ENTRETIEN – En juin 1991, le groupe de reggae local Sinsémilia jouait son premier concert lors de la fête de la musique devant un sex shop grenoblois. Vingt-deux ans plus tard, Sinsé parcourt toujours la France et le groupe s’exporte à l’international. Retour sur cette belle histoire avec Mike, l’un des piliers du groupe.
C’est la course ! Entre deux concerts et quelques jours après avoir fêté les vingt-deux ans du groupe à Saint-Lô dans la Manche devant 25 000 spectateurs, Mike est de passage à Grenoble. Assis en terrasse autour d’un café, place Sainte-Claire, il prend le temps de remonter le temps et d’évoquer les projets du groupe qui va enchaîner les festivals tout au long de l’été. En France, mais aussi en Suisse, en Belgique et en Espagne.
Propos recueillis par Nils Louna
Découvrez un diaporama du groupe en concert avec les photos de Marylène Ethier et le clip officiel de Sinsemilia réalisé à l’occasion de ses vingt-deux ans de scène :
Vous venez de fêter vos vingt-deux ans de scène…
Oui, c’est complètement fou ! Nous sommes les premiers surpris. Certains d’entre nous étaient déjà amis bien avant la création du groupe, mais de là à former cette petite famille, c’est incroyable. Au début, nous étions de jeunes adolescents avec nos délires. Nous n’avions pas vingt ans. Jamais nous n’aurions pensé en vivre. Nous rêvions de participer à un ou deux concerts et nous en avons fait plus de 1000 ! L’aventure est au-delà de nos rêves. Nous sommes heureux et fiers de notre aventure. Nous ne pouvions pas imaginer qu’elle serait aussi belle. Sur les neuf à l’origine de Sinsémilia, nous sommes encore sept.
Vous avez été marqués par Bob Marley qui a donné envie à certains d’entre vous de devenir musiciens. Quel regard portez-vous sur la musique de vos débuts et celle aujourd’hui ?
D’une manière générale, la musique n’a rien à voir avec ce qu’elle était il y a vingt ans. Nous avons vécu une mutation… Notre musique n’est plus la même non plus. Nous avons été influencés par différents courants et nous avons maintenant un style musical qui nous est propre. Nos textes ont également évolué avec les années. Nous ne renions pas une ligne de ce que nous avons pu écrire dans le passé, mais nous traiterions différemment les mêmes thèmes aujourd’hui.
Vous aviez enchaîné les concerts lors de la tournée organisée pour vos vingt ans (cf. vidéo en fin d’interview). Continuez-vous à jouer régulièrement ?
C’était une grosse tournée avec beaucoup d’émotion, que ce soit au Summum, à l’Olympia, au Transbordeur… Cette année, nous avons souhaité jouer un peu moins, uniquement lors de festivals. Depuis début mai, nous jouons deux concerts par semaine, le vendredi et le samedi, un peu partout. A côté de cela, nous avons chacun nos travaux personnels. Riké vient par exemple de sortir son troisième album. De mon côté, je m’occupe d’Echo Productions (ndlr : maison de production qu’il a créée en 2005 pour aider les jeunes artistes).
Vous êtes depuis les premières chansons la plume du groupe. Trouvez-vous toujours facilement l’inspiration et le groupe valide-t-il automatiquement vos textes ?
L’inspiration, je l’ai, mais ce n’est pas toujours évident. J’ai la volonté de ne pas bâcler les textes, de me renouveler. Parfois, j’écris des chansons en un seul jet, en quelques minutes. Et il y en a d’autres que je mets trois ans à écrire, sur lesquelles je reviens… Nous nous connaissons tous par cœur. Nous partageons beaucoup de valeurs communes, donc je sais ce qui va plaire ou pas. Il y a d’ailleurs des textes que j’écris tout en sachant que je ne vais pas les mettre dans l’album, parce que c’est trop personnel ou pas adapté. Mais depuis nos débuts, le groupe a validé la quasi-totalité des chansons que j’ai proposées.
Avez-vous l’ambition de faire passer des messages à travers vos textes ?
Nous sommes des citoyens comme des autres. Nous exprimons nos opinions, mais nous ne sommes pas des prophètes. Ce ne sont que nos opinions. Ce qui nous a plu dans le reggae à l’origine, c’est que les textes des chansons avaient un sens. Nous avons la chance d’avoir un micro, un auditoire. Nous essayons de nous en servir avec respect en exprimant nos convictions, ce que la vie nous inspire, sans plus de prétention que cela.
Vous sentez-vous militant ?
Non, j’ai beaucoup trop de respect pour des militants qui bossent dans des associations et qui se démènent. Nous, nous écrivons nos petites chansons et, en plus, nous gagnons notre vie avec. On a fait plus militant que cela dans la vie ! Nous nous exprimons en tant que citoyens mais militer, c’est plus que cela. La seule chose sur laquelle nous nous sommes toujours exprimés, c’est le devoir d’aller voter. Pour qui que ce soit… Dans le groupe, nous n’avons jamais souhaité apporter un soutien à l’un ou l’autre des partis politiques. D’abord parce que nous n’avons pas tous toujours voté pour les mêmes personnes, même si nos sensibilités sont semblables, et ensuite parce que l’on veut garder une certaine liberté.
Quel est votre point de vue sur la politique culturelle grenobloise ?
Je me suis beaucoup exprimé sur le sujet, sans que cela n’avance vraiment. Les premiers rendez-vous avec la mairie pour la salle de concert qui ouvrira l’an prochain à Bouchayet-Viallet datent de 1998. Ca fait quinze ans ! Et puis, je ne vis plus à Grenoble depuis six ans (ndlr : Mike est le seul membre du groupe à ne plus habiter dans la région grenobloise ; il vit désormais à Crest, dans la Drôme). J’ai donc un regard extérieur. Après, il ne faut pas tout voir en noir, il y a de bonnes choses, comme la naissance de la Bobine. Je pense que la culture est importante et que l’argent public n’est pas toujours utilisé comme il le devrait. Mais il y a tellement de personnes qui sont encore mal logées et mal nourries qu’il y a d’autres priorités aujourd’hui…
Et que pensez-vous de la politique culturelle conduite au niveau national ?
L’argent ne va qu’aux gros. Il y a de plus en plus de festivals qui ont la tête sous l’eau, de labels indépendants qui déposent le bilan… La culture, ce n’est pas seulement ce que TF1 nous montre. Enfin, je l’espère… Pour les générations futures, l’information culturelle doit être plus large.
Le CD étant en voie de disparition, comment voyez-vous l’avenir des artistes ?
Le marché s’est effondré. On a changé de monde et vécu une révolution du disque en dix ans. Nous n’allons pas nous plaindre personnellement. Nous vivons bien de notre musique, même si ce sont désormais très majoritairement nos concerts qui nous font vivre. Pour les jeunes générations, c’est plus complexe. Le modèle ne fonctionne plus. Il faut le réinventer.
Votre neuvième album est en préparation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous espérons qu’il sera dans les bacs pour le printemps prochain. Il n’y aura pas de thématique particulière. Comme dans nos précédents albums, les chansons seront liées à nos vies.