DECRYPTAGE – Les festivals n’ont pas fini de faire parler d’eux en Isère. Après l’annulation de Rocktambule, l’association Hadra a annoncé la semaine dernière qu’elle faisait face à de sérieuses difficultés financières. Et cette semaine, c’est Retour de scène et Dynamusic qui fusionnent leurs structures. Les festivals musicaux, grands évènements populaires, sont en proie au doute quant à leur avenir dans le paysage culturel isérois. Tour d’horizon et perspectives.
A qui la faute ? La question est présente dans la tête de tous ceux qui attendaient avec impatience le festival Rocktambule. D’abord frustrés à l’annonce faite fin septembre du désistement du Wu Tang Clan, pour lequel la plupart avaient payé leur place, les festivaliers ont en effet appris, une semaine après, l’annulation totale de l’évènement. Grégory Signoret, directeur du festival, explique le phénomène : “Malheureusement aujourd’hui, c’est la tête d’affiche qui fait vendre les places’’. L’arrivée de groupes moins connus n’aura donc pas suffi à sauver le festival qui appuie ses finances à 90 % sur sa billetterie. “En temps normal, nous nous finançons à 70% par le biais de la billetterie, mais avec la baisse des subventions et l’absence totale de soutien des sociétés civiles, il a fallu revoir nos objectifs de vente à la hausse” explique Grégory Signoret. Le coût d’organisation du festival, délocalisé depuis l’année dernière dans les friches industrielles de Pont-de-Claix, a aussi été un facteur clé de l’annulation. Pour l’association Hadra, la problématique est la même : 150 000 € manquent aujourd’hui à l’appel. “Les recettes de billetterie représentent 80% du financement du festival’’ précise Nicolas Forgeron, salarié de l’association. “Avec 1500 réservations en moins cette année, le choc est dur à tenir”. D’autant que la liste des dépenses de l’Hadra Trance Festival s’est alourdie, la préfecture demandant un encadrement plus rigoureux pour l’évènement. Nicolas Forgeron expose le problème : “La validation du rassemblement ne se faisait qu’à condition d’augmenter les personnels de sécurité et de secourisme. Les mauvais souvenirs météorologiques de l’an dernier ont aussi amené le préfet à demander plus d’espaces couverts sur le site. Tout cela coûte beaucoup d’argent.” Un budget artistique en hausse Cependant, les coûts d’organisation ne se limitent pas à l’aspect technique. Pour beaucoup, le budget artistique s’élève à près de la moitié des dépenses totales. Jo Picollo, administratrice du festival Jazz à Vienne qui se déroule tous les étés, le confie : “Aujourd’hui, les cachets d’artistes représentent 43% des dépenses du festival. Il y a eu une augmentation vertigineuse du prix des représentations”. Selon elle, c’est la crise de l’industrie du disque qui pousse les artistes à hausser significativement leurs honoraires. Grégory Signoret de Rocktambule va plus loin : “Aujourd’hui, nous sommes presque en procès avec le Wu Tang ! Nous attendons toujours qu’ils nous remboursent ce que nous leur avions versé pour cette prestation qui n’a jamais eu lieu.” Certains s’adaptent cependant aux finances compliquées des festivals qu’ils animent. A l’image de Bernard Ferrari, l’un des organisateurs de la Fête du travailleur alpin. Celui-ci se félicite : “Si nous avons pu nous en sortir après l’annulation de la Fête, fin juin, ce n’est que parce que les Ogres de Barback ont accepté un arrangement”. De fait, le groupe a accepté de revenir en Isère pour le 30 octobre. Bernard Ferrari se dit ainsi optimiste : “le déficit devrait se résorber à ce moment-là.” Peu de portes de sorties Pour d’autres, l’avenir est moins radieux. Le Pôle musical d’innovation, association qui organise le festival Rocktambule, accuse aujourd’hui un déficit de 30 000 €. Plusieurs idées ont été proposées mais les organisateurs restent préoccupés. Et Grégory Signoret ne cache pas le caractère d’urgence de la situation : “Le 31 décembre, on a un exercice comptable. Si nous sommes encore en déficit, alors l’association devra mettre la clé sous la porte”. Pour éviter une telle issue, un concert de soutien est en préparation. Avec l’espoir de récolter des fonds et d’aborder plus sereinement la 20ème édition du festival Rocktambule. Autre solution envisagée par les acteurs : unir leurs forces. Retour de scène et Dynamusic, deux associations très actives toute l’année pour soutenir la scène grenobloise, ont ainsi décidé de fusionner. Un moyen “de maintenir l’ensemble des activités de chacune”, expliquent-elles dans un communiqué de presse commun en date du 17 octobre. Et celles-ci de préciser qu’elles perçoivent leur fusion comme un moyen d’améliorer leur efficacité “auprès d’un public qui ne fait que subir les conséquences d’un contexte économique tendu.” C’est cette nouvelle structure qui va ainsi organiser le festival Magic Bus en 2014, jusque-là en charge de Dynamusic. De son côté, l’association Hadra assure rester confiante vis-à-vis de l’avenir. Une confiance que Nicolas Forgeron explique par la spécificité de la musique proposée par le festival. “L’avantage qu’on a par rapport à Rocktambule, c’est qu’on propose vraiment une musique de niche, avec une communauté très resserrée mais très engagée. Notre réputation dans ce milieu est internationale”. C’est sur cette communauté qu’Hadra mise pour une récolte de dons et d’autres moyens plus indirects. “Les dons ne pourront pas combler le trou de 150 000 € dans nos comptes” reconnaît Nicolas Forgeron. “Mais nous allons aussi mettre à disposition des lettres types que nos sympathisants pourront envoyer aux administrations pour les encourager à nous subventionner”. “Envie de faire confiance aux politiques”C’est ainsi sur les fonds publics que mise l’ensemble des organisateurs de festivals pour sortir du marasme. Bien que la totalité des administrateurs ait confié que la majorité de leurs recettes provenait de la billetterie, les subventions des collectivités territoriales leur paraissent aujourd’hui inévitables pour la survie des festivals en Isère. Grégory Signoret est lucide sur la situation : “Aujourd’hui, sans le soutien des collectivités territoriales, nous n’y arriverons pas. On a envie de faire confiance aux politiques mais la culture n’est pas forcément le champ d’action à la mode en ce moment…”. Interrogée sur le sujet, Eliane Baracetti, adjointe à la culture de la ville de Grenoble, envisage pour sa part une réunion des différents organismes de financement, “pour comprendre quel est le problème avec Rocktambule et Hadra et essayer d’y apporter la réponse la plus adaptée”. Quant à Michel Destot, maire de Grenoble, il se serait montré vivement agacé par l’annulation récente de Rocktambule, la ville ayant déjà contribué au financement de cette 19ème édition. Le Conseil général et le Conseil régional, joints par téléphone, n’ont eux pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Du côté de Rocktambule, l’heure est désormais au volontarisme. “On va tout faire pour fêter les 20 ans du festival” assure Grégory Signoret. Valentin Aigrault