Bertrand Cantat en concert à Grenoble : Éric Piolle sommé de se positionner

Bertrand Cantat en concert à Grenoble : Éric Piolle sommé de se positionner

FOCUS – La venue à Grenoble de Bertrand Cantat pour deux concerts, les 13 et 14 mars, à la Belle élec­trique sus­cite la polé­mique. Tandis qu’une péti­tion réclame l’in­ter­dic­tion des deux spec­tacles, le débat se déplace sur le ter­rain poli­tique et l’op­po­si­tion demande au maire de Grenoble Éric Piolle de se posi­tion­ner clai­re­ment sur la question.

Ce sont des concerts qui font du bruit avant même d’a­voir com­mencé. La venue à Grenoble de Bertrand Cantat, condamné en 2004 pour le meurtre de Marie Trintignant, ne passe pas du tout inaper­çue et sus­cite la polé­mique dans la classe poli­tique comme asso­cia­tive. Les deux concerts doivent se tenir à la Belle élec­trique les mardi 13 et mer­credi 14 mars.

visuel de concert de Bertrand Cantat.

Visuel de concert de Bertrand Cantat.

Sous le nom de « Féministes gre­no­bloises », des mili­tantes ont ainsi lancé une péti­tion deman­dant au maire de Grenoble Éric Piolle de faire inter­dire les concerts. « Nous dénon­çons le choix de pro­gram­mer Bertrand Cantat et ainsi de par­ti­ci­per à la pro­mo­tion de cet artiste, et par là même, de valo­ri­ser un homme connu pour ses actes de vio­lence envers les femmes », clame le texte.

Pour autant, la péti­tion ne ren­contre pas un franc suc­cès : mise en ligne depuis deux semaines, elle avait recueilli, le lundi 5 mars en fin de mati­née, moins de 200 signa­tures. La faute à une dif­fu­sion encore trop confi­den­tielle ? Une péti­tion simi­laire deman­dant l’an­nu­la­tion d’un concert de Bertrand Cantat dans le cadre du fes­ti­val Papillons de nuit (Manche) frôle les… 70 000 signataires.

Des asso­cia­tions divisées ?

Manifestation contre les violences conjugales d'Osez le féminisme 38 © Osez le féminisme 38

Manifestation contre les vio­lences conju­gales d’Osez le fémi­nisme 38 © Osez le fémi­nisme 38

La ques­tion Cantat divise. Ainsi, la Plateforme des droits des femmes de l’Isère, col­lec­tif regrou­pant plu­sieurs asso­cia­tions ou for­ma­tions poli­tiques, n’a pu se mettre d’ac­cord sur une posi­tion offi­cielle. « Nous avons eu des débats assez com­pli­qués, parce que nous sommes tra­ver­sés par les mêmes débats que la société : est-ce qu’il a purgé sa peine ? Est-ce que l’on est pour la liberté artis­tique ? », nous confie Alice, membre de la Plateforme.

Faute de posi­tion una­nime, c’est à titre indi­vi­duel que des représentant(e)s de la Plateforme ont signé la péti­tion. Ce n’est pas le cas de l’as­so­cia­tion Osez le fémi­nisme 38, qui appelle clai­re­ment à y appo­ser son paraphe.

Un ras­sem­ble­ment est censé se tenir le 13 mars devant la Belle élec­trique, à l’oc­ca­sion du pre­mier concert du chan­teur. Là encore, faute d’être por­tée par une orga­ni­sa­tion défi­nie, la pro­mo­tion de ce mou­ve­ment reste encore confi­den­tielle. Contacté par Place Gre’net, Osez le fémi­nisme 38 pré­cise par ailleurs qu’elle ne sera pas pré­sente à ce ras­sem­ble­ment. « Nous consi­dé­rons que cela risque de créer de fortes ten­sions », expliquent les militantes.

Éric Piolle refuse de prendre position

Sur le ter­rain poli­tique, la tenue de ces concerts pose aussi ques­tion. Annoncée depuis déjà plu­sieurs semaines, la tenue de ces concerts avait déjà fait débat lors du conseil muni­ci­pal de Grenoble du 5 février. « La pro­gram­ma­tion de ce concert entache les valeurs de notre ville », n’a­vait pas hésité à lan­cer le conseiller muni­ci­pal Patrice Voir, avant de deman­der à Éric Piolle de s’ex­pri­mer sur la question.

