ENTRETIEN – Le public la plébiscite. La critique la couvre de louanges. La pièce 30/40 Livingstone, écrite, mise en scène et interprétée par Sergi López et Jorge Picó, multiplie les dates de tournée en France comme en Espagne. Ce spectacle drolatique aux allures de conte philosophique est programmé vendredi 25 mars au Théâtre Jean Marais de Saint-Fons (Rhône)*. Un homme survolté y poursuit une créature chimérique mi-homme, mi-cerf… Explications de Sergi López.
En 2001, il a obtenu le César du meilleur acteur pour son rôle dans « Harry, un ami qui vous veut du bien ». Depuis, le cinéma a offert de si beaux rôles à Sergi López que sa carrière théâtrale en a été quelque peu éclipsée. En réalité, le comédien catalan a débuté sur les planches et ne les a jamais quittées.
Avec « 30/40 Livingstone », programmée au Théâtre Jean Marais de Saint-Fons le 25 mars, il démontre que sa place est, aussi, au théâtre. Et il est d’autant plus heureux de défendre la pièce qu’il n’y est pas seulement interprète. Il aime le rappeler. C’est le projet dans sa globalité qu’il assume ! De fait, il a aussi écrit et mis en scène la pièce, en collaboration avec son camarade Jorge Picó, avec qui il partage également le plateau.
En Espagne, comment se sont passés vos débuts sur les planches ?
Au départ, alors que j’étais encore mineur, je faisais du théâtre en amateur. C’était ça l’école de théâtre en Catalogne ! Il y avait très peu d’écoles de théâtre officielles quand j’étais jeune.
Ensuite, quand j’ai décidé de faire du théâtre mon métier, je suis allé à Barcelone dans une école d’interprétation et j’ai aussi suivi un cours d’acrobatie.
D’où votre jeu physique ?
Cette envie de bouger me vient peut-être de là. Mais ça me vient surtout de mon passage par l’école du maître Jacques Lecoq. C’est elle la véritable formation de théâtre que j’ai suivie, plus tard, quand je suis allé à Paris. Cette école nous enseigne une méthode où l’on accède au théâtre via le mouvement.
On apprend à écrire directement sur scène, dans l’espace. C’est pour ça qu’avec Jorge Picó [qui signe, avec Sergi López, l’écriture et la mise en scène de la pièce 30/40 Livingstone, ndlr], qui a suivi le même enseignement, on partage cette vision d’un théâtre qui bouge beaucoup.
Au cinéma, vous avez débuté en France avec le réalisateur Manuel Poirier dans le long métrage La Petite Amie d’Antonio, sorti en 1992, et dans le film Western qui a remporté un vif succès en 1997. Comment s’est fait ce passage du théâtre au cinéma ?
Ça a été complètement surréaliste ! Je faisais mes études à Paris et j’ai vu une petite affiche qui disait : « Recherche acteur avec accent espagnol pour premier long métrage de cinéma. » Ça m’a semblé extrêmement exotique (rire). J’ai passé le casting par curiosité. J’étais à Paris depuis à peine deux mois et je parlais très mal français. Mais on s’est tout de suite bien entendu avec Manuel Poirier.
Comment avez-vous fait pour partager votre carrière entre la France et l’Espagne, le théâtre et le cinéma ?
Ce qui est compliqué, en fait, ce n’est pas de s’organiser entre le théâtre et le cinéma, c’est plutôt d’avoir régulièrement du travail dans le cinéma. On y dépend toujours du désir des autres. Quand tu as la chance que ça t’arrive comme c’est mon cas – et je ne comprends toujours pas, c’est exceptionnel ! –, tu te débrouilles.
En 2007, vous avez joué le one-man-show Non Solum, mis en scène par Jorge Picó. Qu’est-ce qui vous avait donné envie d’être seul en scène et de passer par l’humour ?
Avec Jorge Picó, l’humour fait partie de nous. Quand on écrit, on ne peut pas s’en empêcher. On aime bien faire rire. Et puis le spectacle tout seul, c’était surtout parce que c’était très compliqué pour moi de réintégrer une compagnie avec d’autres acteurs, à cause du cinéma. C’était trop difficile de faire coïncider les emplois du temps de chacun.
Mais j’avais aussi envie d’essayer de faire quelque chose tout seul parce que j’avais beaucoup d’idées qui s’accumulaient et qui avaient à voir avec un homme seul qui se cherche. Comme d’habitude !
Comment présentez-vous l’étrange pièce qu’est 30/40 Livingstone ?
Comme le titre, la pièce est énigmatique. On n’arrive pas à l’expliquer. Mais je peux dire que c’est drôle…
On rit d’une idée anthropologique qui a l’air très sérieuse : regarder l’être humain comme si on ne savait pas ce que c’était. Un être humain un peu particulier car il a des bois de cerf et il joue au tennis.
C’est un peu surréaliste et absurde. Heureusement, c’est plus facile à voir qu’à expliquer !
Mais c’est vrai qu’il y a un monsieur en costume cravate avec des bois de cerf et un autre qui passe toute la pièce à essayer de comprendre. Et, visiblement, ça fait rire !
Comment vous êtes-vous distribués les rôles avec Jorge Picó ?
Dès le départ, on a écrit la pièce à travers des improvisations. Et déjà, Jorge jouait le cerf. Même si on ne le veut pas, on finit par mettre de nous involontairement dans les personnages. Je joue un mec qui ne se tait jamais, ce qui me ressemble un peu ! Et Jorge bouge très bien, joue au tennis. Ce qui lui ressemble un peu aussi.
Et très vite, on a trouvé l’idée de donner un rôle muet à Jorge. Puisque l’autre parle tout le temps, on s’est dit que ce serait bien que lui ne dise rien. On sentait qu’on avait besoin de trouver deux êtres qui n’étaient pas exactement sur la même planète.
La presse parle de « fable anthropologique et humaniste », de « conte féroce ». Est-ce important pour vous que le théâtre, sous couvert de divertissement et d’humour, ait un sens plus profond ?
Oui, je trouve que le théâtre doit servir à quelque chose. Je ne pense pas que le théâtre serve à oublier ses problèmes mais qu’au contraire il doit nous aider, peut-être, à penser autrement à nos problèmes, à avoir des points de vue différents, servir à quelque chose de collectif. Ça doit être utile.
Vous avez beaucoup tourné en France et en Espagne. Est-ce que la réception de la pièce est la même dans les deux pays ?
Au début, la pièce était en catalan. Ensuite, on l’a jouée en français puis en espagnol. Lors de la toute première, les critiques n’étaient pas bonnes du tout. Mais c’est aussi parce que la pièce n’était pas telle qu’elle est aujourd’hui. On a eu la chance de pouvoir réécrire. La pièce a fait tout un voyage. Et c’est vrai que quand elle est arrivée en France, au Festival d’Avignon [dans le off du Festival en 2014, où elle a remporté un grand succès, ndlr], on l’avait déjà jouée 150 fois.
C’est toujours la même pièce, mais maintenant c’est une bombe alors que lors de la première, le public a eu beaucoup de mal à rentrer dedans. Donc les débuts étaient douloureux pour nous. Heureusement qu’on a surmonté cette douleur.
Propos recueillis par Adèle Duminy
Infos pratiques
59 rue Carnot à Saint-Fons (Rhône)
04 78 67 68 29
Vendredi 25 mars 2016 à 20 h 30
Plein tarif : 15 euros / Tarif réduit : 12 euros / Tarif enfant : 6 euros
* Initialement programmé le 22 mars au Grand Angle de Voiron, ce spectacle a été annulé, du fait d’un nombre insuffisant de places vendues.