FOCUS – Trente ans après Tchernobyl, la France n’en a pas fini avec les retombées radioactives. Des analyses menées par la Criirad sur des champignons cueillis et récoltés en Rhône-Alpes montrent une contamination encore élevée. Ce qui ne les empêche pas d’être consommés. Car la réglementation qui, au vu des niveaux relevés, aurait refoulé un champignon japonais, épargne les spécimens français… Et le pire est peut-être à venir.
Trente ans après Tchernobyl, où en est-on de la radioactivité dans la région ? Pour tenter de la mesurer, rien de mieux que les champignons.
De véritables éponges à polluants, métaux lourds et césium en tête, qui constituent autant de bio-indicateurs pour évaluer la pollution radio-active ou chimique.
Après une première campagne menée sur neuf cents échantillons au lendemain de l’explosion du réacteur ukrainien, entre 1987 et 1997, la commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) s’est replongée à l’automne 2015 dans l’analyse de quelques spécimens récoltés dans la nature ou sur les marchés de Rhône-Alpes. Trente-huit exactement, venant d’Isère, d’Ardèche, de la Drôme, de la Loire et de Haute-Savoie.
Les césium 137 est toujours là…
Certes, le panier ne pèse pas bien lourd… Difficile de mettre les deux campagnes en parallèle quand, outre les quantités, les lieux de cueillette diffèrent, sans parler des modifications qui ont pu impacter les écosystèmes en vingt ans. N’empêche. Le césium 137, qui provient des retombées de Tchernobyl mais aussi des essais nucléaires militaires, et dont la radioactivité diminue de moitié tous les trente ans, est toujours là. Il a même été détecté dans 95 % des cas.
Les champignons sont certes moins contaminés que dans les premières années qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl… mais le problème est-il vraiment là ?
Où commence et où s’arrête la radioactivité ? Faut-il y voir une variante du nuage de Tchernobyl stoppé net aux frontières de l’Hexagone ? Car, s’ils étaient importés du Japon, les champignons français dépasseraient tout simplement les normes…
“La réglementation relative à la contamination des aliments par le césium radioactif est complexe, pour ne pas dire kafkaïenne”, souligne la Criirad. De fait, la France n’a jamais instauré de limite à la contamination sur ses aliments produits sur le territoire national, que cette contamination provienne de Tchernobyl ou des essais nucléaires atmosphériques.
« Si les champignons étaient cueillis sur le sol japonais et contaminés par les retombées de Fukushima, les deux présentant les teneurs en césium 137 les plus élevées ne pourraient pas être consommés en France car ils ne respecteraient pas la limite sanitaire fixée à 100 Bq/kg frais depuis avril 2012”, explique la Criirad.
Une réglementation à géométrie et géographie variables
Cette limite de 100 becquerels, c’est celle que le Japon, depuis Fukushima, applique à ses produits, champignons en tête, pour décider s’ils sont consommables. Bruxelles en a fait sienne aussi. « De crainte que le marché européen devienne le marché d’écoulement des produits du Japon, l’Europe s’est alignée“, souligne Julien Syren, ingénieur chargé d’études à la Criirad.
Sage précaution ? Reste que la réglementation est à géométrie et géographie variables. Ainsi, les champignons de Tchernobyl, et plus largement ceux des pays de l’Est, doivent eux respecter la limite de 600 becquerels/kg frais, une valeur inchangée depuis trente ans. Qu’est-ce qui justifie une telle différence ? Pas grand-chose pour la Criirad.
« Il y a eu plus de rejets à Tchernobyl, mais ce sont plus ou moins les mêmes ordres de grandeur ». Des seuils considérés comme trop restrictifs en Europe. Du coup, Bruxelles a décidé de nouvelles normes. Et rehaussé les valeurs.
Ainsi, depuis janvier 2016, le niveau maximal de césium 137 admis dans les champignons mais également la viande, les légumes, les céréales ou les salades, si un nouvel accident nucléaire survient en France ou dans un pays de l’Union européenne, est de 1 250 Becquerels/kg frais.
