Tout le monde est électrosensible

Tout le monde est électrosensible

INTERVIEW – Alors que les antennes-relais font débat dans l’ag­glo­mé­ra­tion, Pierre Le Ruz, pré­sident du centre de recherche et d’in­for­ma­tion indé­pen­dant sur les rayon­ne­ments élec­tro­ma­gné­tiques non ioni­sants (CRIIREM) revient sur les risques liés aux ondes. Car la ques­tion ne se pose pas qu’en terme de santé publique avec les élec­tro­sen­sibles. Pour ce doc­teur en phy­sio­lo­gie ani­male, expert euro­péen en nui­sances élec­tro­ma­gné­tiques et en radio-pro­tec­tion, il en va aussi de la sécu­rité et de la com­pa­ti­bi­lité des équi­pe­ments électromagnétiques.
Pierre Le Ruz, président du Criirem. DR

Pierre Le Ruz, pré­sident du Criirem. DR

Que sait-on réel­le­ment des effets de ces ondes ?

Il y a deux effets recon­nus et non contes­tés : les effets ther­miques qui se tra­duisent par des cata­ractes, des impacts sur l’au­di­tion et des brû­lures per­cu­ta­nées (ndlr : qui passent à tra­vers la peau). Il faut pour cela se trou­ver proche de la source émet­trice, à 10 ou 15 cm. Et puis, il y a les effets ather­miques. On a constaté que les cel­lules, expo­sées à un rayon­ne­ment en labo­ra­toire, ren­traient dans un état d’a­pop­tose : elles s’autodétruisent.
De même, d’or­di­naire, les cel­lules pha­go­cytent les déchets. Là, il n’y a plus de pha­go­cy­tose. Et puis, ces cel­lules, agres­sées, envoient des pro­téines de stress. D’un point de vue épi­dé­mio­lo­gique, ce sont trois signaux indis­cu­tables qui se tra­duisent par des risques de leu­cé­mies, de lym­phomes (can­cers du sys­tème lym­pha­tique) et de gliomes (tumeurs cérébrales).
Les mili­taires étu­dient la ques­tion depuis les années soixante, suite à l’é­mer­gence de la tech­no­lo­gie des radars. Eux parlent du syn­drome des micro-ondes, un syn­drome neuro-endo­crino-immu­ni­taire qui se tra­duit par des troubles du com­por­te­ment, de l’a­gres­si­vité et des pro­blèmes de mémoire. Le com­por­te­ment géné­ral est affecté. Il y a une per­tur­ba­tion hor­mo­nale et une réac­tion immu­ni­taire. Des maux que l’on retrouve chez ceux que l’on appelle désor­mais les électrosensibles…
Pour certains électrohypersensibles, la vie est un enfer. © Next-up

Pour les élec­tro­hy­per­sen­sibles, la vie en société est un enfer. © Next-up

Qui sont ces électrosensibles ?
Tout le monde est élec­tro­sen­sible. Nous avons des cel­lules qui com­portent de la fer­rite. C’est comme un petit aimant. Ces cel­lules sen­si­tives captent des champs magné­tiques et envoient le mes­sage à l’hy­po­tha­la­mus dans le cer­veau, lequel classe d’or­di­naire l’in­for­ma­tion. Mais lorsque ces champs magné­tiques deviennent de plus en plus agres­sifs, l’hy­po­tha­la­mus libère des hor­mones. C’est une réac­tion de stress clas­sique, comme celle que l’on observe en cas de peur ou de brû­lure. Là, il s’a­git de stress électromagnétique.
Après, on s’a­dapte ou pas. Les per­sonnes atteintes d’élec­tro­hy­per­sen­si­bi­lité sont très étu­diées en ce moment par l’Organisation mon­diale de la santé (OMS) qui a d’ailleurs classé cette hyper­sen­si­bi­lité en han­di­cap. En France, le gou­ver­ne­ment a éga­le­ment reconnu que leur cas ne rele­vait pas de la psy­chia­trie et qu’il y avait un suivi à faire. On progresse…
Certains électrohypersensibles sont obligés de se couvrir d'un voile contre les ondes électromagnétiques. © Next-up

Les élec­tro­hy­per­sen­sibles doivent par­fois se cou­vrir d’un voile contre les ondes élec­tro­ma­gné­tiques.
© Next-up

