo vient de passer quelques jours à Grenoble, en préparation d’un nouvel ouvrage. La capitale des Alpes est un lieu symbolique pour lui. Terre d’exil, elle est la première ville française où il s’est installé en 1973, après avoir fui la dictature guinéenne de Sékou Touré. Rencontre.
Un style à la fois élégant et décontracté, des lunettes rondes qui lui donnent une allure d’intellectuel, Tierno Monénembo incarne avec son large sourire la joie de vivre africaine. Naturel, l’écrivain fait preuve d’une incroyable modestie. Il a pourtant remporté le prix Renaudot en 2008 pour son ouvrage Le Roi du Kahel, histoire romancée de l’explorateur français Aimé Olivier de Sanderval.
Sa réaction lorsqu’il a appris qu’il était le lauréat d’un prestigieux concours de littérature ? L’écrivain en rit encore et s’exclame d’un air désinvolte : « Je ne m’attendais pas du tout à ça ! J’ai reçu un coup de fil de Paris, il était 7 heures du matin. Je n’avais personne avec qui fêter ça à cette heure-là. Alors je me suis recouché [Rires]. »
De nationalité franco-guinéenne, Tierno Monénembo – qui vit tantôt en Guinée, tantôt à Caen – est aussi peul. Ce peuple nomade, présent dans quinze pays, compte près de 30 millions d’individus qui sillonnent l’Afrique depuis des millénaires. Une histoire que l’auteur compte retracer dans un nouveau roman, coécrit cette fois avec un ophtalmologue grenoblois, amoureux de l’Afrique et ancien médecin au Niger.
“Le Terroriste noir” bientôt en salles
Les œuvres de Tierno Monenembo (Cf. encadré) comptent parmi les plus importantes de la littérature africaine contemporaine. Son roman Le terroriste noir a d’ailleurs été récompensé par le prix Erckmann-Chatrian, le Grand prix du roman métis et le prix Ahmadou-Kourouma.
Basé sur une histoire vraie, ce roman conte le récit émouvant d’un soldat noir au service de l’armée française pendant la seconde guerre mondiale. Adapté aussi au cinéma, le Terroriste noir sortira prochainement en salles.
Avec son style littéraire unique et décalé, alternant gravité et légèreté et mêlant tour à tour ironie et satire, Tierno Monénembo multiplie les sources d’inspiration. « Tout ce que je lis m’inspire, même les bulletins météo », raconte l’écrivain en riant. Au cœur de ses romans, la mère de toutes les civilisations, l’Afrique, parfois oubliée des récits d’Histoire.
Engagé politiquement, l’écrivain a dénoncé le silence de la communauté internationale lors de la crise de 2009 : « Encore une fois, l’armée a tiré sur la foule à Conakry ! Les journaux n’en feront pas leurs gros titres : là-bas, du sang dans les rues, ce n’est pas une information, juste une anecdote », écrivait-il dans une tribune du Monde. Aujourd’hui, il s’oppose farouchement au régime d’Alpha Condé, qu’il accuse dans Courrier des Afriques d’avoir truqué les élections. En somme, la littérature est, à ses yeux, la meilleure arme pour lutter contre les injustices, en Afrique comme ailleurs.
« L’exil a fait de moi un écrivain »
Au départ, rien ne prédestinait ce jeune peul à devenir écrivain. En 1969, alors âgé de 22 ans, il prend la route de l’exil pour fuir la dictature de Ahmed Sékou Touré. De la Guinée, il se rend à Dakar, à pied. En 1970, il gagnera ensuite Abidjan, avant de rejoindre Grenoble en 1973, pour y faire ses études sur le campus de Gières.
Après avoir obtenu un doctorat en biochimie, suite à la présentation de sa thèse à l’université Lyon II, Tierno Monénembo se lance dans l’écriture, domaine où il excelle, sans doute en partie du fait de son vécu et des souffrances qu’il a endurées : « L’exil est un poison. Être arraché à sa terre est une souffrance », confie-t-il. Avant d’ajouter : « C’est l’exil qui a fait de moi un écrivain ».