Des valeurs limite, construites à partir d’un rapport « truffé d’erreurs » qui exposent les populations « à des niveaux inacceptables », accuse la Criirad, qui a bataillé dur pour bloquer le projet de règlement européen. Sans succès. Et alors que les études, officielles et moins officielles, divergent quant aux risques pour la santé humaine, la Criirad reste prudente : « le risque réel pourrait être plus élevé que celui estimé à partir des facteurs officiels ».
La France a retenu les mesures les moins protectrices
Y a‑t-il une limite à ne pas dépasser alors ? Pour l’association, manger 3 à 8 kg de champignons frais entraînerait pour l’adulte une « exposition non négligeable (supérieure à 10 Sv) ». La fourchette de champignons à ingurgiter, quasiment du simple au triple, n’étant pas négligeable non plus, on laissera au consommateur le soin d’apprécier…
Et de se poser d’autres questions. Car après les niveaux admissibles de contamination radioactive dans les aliments en cas d’accident nucléaire, une directive européenne, la directive Euratom 2013 – 59, qui doit être transcrite en droit français, fait le ménage dans les critères, jugés là aussi trop restrictifs, de gestion des zones contaminées. Pour laisser une certaine souplesse aux États membres. « La France a retenu les mesures les moins protectrices de recommandation en cas d’accident nucléaire », poursuit Julien Syren. « Comme si on devait se préparer au pire… »
Patricia Cerinsek
LA CRIIRAD APPELLE AUX DONS APRÈS LE DÉSENGAGEMENT BRUTAL DE LA RÉGION
Il manque 100 000 euros à la Criirad pour boucler son budget. D’où son appel à soutien exceptionnel en direction de ceux qui suivent et apprécient ses actions. C’est en août que la Région Auvergne – Rhône-Alpes a notifié à l’association sa décision de ne plus lui verser un seul centime. Une annonce brutale, sans préavis, huit mois après le début de l’exercice budgétaire.
Finie la convention tri-annuelle qui, jusque-là, régissait les relations entre la collectivité et l’association drômoise créée au lendemain de Tchernobyl. Le dossier avait même disparu des tablettes de la Région durant l’été 2016. Avant qu’en août, le Conseil régional ne décide, sans crier gare, de faire l’économie des 190 000 euros qui devaient être attribués…
Pourquoi ? La couleur politique de l’une de ses fondatrices, l’écologiste Michèle Rivasi, y est-elle pour quelque chose ? Difficile de ne pas y voir un règlement de compte politique… “Notre mission est de mener des études et d’informer la population en matière de radioactivité, et ce sur la seule base de faits scientifiques”, appuie le directeur de la Criirad Yves Girardot.
La Région ne finance plus la surveillance de la radioactivité dans l’air
La Criirad vient compléter la liste (de plus en plus longue) des associations étranglées financièrement depuis l’arrivée de la nouvelle majorité (LR) à la tête de la Région. Toutes celles œuvrant dans le domaine de la défense de l’environnement sont touchées. La Région ne financera donc plus le réseau de surveillance de la radioactivité dans l’air et notamment les deux balises en Isère, à Péage-de-Roussilllon, non loin de la centrale nucléaire et à Échirolles. Alors que les voyants sont à l’orange, l’Autorité de sûreté nucléaire estimant que « la situation du nucléaire en France est très préoccupante », la Criirad s’inquiète de ce désengagement.
La Région ne financera plus les projets d’études, pas plus qu’elle n’aidera la Criirad à investir. Elle n’est pas la seule à avoir taillé dans ses budgets. D’autres collectivités ont dû aussi réviser le montant des aides. Mais l’ampleur des coupes, et la méthode, lui sont propres. “Malgré nos demandes, nous n’avons jamais pu obtenir de rendez-vous, poursuit Yves Girardot. On a été mis devant le fait accompli. Quelle est la politique de la Région en matière de santé, de protection des populations, de qualité de l’air ?”, interroge-t-il.