Corinne Bernard, adjointe à la Culture © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'net

Corinne Bernard, adjointe à la Culture © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net

Côté majo­rité muni­ci­pale, la gêne est pal­pable. Car la Belle élec­trique n’est pas une salle de spec­tacles comme les autres : l’as­so­cia­tion Mixlab, ges­tion­naire du site, est en contrat de délé­ga­tion de ser­vice public avec la Ville de Grenoble. Et per­çoit à ce titre une com­pen­sa­tion de ser­vice public, soit une sub­ven­tion muni­ci­pale en échange de mis­sions pré­vues dans le contrat.

Pour autant, l’ad­jointe gre­no­bloise à la Culture Corinne Bernard se décharge de toute res­pon­sa­bi­lité. « La pro­gram­ma­tion est un acte libre des direc­teurs artis­tiques », rappelle-t-elle.

À ses yeux, les pro­tes­ta­tions doivent donc s’a­dres­ser à l’é­quipe de la Belle élec­trique*… et sur­tout pas la municipalité.

Pressé par Patrice Voir de prendre posi­tion, Éric Piolle s’y refuse pure­ment et sim­ple­ment. « Je ne vais pas prendre posi­tion sur la liberté artis­tique des salles qui ont une ligne et qui font ces choix », a‑t-il ainsi déclaré. Avant de céder la parole à Emmanuel Carroz, adjoint à l’Égalité des droits, qui a mis en avant l’en­ga­ge­ment de la Ville de Grenoble contre les vio­lences faites aux femmes.

L’opposition relance la polémique

De quoi faire taire la polé­mique ? Pas vrai­ment, puisque Matthieu Chamussy a ral­lumé le feu dans une lettre ouverte, adres­sée au maire de Grenoble le ven­dredi 2 mars. Pour le conseiller muni­ci­pal d’op­po­si­tion, se « retran­cher der­rière la liberté d’ex­pres­sion, de créa­tion et de pro­gram­ma­tion » est tout bon­ne­ment « hypo­crite ».

Matthieu Chamussy © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'net

Matthieu Chamussy © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net

« Se laver les mains de ce concert, c’est en réa­lité se les salir », écrit encore Matthieu Chamussy avec un cer­tain sens de la for­mule. Pour lui, la dis­tinc­tion entre l’œuvre et l’ar­tiste ne tient pas la route car, per­sifle-t-il, « l’ar­tiste compte bien empo­cher la recette du spec­tacle ». L’opposant à la muni­ci­pa­lité écrit attendre « le mini­mum syn­di­cal » de la part d’Éric Piolle. Autrement dit, l’ex­pres­sion de sa « pro­fonde désap­pro­ba­tion ».

C’est déjà trop pour Emmanuel Carroz. Dans les colonnes du Dauphiné libéré, l’élu prend à nou­veau la parole, quitte à don­ner l’im­pres­sion de noyer le pois­son. « N’oublions pas Marie Trintignant dans ces débats, n’ou­blions pas qu’une femme est morte sous les coups d’un homme », déclare-t-il ainsi. Quand bien même la mort de l’ac­trice sous les coups de Bertrand Cantat est très pré­ci­sé­ment à l’o­ri­gine de la polémique.

Une « figure emblé­ma­tique de la gauche » qui embarrasse ? 

Si Emmanuel Carroz explique qu’à « titre per­son­nel » il n’ira pas au concert de Bertrand Cantat, il n’en appelle pas moins à « voir plus loin » puisque « les concerts auront sans doute lieu ». En sep­tembre 2017, Éric Piolle avait fait preuve de plus de téna­cité face à Dieudonné : au nom d’une « incom­pa­ti­bi­lité » de valeurs et du « res­pect de l’ordre public », le maire de Grenoble avait tenté, sans suc­cès, de faire inter­dire le spec­tacle de l’hu­mo­riste pro­grammé au Summum.

La Belle Électrique © Chloé Ponset - Place Gre'net

La Belle élec­trique © Chloé Ponset – Place Gre’net

« Bertrand Cantat a été une figure cultu­relle emblé­ma­tique de la gauche fran­çaise. C’est sans doute une des rai­sons qui explique pour­quoi la plu­part des orga­ni­sa­tions de gauche ne prennent pas clai­re­ment posi­tion pour dénon­cer les vio­lences qu’il a exer­cées contre des femmes, jusqu’à la mort », écrivent de leur côté les auteures de la péti­tion. Quoi qu’il en soit, le public du chan­teur est tou­jours pré­sent : le concert du 14 mars affiche déjà complet.

Florent Mathieu

  • * La direc­tion de La Belle élec­trique n’a­vait pas donné suite à nos demandes de réac­tions, lors de la publi­ca­tion de l’article.

Florent Mathieu

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