Le lien avec la sur­ve­nue de can­cers est-il prouvé ?
L’OMS a reconnu qu’on avait affaire à un agent can­cé­ri­gène 2 B, soit « peut-être can­cé­ri­gène pour l’homme ». Pour la santé, tout est ver­rouillé. Le prin­cipe de pré­cau­tion s’ap­plique seule­ment à l’en­vi­ron­ne­ment, pas à la santé. Avec l’ar­ri­vée de la 4 G, ces champs élec­tro­ma­gné­tiques sont de plus en plus impor­tants. Arrivera-t-on à une satu­ra­tion ? Certainement.
Par ailleurs, tout le monde parle de santé, beau­coup moins de sécu­rité. Or on constate de nom­breux dys­fonc­tion­ne­ments avec le maté­riel élec­trique. On sait, par exemple, qu’il ne faut pas uti­li­ser un por­table dans une voi­ture sans antenne exté­rieure, sous peine de ris­quer des dys­fonc­tion­ne­ments du régu­la­teur de vitesse. Cette com­pa­ti­bi­lité élec­tro-magné­tique est enca­drée par des lois, avec une direc­tive de 2004, des normes NF 61000, puis un décret en 2006 conso­lidé le 17 jan­vier 2013.
Ainsi, en matière de puis­sance émise, on ne doit pas dépas­ser 3 volts/mètre (V/m) dans la petite indus­trie et 10 V/m dans la grande indus­trie. Il y a des péri­mètres de sécu­rité, une signa­lé­tique avec des pic­to­grammes à res­pec­ter. Bref, il y a une régle­men­ta­tion. Après, elle est appli­quée… ou pas.
Y a‑t-il eu des pré­cé­dents en matière de sécurité ?

© Sigel

Oui, notam­ment avec des régu­la­teurs de vitesse, mais aussi dans les avions. Si l’on inter­dit de télé­pho­ner au décol­lage comme à l’at­ter­ris­sage, c’est qu’il y a eu des inci­dents. Il y a aussi les zones inter­dites aux antennes relais, comme les zones à atmo­sphère explo­sive (ATEX). Ce sont, par exemple, les sta­tions essence qui concentrent cha­leur, faible taux d’hu­mi­dité, éva­po­ra­tion d’es­sence. La voi­ture arrive avec une charge élec­trique impor­tante. Si vous télé­pho­nez, cela peut géné­rer une explosion !
Dans les clo­chers d’é­glise, zone ATEX éga­le­ment, on a des risques d’in­cen­die liés à la cha­leur et à la pous­sière. Il suf­fit d’une étin­celle… Les assu­rances refusent de prendre en charge les risques liés aux ondes élec­tro­ma­gné­tiques. Or der­niè­re­ment, une dame qui por­tait un pace­ma­ker a été prise de malaises à proxi­mité d’un site indus­triel qui déga­geait un champ magnétique.
Que dit la réglementation ?
En France, en matière de pro­tec­tion de la santé des per­sonnes, un décret de 2002 fixe les normes entre 41 et 61 V/m, le code des Postes et com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques parle de 3 V/m, le Parlement du Conseil de l’Europe pré­co­nise, lui, 0,6 V/m… Et, en 2009, l’Agence fran­çaise de sécu­rité sani­taire de l’en­vi­ron­ne­ment et du tra­vail (Afsset) consi­dé­rait qu’un lieu au-des­sus de 6 V/m était aty­pique et qu’il fal­lait prendre les mesures nécessaires…
Le Comop* a mis en évi­dence que les opé­ra­teurs pou­vaient bais­ser la puis­sance des antennes-relais. Techniquement, c’est fai­sable. Après, tout est ques­tion de volonté politique.
EHS devant une antenne-relais.

© Next-up

Pouvez-vous reve­nir sur l’ex­pé­rience d’Echirolles ?
A Échirolles, le Criirem a tra­vaillé sur une car­to­gra­phie des ondes. Pour la mai­rie, il s’a­git aussi de savoir où il est pos­sible d’ins­tal­ler de nou­velles antennes, avec l’ar­ri­vée de la 4G, pour qu’il y ait le moins de pro­blèmes pos­sibles. Il s’a­git de conci­lier la tech­no­lo­gie avec la santé publique car on n’est pas prêt à se pas­ser du télé­phone por­table… Ces docu­ments tech­niques leur per­mettent de mieux dis­cu­ter avec les opé­ra­teurs, alors qu’une simple charte n’ap­porte pas grand-chose. Et puis, il faut aussi réa­li­ser un tra­vail de contrôle. Dans des villes comme Lyon ou Grenoble, il n’y a par exemple aucune main­te­nance dans les péri­mètres de sécu­rité parce que cela coûte trop cher ! Un jour, il y aura un accident…
Propos recueillis par Patricia Cerinsek
* Le Comop, Comité opé­ra­tion­nel mis en place par le gou­ver­ne­ment à la suite du Grenelle des ondes, est pré­sidé par le député de l’Isère François Brottes. Le comité est chargé d’ex­pé­ri­men­ter la baisse du niveau d’é­mis­sion des antennes-relais et de nou­velles moda­li­tés de concer­ta­tions. Grenoble fait, à ce titre, par­tie des villes pilotes.
Zone refuge dans la Drôme pour les personnes souffrant d'EHS. © Next-up