Un exil imposé par une contexte politique tendu. Dans les années 1970, le dictateur guinéen Ahmed Sékou Touré, connu pour sa violence, faisait en effet preuve d’un racisme anti-peul largement assumé, notamment dans son discours d’août 1976 : « C’est la déclaration de guerre ! Ils [les peuls] veulent d’une guerre raciale ? Eh bien, nous, nous sommes prêts […], nous les anéantirons immédiatement, non par une guerre raciale, mais par une guerre révolutionnaire radicale. »
France-Afrique, des relations sulfureuses
Quand Tierno s’exprime sur la relation contemporaine France – Afrique, qu’il qualifie de néocolonialiste, il ne cache pas sa colère et sa rancœur. « L’Afrique est réduit à un dilemme incontournable, elle est toujours victime ou complice d’un pouvoir préétabli », estime l’écrivain.
Tierno Monénembo en profite d’ailleurs pour condamner fermement l’époque coloniale : « Il n’y a pas d’histoire d’amour entre les colons et les Africains, seulement des relations d’invasion. » À travers ses récits, il dénonce avec humour une vision faussement paternaliste de cette période controversée de l’Histoire. « L’Histoire n’a pas à être racontée par les colons. Ce n’est pas aux penseurs européens de raconter ce que le peuple africain a subi », estime l’écrivain.
À ses yeux, une nouvelle relation franco-africaine est aujourd’hui possible, à condition que « la politique française tire des leçons de l’Histoire, ne réitère pas ses erreurs et qu’elle ait une attitude bienveillante envers l’Afrique, ce qui n’est pas toujours le cas ! », poursuit-il.
Mais optimiste, il croit aux vertus des échanges culturels franco-africains. « Nous partageons une langue et histoire commune. Chacun a à apprendre de chacun. L’Afrique a beaucoup à apprendre de l’organisation et du savoir occidental. De l’autre côté, l’Afrique est une expérience de l’existence et de la résilience. Les Africains subissent des difficultés quotidiennes, mais ils sont chanceux… Ils ne sont jamais déprimés ! » Son grand sourire le confirme.
« La communauté internationale, c’est la mafia internationale ! »
« La communauté internationale c’est la mafia internationale ! Écrivez bien cela dans votre papier ! », s’exclame-t-il lors de notre entretien. Il dénonce là l’abandon, ou plutôt l’exploitation du continent africain, alors que des guerres déchirent l’Afrique sous les yeux de la communauté internationale silencieuse.
Tierno Monénembo n’apprécie pas non plus tellement la presse, bien qu’il réponde courtoisement à nos questions. « Je ne fais confiance à aucun média », affirme-t-il ainsi à plusieurs reprises. Des médias qu’il accuse de relayer en Occident une vision biaisée de l’actualité africaine, tout en leur reprochant de ne pas plus s’intéresser à ce continent.
Ce sont ses colères et ses engagements politiques qui font surement la richesse de ses ouvrages : « Seule la littérature peut expliquer le mixage des peuples, le quotidien des Africains assure Tierno Monénembo. La politique est partisane, il faut trancher. À l’inverse, l’écrivain observe et relate. »
Anaïs Mariotti
TIERNO MONENEMBO EN QUELQUES DATES
1979 : Les crapauds-brousse , Le Seuil
1986 : Les écailles du ciel, Le Seuil – Grand prix littéraire d’Afrique noire
1991 : Un rêve utile - Le Seuil
1993 : Un attiéké pour Elgass – Le Seuil
1995 : Pelourinho, Le Seuil
1997 : Cinéma, Le Seuil
2000 : L’Aîné des orphelins, Le Seuil – Prix Tropiques
2004 : Peuls, Le Seuil
2006 : La Tribu des gonzesses (théâtre), éditions Cauris
2008 : Le Roi du Kahel, Le Seuil – Prix Renaudot
2012 : Le Terroriste noir, Le Seuil – Prix Ahmadou-Kourouma – Grand prix Palatine – Grand prix du roman métis
2015 : Les coqs cubains chantent à minuit, Le Seuil
2016 : Bled, Le Seuil