Zone refuge dans la Drôme pour les per­sonnes souf­frant d’EHS. © Next-up

Plan régio­nal Santé Environnement
Le deuxième Plan régio­nal Santé Environnement Rhône-Alpes a pour objec­tif de mettre en œuvre 31 actions d’ici fin 2014 afin de réduire, en Rhône-Alpes, les expo­si­tions envi­ron­ne­men­tales res­pon­sables de patho­lo­gies. L’exposition aux champs élec­tro-magné­tiques en fait par­tie. Elle passe par l’é­la­bo­ra­tion d’une car­to­gra­phie de l’ex­po­si­tion aux ondes, grâce au tra­vail de repé­rage des antennes et aux mesures effec­tuées par le Criirem. Un tra­vail qui a déjà com­mencé à Valence. « On essaie de limi­ter un cer­tain nombre de zones, explique Pierre Le Ruz. On ne peut pas garan­tir 0,6 V/m (ndlr : consi­déré par les asso­cia­tions comme le prin­cipe de pré­cau­tion à appli­quer) par­tout. Il y aura des zones moins habi­tées, où la puis­sance émise sera plus éle­vée. L’objectif est d’a­voir un maxi­mum de cou­ver­ture avec un mini­mum de puissance ».

Patricia Cerinsek

Auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

A lire aussi sur Place Gre'net

Le PCF André Chassaigne et le RN Jordan Bardella s'invitent à la Foire de printemps de Beaucroissant 2024
Beaucroissant : Marc Fesneau, le PCF André Chassaigne et le RN Jordan Bardella s’in­vitent à la Foire de prin­temps 2024

FLASH INFO - La Foire de printemps de Beaucroissant est de retour pour sa 53e édition, les samedi 20 et dimanche 21 avril 2024. Version Lire plus

M’Hamed Benharouga, Nathalie Levrat, Michel Vendra et Antoine Aufragne (Just). © Florent Mathieu - Place Gre'net
La Ville de Sassenage s’al­lie à Just pour mettre en place une mutuelle communale

FOCUS - La Ville de Sassenage a signé une convention avec la mutuelle Just pour la mise en place d'une mutuelle communale, afin de permettre Lire plus

Grenoble en sixième position des villes "où il fait bon vivre avec son chien", selon 30 millions d'amis
Grenoble, sixième ville « où il fait bon vivre avec son chien », selon 30 mil­lions d’amis

FLASH INFO - La Ville de Grenoble arrive 6e parmi les villes de plus de 100 000 habitants "où il fait bon vivre avec son chien". Créé Lire plus

La Métropole alerte sur les risques du protoxyde d'azote, de plus en plus populaire chez les jeunes
La Métropole alerte sur les risques du pro­toxyde d’a­zote, de plus en plus popu­laire chez les jeunes

FLASH INFO - Christophe Ferrari, président de la Métropole de Grenoble, et Pierre Bejjaji, conseiller métropolitain délégué à la Prévention spécialisée, se sont rendus au Lire plus

Le Smmag inaugure le lancement du service M Vélo + sur le Pays Voironnais avec une première agence à Voiron
Le Smmag lance le ser­vice M Vélo + sur le Pays voi­ron­nais avec une pre­mière agence à Voiron

FLASH INFO - Une cérémonie en grandes pompes a été organisée à Voiron pour inaugurer le déploiement du service M Vélo + sur le Pays Lire plus

La biblio­thèque Saint-Bruno fer­mée jus­qu’en novembre 2024 pour des tra­vaux de « réno­va­tion complète »

FLASH INFO - La Ville de Grenoble annonce des travaux pour la rénovation complète de la bibliothèque Saint-Bruno, dans le cadre de son programme Bienvenue Lire plus

Flash Info

Les plus lus

Agenda

Je partage !